#20MINUIT. Fous rires, cocktails, clic-clac... Des députés nous racontent les séances de nuit à l'Assemblée nationale
POLITIQUE•Des députés nous racontent leurs nuits blanches passées dans l'hémicycle...Thibaut Le Gal
L'essentiel
- Ce jeudi et ce vendredi, la Conférence nationale de la vie nocturne se tient à la Cité de la mode et du design de Paris.
- « 20 Minutes » a voulu savoir à quoi ressemblait une séance de nuit à l’Assemblée nationale.
- Pour raisons financières, une loi votée en 2014 oblige les séances à finir à une heure du matin, «sauf pour achever une discussion en cours».
20 Minutes est partenaire de la Conférence nationale de la vie nocturne qui se tient à Paris, jeudi et vendredi. A cette occasion, nous avons décidé de nous intéresser aux activités, pratiques, modes de consommation, etc. liés à la nuit.
Il est presque 6 heures du matin, les visages des députés sont éteints. Christian Jacob, chef de file de la droite, demande une suspension de séance, après une nuit entière de débats : « On vient de me communiquer une information importante… Les pains au chocolat sont arrivés ! » Les exclamations fusent. En 2013, la loi sur le « mariage pour tous » oblige les parlementaires à passer plusieurs nuits blanches au Palais-Bourbon.
Le député PS Erwann Binet, rapporteur de la loi, se souvient : « On commençait à 21h30 pour aller jusqu’à 8h du matin. Avec la séance de journée, ça fait presque 24h d’affilée, dans une ambiance parfois électrique. Il y a des moments où c’était dur… Je me souviens devoir défendre des amendements à 3 heures du matin, je n’arrivais pas à placer une phrase tellement j’étais épuisé ».
« En journée, l’Assemblée est un théâtre, mais à la tombée de la nuit, les excès disparaissent »
Bernard Debré, élu dès 1986, a passé quelques nuits blanches dans l’hémicycle : « A l’époque, les séances de nuit n’étaient pas encore limitées… Je me souviens de séances épiques où les prises de parole duraient des heures, c’était insupportable. » Au clair de lune, l’ambiance n’est pas la même : « En journée, l’Assemblée est un théâtre, avec les excès que l’on voit à la télé. Mais quand la nuit tombe, les excès disparaissent, poursuit l’ancien député UMP. On est moins nombreux, et la camaraderie arrive. Il y a des fous rires, quand des gens à peine réveillés se demandent quel texte est en discussion. On se déplace pour aller discuter avec un député et tenter de le convaincre de voter comme nous. »
Erwann Binet confirme : « L’Assemblée est très différente, plus calme. Ne sont présentes que les personnes utiles au débat, il n’y a quasiment plus de journalistes. L’ambiance est très sereine, c’est agréable. » L’ex-député PS poursuit : « La fatigue nous met les uns les autres dans un état de sensibilité plus forte. On sympathise avec l’adversaire, car le monde dort autour de nous. On nous regarde moins, les masques politiques tombent. On est plus sincères, plus vrais ».
Café, coca… et cocktails alcoolisés
Reste la question de la fatigue. « Dans l’hémicycle, on n’a pas vraiment l’impression d’être en séance de nuit car la lumière est toujours la même. Ça permet de franchir la nuit assez allègrement », confie l’écologiste Noël Mamère. « Ensuite, vous avez deux possibilités : vous contenter de lever la main quand on vous le demande mais vous serez vite menacés par le sommeil. Ou participer aux débats, et la nuit passe alors très vite ».
Pour tenir, il y a l’expresso bien sûr, mais pas seulement. « Le café ne me fait rien, alors je m’étais mis au coca », s’amuse Erwann Binet. « Il y avait aussi le fameux cocktail de nuit, mais je ne suis pas très alcool au travail, et mieux vaut avoir les idées claires jusqu’au bout ». En 2013,le Parisien nous livrait la recette du fameux « Séance de nuit », un breuvage de couleur jaune servi à la buvette après 4 heures du matin.
- Du rhum
- Une note de Cointreau
- Du jus de citron frais
Un joli coup de fouet… à condition de ne pas en abuser. « Des collègues, à droite comme à gauche, buvaient parfois de l’alcool pour tenir. Des cocktails de nuit un peu bizarroïdes, avec du Génépi je crois, enfin, un peu forts. Les serveurs riaient jaune car certains picolaient fort, devenaient exubérants, tristes, voire agressifs », se souvient Bernard Debré. « Certains n’allaient pas boire que du café…, confirme Noël Mamère, mais c’était il y a quelques années. Je n’ai pas vu de députés alcoolisés lors de la précédente législature. »
Un clic-clac et c’est reparti
Après les séances marathon, il est l’heure d’aller dormir. Et là, les députés ne sont pas logés à la même enseigne. « La majorité des députés disposent d’une possibilité de couchage dans leur bureau. Les autres peuvent accéder, moyennant une participation, à l’une des 51 chambres de la Résidence de l’Assemblée nationale […]. Si celle-ci est complète, ils peuvent bénéficier d’un remboursement partiel de leurs nuitées d’hôtel à Paris », précise le site de l’Assemblée nationale.
« Il y a un partage au prorata de chaque groupe. Logiquement, les députés qui habitent loin de Paris ont les bureaux avec couchette. Moi, j’ai un canapé-lit, mais sans sanitaire. D’autres au Palais-Bourbon n’ont rien du tout. S’ils veulent piquer un somme, ils doivent aller à l’hôtel », remarque Ugo Bernalicis, député du Nord de La France insoumise. « Quand on finit à 1h du matin, le clic-clac est utile. Le matelas n’est pas dingue, on sent qu’il a un peu vécu. Mais je suis jeune, ça va, je n’ai pas encore de problème de dos. Il faut d’ailleurs que j’achète un oreiller car ils ne sont pas fournis ».
Même dans son lit, le député n’est pas toujours tranquille. « Il est arrivé que l’administrateur du groupe vienne réveiller les députés dormant dans leur bureau pour faire passer certains amendements. Quand Copé était le président de groupe, on avait des tours de garde afin qu’il y ait toujours du monde présent dans nos rangs », confie Bernard Debré.
« Ce qui est formidable, c’est de se retrouver à la buvette après les séances de nuit, s’enthousiasme Erwann Binet. Quand on finit très tard, on n’a pas envie d’aller se coucher, alors on se retrouve entre amis, à prendre le petit-dej avec les élus de l’opposition avec qui on vient de batailler. Ce sont des bons souvenirs, parce qu’ils sont rares. »
Des folles nuits de plus en plus rares même. Pour raisons financières, une loi votée en 2014 limite les séances à une heure du matin, sauf « pour achever une discussion en cours ». Mais la magie nocturne n’a pas totalement disparu. « Cet été il y a eu une sorte de Garden-party », raconte Ugo Bernalicis. « Vers minuit, l’ambiance était bonne et l’alcool aidant, certains députés LREM se sont mis à chanter a cappella. J’étais surpris de voir qu’ils connaissaient L’Internationale et La Jeune Garde par cœur. »