BD sur l'Assemblée nationale: «Les politiciens sont très humains et le pouvoir peut rendre fou»
INTERVIEW•Le scénariste de la bande dessinée politique «Le député», à paraître chez Grand Angle, évoque pour «20 Minutes» le basculement de certains politiques dans «un univers anormal»...Anne-Laëtitia Béraud
Suivre la trajectoire d’un nouveau député fictif, Jean-René Galopin, des premiers pas à l’Assemblée nationale au piège du conflit d’intérêts avec un lobby pharmaceutique. La bande dessinée de politique-fiction Le député, scénarisée par Xavier Cucuel en collaboration avec l’ancien président de l’Assemblée Jean-Louis Debré, et dessinée par Alexandre Coutelis, est publiée chez Grand Angle le 13 septembre 2017. La BD fourmille d’anecdotes sur les us et coutumes de l’institution, et se fait l’écho de récentes polémiques, à l’instar des attachés parlementaires…. Interview avec le scénariste de cette BD, Xavier Cucuel, sur ce projet particulier…
Quelle est l’ambition de cette bande dessinée ?
J’ai fait cette BD car je suis un passionné de politique. J’ai connu plusieurs hommes politiques et j’ai compris comment ils pouvaient basculer d’un univers "normal" à un univers "anormal", où tout est dû, où les gens sont à leur disposition, où ils vont au restaurant sans payer l’addition. Certains hommes politiques, sans même s’en apercevoir, dérivent vers ces pratiques. C’est le point de départ de l’histoire que je voulais raconter. Et il s’est trouvé que l’on a eu un merveilleux guide de l’Assemblée avec Jean-Louis Debré [président de l’Assemblée entre 2002 et 2007] qui nous a raconté cette maison. Grâce à lui, on a pu explorer les coulisses de l’Assemblée, à la fois visuellement, mais aussi avec ces histoires de l’intérieur.
Comment s’est passée votre collaboration avec Jean-Louis Debré ?
Je l’ai rencontré par hasard alors qu’il dédicaçait l’un de ses polars à l’Assemblée. Il était alors président du Conseil constitutionnel [2007-2016]. Je lui ai dit que ce serait bien de faire un récit de l’Assemblée nationale en bande dessinée, car la BD apporte une dimension supplémentaire aux livres, à savoir l’image. Il m’a dit qu’avec le décor de l’Assemblée nationale, ce serait bien. De 2012 à 2014, on a parlé des heures et des heures pour qu’il me donne toutes les clefs, le règlement, les comportements, les trucs pour se faire repérer à l’Assemblée, des milliers de petites choses qui sont disséminées dans la BD. Des choses ont d’ailleurs changé avec la nouvelle législature, notamment le règlement de la cravate qui vient tout juste d’évoluer…
Comment votre député passe-t-il du citoyen « normal » à un élu qui use de passe-droits ?
On dit trop que les élus sont des grands méchants, des escrocs patentés. Alors que cette dérive, elle peut arriver à n’importe qui, qui ne ferait pas attention. Et si l’on n’est pas vigilant sur ce basculement, tout peut arriver. Et même dans les équipes des députés qui ont été élus sur l’argument du renouvellement de la classe politique, des petits indices m’ont été rapportés : Un chef de cabinet qui exige tel bureau, un autre qui veut ça ou ça… Les politiciens sont très humains, le pouvoir peut rendre fou…
Vous évoquez notamment un conflit d’intérêts entre le député et un laboratoire pharmaceutique…
Je sais que les lobbyistes sont très actifs à l’Assemblée, même si l’histoire que je raconte dans cette BD est fictive. Mais on est toujours rattrapé par l’actualité. Regardez les attachés parlementaires avec l’affaire Fillon. J’ai eu l’idée de les évoquer dans mon récit en 2013.
Avec la nouvelle législature et le nouveau personnel politique, pensez-vous que les pratiques politiques douteuses vont perdurer ?
Les forces et les faiblesses des individus resteront. Mais je pense que la nouvelle génération issue de la société civile n’aura pas forcément le même regard sur la politique. Avec les nouveaux médias et les réseaux sociaux, les citoyens sont beaucoup plus vigilants vis-à-vis des hommes politiques, et les contrôles sont beaucoup plus importants. Je pense que les hommes politiques d’aujourd’hui ne peuvent plus se laisser aller aux mêmes pratiques qu’hier. Cela ne les empêche pas d’être hors-sol. Quand un député dit que s’il n’a plus d’indemnité de frais de mandat, il va être obligé d’aller manger au McDo, on s’aperçoit que ces gens qui sont censés être dans la vie sont totalement déconnectés.
Comment s’est passé votre travail avec le dessinateur Alexandre Coutelis ?
En plusieurs temps. J’ai d’abord fait plusieurs centaines de photos lors de mes dizaines de visites à l’Assemblée avec Jean-Louis Debré. J’ai eu avec lui accès à des endroits où ne peut pas aller le public, comme les cuisines ou la salle des fleurs. J’ai ensuite demandé à Jean-Louis Debré d’accompagner le dessinateur pour qu’il voit la taille des lieux, les hauteurs sous plafond, la majesté de la bibliothèque de l’Assemblée… Tant que l’on n’a pas mis les pieds là-bas, on ne peut pas se rendre compte à quel point le décor est somptueux. Le dessinateur s’est imprégné de ce décor de réalité pour la fiction.
Dans la dernière planche, votre député souhaite « faire de la politique autrement ». Que vouliez-vous dire ?
C’est une boutade. Cela fait des années que l’on entend les hommes politiques, quand ils perdent une élection, dire qu’ils ont bien entendu le message des citoyens et qu’ils vont faire désormais de la politique autrement. Tout le monde se targue de vouloir faire de la politique autrement. La réalité c’est que personne, jusqu’à maintenant, n’a réussi à faire de la politique autrement. Peut-être que cela peut changer, quand on voit qu’Emmanuel Macron n’avait, il y a un an, ni parti ni argent. Mais je pense que faire de la politique autrement, c’est surtout s’adapter à l’époque dans laquelle on vit.
*« Le député », scénarisé par Xavier Cucuel en collaboration avec Jean-Louis Debré, dessiné par Alexandre Coutelis, publié chez Grand Angle, le 13 septembre 2017