Assemblée nationale: «Compliqué», «dangereux», «cher»... Les arguments anti-notes de frais des parlementaires sont-ils recevables?
INDEMNITES•Certains députés sont vent debout contre le projet de loi qui prévoit de soumettre le remboursement de leurs frais de mandat à la présentation de notes de frais...Laure Cometti
L'essentiel
- Le projet de loi pour «rétablir la confiance dans la vie publique» pourrait imposer aux parlementaires de justifier leurs frais de mandats, plafonnés à 5.300 et 6.100 euros respectivement pour les députés et sénateurs.
- Cette mesure a été vivement critiquée par plusieurs parlementaires de divers bords politiques.
- Pour quoi un système bien répandu en entreprise serait-il selon si compliqué à mettre en place au Parlement ? «20 Minutes» a posé la question à quatre personnes.
Le projet de loi pour « rétablir la confiance dans la vie publique », débattu dès ce lundi à l’Assemblée, va-t-il imposer aux parlementaires de faire des notes de frais pour les dépenses liées à leur activité d’élu ? C’est ce que prévoit à ce stade le texte qui propose de supprimer l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM), d’un montant de 5.372,80 euros pour les députés et 6.109,89 euros pour les sénateurs. A la place de cette enveloppe, les parlementaires devraient se faire rembourser leurs dépenses via un système de notes de frais, répandu dans les entreprises.
Une proposition qui suscite des critiques nombreuses et diverses, chez des élus de la majorité et de l’opposition. 20 Minutes a passé au crible leurs arguments avec des députés familiers du monde de l’entreprise, et donc du système de notes de frais, ainsi qu’avec le « Monsieur Transparence » des dépenses publiques et un avocat en droit social.
Argument n°1 : « Ça va être un petit peu compliqué », une « usine à gaz »
C’est ce qu’avancent plusieurs élus, dont Philippe Gosselin, député Les Républicains (LR) de la Manche, qui cite les « fêtes », « braderies », ou autres événements festifs dans lesquels on ne peut se procurer de ticket de caisse pour attester de ses achats. Plus globalement, certains détracteurs craignent la mise en place d’une « usine à gaz », comme le chef du groupe LR Christian Jacob.
Vraiment ? Ça dépend…
Compliquées, les notes de frais ? Les députés qui ont travaillé en entreprise interrogés par 20 Minutes savent que ce n’est pas le cas mais ils soulignent les difficultés à adapter ce système à l’activité d’un parlementaire. « ça ne me gêne pas de faire des notes de frais comme dans une entreprise », affirme la députée LR d’Eure-et-Loir Laure de la Raudière qui souligne qu’un député a davantage de frais à justifier qu’un salarié car il paie avec l’IRFM le loyer de sa permanence et les frais qui en découlent (électricité, assurance…) - des dépenses directement prises en charge par l’employeur dans le privé.
« Les frais kilométriques, c’est super long à calculer », poursuit-elle. Bien sûr, les parlementaires pourront compter sur leurs assistants dans ce travail minutieux de justification des dépenses, « mais tout ne sera pas délégable, car nous travaillons aussi le week-end ». L’élue balaie toutefois rapidement ces considérations : « si ça permet de rétablir un peu de confiance entre citoyens et les élus, c’est le principal, on en a bien besoin ».
Pour le député de Paris Sylvain Maillard, « il est normal de justifier les dépenses faites avec l’IRFM, qui n’est pas un complément de rémunération du député mais un instrument qui permet d’exercer son mandat ». Ce chef d’entreprise élu sous l’étiquette de La République en marche (LREM) juge qu’il faut « assouplir » le système de note de frais avant de l’appliquer aux parlementaires, pour « éviter l’usine à gaz ». « On ne va pas recruter 100 fonctionnaires pour contrôler. Il faut mettre en place un système simple, pragmatique ».
Pour René Dosière, ancien député socialiste et « Monsieur Transparence » du Parlement, il est envisageable de « fixer un montant mensuel pour lequel les dépenses n’auraient pas besoin d’être justifiées ». « Dans le privé, on peut être tenté de majorer ses frais pour échapper à l’impôt, mais l’IRFM est défiscalisée ».
Argument n°2 : « C’est extraordinairement dangereux »
C’est Alain Tourret, député anciennement inscrit au Parti radical de gauche aujourd’hui rallié à la majorité présidentielle, qui l’affirme, craignant que les additions de restaurant trop salées soient rejetées et que seule une célèbre enseigne de restauration rapide soit à l’avenir accessible aux élus. Au-delà de cet argument gastronomique, certains s’inquiètent de devoir publier les noms de toutes les personnes qu’ils invitent avec leur IRFM.
Vraiment ? Pas forcément
Tel qu’il est discuté à ce stade, le futur système de note de frais parlementaires ne prévoit pas d’exiger de tels détails de la part des élus. « L’employeur a besoin d’une traçabilité totale mais à l’Assemblée c’est différent : ce n’est pas au citoyen de savoir comment on dépense cette IRFM », souligne Sylvain Maillard.
René Dosière est favorable à « un contrôle des frais en interne », au sein de chaque chambre parlementaire, pour préserver « leur indépendance fondamentale ». « C’est un petit peu comme dans les services secrets, quand vous rencontrez des gens peu recommandables, vous n’allez pas obligatoirement donner leur nom », justifie-t-il.
Argument n°3 : « ça va coûter cher »
Plusieurs parlementaires invoquent également le coût selon eux très élevé d’un tel contrôle, comme le questeur UDI du Sénat Jean-Léonce Dupont. Il évalue dans L’Express qu’il faudra créer « 40 emplois de fonctionnaires » avec un coût annuel de 4,5 millions d’euros, salaires et bureaux compris.
Vraiment ? Non, au contraire…
Pour Laure de La Raudière, « une trentaine de personnes pour valider les notes de frais de 577 députés, c’est beaucoup ». L’impact financier est à prendre au sérieux pour Sylvain Maillard qui plaide en faveur d’un « système de contrôle aléatoire », avec des élus tirés au sort et contrôlés a posteriori, comme pour un contrôle fiscal. Une solution qui convient aussi à René Dosière.
Pour Sylvain Niel, avocat en droit social au cabinet Fidal, l’argument financier est même irrecevable : « contrôler les notes de frais des parlementaires ne va pas créer des dizaines d’emplois. En entreprise on utilise des logiciels de paie qui permettent de faire des vérifications par sondage, en identifiant les personnes dont les dépenses sont très éloignées de la moyenne ».
Les dépenses des parlementaires devraient même baisser fortement selon l’avocat : « on le constate dans toutes les entreprises, dès qu’on annonce un contrôle aléatoire et informatisé des notes de frais, les montants baissent d’environ un tiers en moyenne », affirme Sylvain Niel. Sans compter que pour éviter les « dépenses somptuaires », le Parlement pourrait également « discuter de plafonds pour certaines catégories de dépenses », comme les repas au restaurant, préconise Sylvain Maillard. De quoi faire baisser l’addition pour le Parlement.