INTERVIEWSimone Veil au Panthéon: «Une émotion et une décision politique»

Simone Veil au Panthéon: «Son entrée correspond à une émotion et à une volonté politique»

INTERVIEWOlivier Ihl, chercheur et spécialiste des mises en scène du politique, revient sur la panthéonisation de Simone Veil et de son mari...
Thibaut Le Gal

Propos recueillis par Thibaut Le Gal

La surprise du chef (de l'Etat). Lors de la cérémonie d'hommage national à Simone Veil, ce mercredi aux Invalides, Emmanuel Macron a indiqué qu'il avait «décidé, en accord avec sa famille, que Simone Veil reposerait avec son époux [ Antoine] au Panthéon» afin de témoigner «l'immense remerciement du peuple français à l'un de ses enfants tant aimés».

L'annonce intervient quelques jours seulement après la mort de la femme politique. Une décision rapide? 20 Minutes a posé la question au spécialiste Olivier Ihl, professeur de Sciences politiques à Grenoble et auteur d’une Histoire de la représentation (Editions du Croquant).

Quels critères faut-il pour pouvoir entrer au Panthéon ?

Il n'y a pas de conditions explicites qui seraient inscrites dans un décret ou une loi. Il s'agit davantage de conditions consacrées par l’usage. Première chose: sur les 76 membres, tous sont Français. On pourrait imaginer l'entrée de personnes étrangères, mais le Panthéon est plutôt un temple national. Les mérites des entrants doivent apparaître comme conformes aux valeurs de la République: combats pour la liberté, etc. Il y a aussi l’idée que ça fasse exemple, leur conduite exemplaire est posée comme édifiant les générations qui arrivent. Enfin, avant l'entrée des premières femmes, on mettait d'abord en valeur les actes de bravoure militaires, ou les carrières politiques, des formes alors plutôt masculines de la réussite. Il faut enfin que la famille soit d'accord, on se souvient que le fils d'Albert Camus s'y était opposé.

L'entrée de Simone Veil au Panthéon vous paraît-elle logique?

Elle correspond à la rencontre d'un moment et d’une volonté. Le décès de Simone Veil a plongé la France dans un deuil assez partagé, unanime. Elle était l'une des personnalités politiques préférées des Français. C'est une figure consensuelle qui ne divise pas la France, comme ça a pu être le cas par exemple avec l'entrée d'Emile Zola, qui avait opposé les dreyfusards aux anti-dreyfusards.

Cette émotion a rencontré la volonté du chef de l'Etat. Ce que symbolise Simone Veil, sur la question européenne, le combat des femmes, la mémoire de la Shoah, est conforme à ce que veut faire Emmanuel Macron d'un point de vue politique.

C'est donc un choix politique?

Oui, la panthéonisation est aussi un message politique. Lors de son hommage vibrant, le président a insisté sur ces grandes valeurs qui correspondent aussi à ce que lui veut faire, sur la parité ou l'Europe. Simone Veil est aussi une personnalité qui a eu un rôle politique important au centre, et là encore, il y a une parenté avec le réalignement partisan d'Emmanuel Macron. L'entrée de Simone Veil correspond donc à une émotion et à une volonté politique.

Cette annonce intervient seulement cinq jours après la mort de Simone Veil, un délai habituel?

C'est assez court, mais ce n'est pas sans précédent. Victor Hugo est transféré au Panthéon quelques jours seulement après sa mort. Marcellin Berthelot et sa femme n'attendront eux que 5-6 jours. Condorcet aura lui attendu deux cents ans. En général, les mérites sont reconnus avec un peu de recul, mais tout est affaire de circonstance. Nous sommes en début de mandat, le chef de l'Etat aime à placer son action sous l'égide de symbole fort. La perspective de pantéonisation tombe bien.

Simone Veil fera son entrée au Panthéon avec son mari Antoine, est-ce une première?

C’est assez rare. Ca avait déjà le cas pour Pierre et Marie Curie, réunis au Panthéon par François Mitterrand [en 1995]. C'est l'excellence des deux personnalités qui était alors célébrée. Marcelin Berthelot [homme politique et chimiste] est lui aussi entré avec sa femme. Avec Simone Veil, c'est la première fois qu'un mari entre au Panthéon par le mérite reconnu de son épouse. Il s'agit ici de tenir compte des oppositions familiales. La famille ne souhaitait pas la séparation des époux.