VIDEO. Vincent Peillon: «Je n’ai participé à aucune des divisions de la gauche»
INTERVIEW•« 20 Minutes » a soumis les questions de ses internautes au candidat de la primaire de la gauche…Propos recueillis par Laure Cometti
Dans la perspective de la présidentielle, 20 Minutes fait passer un grand entretien aux candidats de la primaire organisée par le PS et propose à ses lecteurs de poser leurs questions. Après Benoît Hamon, Jean-Luc Bennahmias, Sylvia Pinel, François De Rugy, Manuel Valls et Arnaud Montebourg, Vincent Peillon s’est prêté à l’exercice. L’eurodéputé et ancien ministre de l’Education estime avoir « la possibilité de rassembler » son camp. 20 Minutes lui a soumis lundi une dizaine de vos questions.
20 Minutes : Pourquoi pensez-vous pouvoir rassembler la gauche ?
Parce que je n’ai participé à aucune de ses divisions. C’est quand même très curieux que certains qui ont organisé la division considèrent qu’ils sont à même de rassembler. Manuel Valls utilise le 49-3, théorise les deux gauches irréconciliables et dit pouvoir rassembler. Ce sera difficile. Benoît Hamon ou Arnaud Montebourg ont, une fois qu’ils ont quitté le gouvernement, critiqué l’action de ce dernier, donc ils ont participé d’une division. J’ai préféré ne pas être de ces divisions. Je crois que c’est un gage d’éthique politique et de possibilité de rassembler.
20 Minutes : Loïc, 60 ans, employé de banque en Normandie, vous interpelle sur une éventuelle VIe République. Plus globalement, souhaitez-vous réformer les institutions ?
Si on veut faire en sorte que notre vie politique ne soit plus dominée par cette défiance envers les élus, il faut un système de proportionnelle intégrale dans les régions, qui garantira une meilleure représentation et l’obligation de dialoguer pour construire un contrat de gouvernement.
Je propose d’instaurer le mandat unique et une limitation à trois mandats dans le temps, de donner le droit de vote aux étrangers aux élections locales et de recentrer le Sénat sur des prérogatives concernant les collectivités locales. Les maires, présidents de conseils généraux et présidents de région siégeront au Sénat sans élection. Je veux aussi garantir l’indépendance de la justice et transformer le Conseil Constitutionnel en cour constitutionnelle indépendante. Toutes ces propositions seront soumises aux Français par référendum à l’automne 2017.
Silvère 27 ans, responsable commercial, Alsace : Quelles sont vos propositions pour rétablir la confiance des Français envers les élus ?
Je propose l’obligation d’avoir un casier judiciaire vierge pour se présenter à une élection. Deux principes d’association des citoyens me semblent indispensables. Des comités de parlementaires et de citoyens tirés au sort auront les moyens de vérifier l’application des lois. D’autres comités, composés de membres du CESE [Conseil économique, social et environnemental, ndlr] et de citoyens tirés au sort, examineront les obstacles rencontrés par les Français dans l’exercice de leurs droits, qu’il s’agisse de s’inscrire à l’université, prendre le RER ou toucher le RSA. Il faut que le gouvernement s’attache, plutôt qu’à faire de nouvelles lois, à lever ces obstacles.
Palmisano, 58 ans, chef de projet, Ile de France : Comment pensez-vous être crédible en parlant d’Europe alors que vous avez été un eurodéputé très peu présent au Parlement européen ?
J’ai donné mes chiffres de présence. En examen de résolutions, je suis parmi ceux qui en ont le plus signées, je suis responsable de tous les textes internationaux pour les socialistes et je suis classé 230e sur 751 en termes de participation aux votes, avec 95 %. Il y avait un système de classement qui n’avait aucun sens, réalisé par un organisme (MEpranking) auquel Parlement européen a demandé le 15 décembre d’arrêter de raconter n’importe quoi.
20 Minutes : Trouvez-vous que la France en a fait assez pour l’accueil des réfugiés ? Votre proposition de créer des corridors humanitaires est-elle réaliste au regard des réticences exprimées par certains Etats membres ?
On n’a pas été assez clairs sur la détresse de ces réfugiés qui ne sont pas des migrants économiques. Il fallait expliquer au peuple français et aux peuples européens que c’était notre devoir de les accueillir. Je n’ai jamais entendu un grand discours de clarification et de générosité sur ce sujet pendant le quinquennat. Les rodomontades du Premier ministre Manuel Valls à l’égard de la chancelière Merkel ont aussi porté un coup à l’Europe. Malgré l’opposition de certains pays, des corridors humanitaires peuvent être mis en place. Ils permettront d’examiner ceux qui doivent être accueillis et de les acheminer en toute sécurité, sans qu’ils tombent entre les mains de passeurs.
Perrine, étudiante : Que comptez-vous faire pour encourager les étudiants et jeunes diplômés à rester en France ?
C’est un progrès et une richesse que les jeunes aillent à l’étranger pendant et après leurs études, pas seulement dans les filières générales, mais aussi dans les filières techniques. Il faut aussi qu’ils puissent trouver du travail en France. Pour les jeunes chercheurs, comme ils sont recrutés tard, ils sont souvent dans des conditions de grande précarité et sont obligés de partir à l’étranger. C’est pour cela que je propose 8.000 créations de postes dans l’enseignement supérieur lors du prochain quinquennat, et 4.000 dans les organismes de recherche. Je permettrai aussi que l’on reconnaisse le doctorat dans les conventions collectives du privé et de la fonction publique. Il faudra également revaloriser leurs rémunérations en début de carrière qui sont indécentes.
Delphine, 42 ans, professeur des écoles, région Sud-Est : Quelle est votre position sur la réforme des rythmes scolaires dans le primaire qui a surtout accentué les disparités entre les villes ?
Il fallait ajouter une matinée de classe aux enfants car c’est le matin qu’on apprend le mieux. Il est vrai qu’un problème a surgi ensuite : que faire après la classe ? Mais cette question ne relève pas du ministère de l’Education nationale, elle relève des collectivités locales, qui dépendent du ministère de l’Intérieur. On ne peut pas dire que la réforme des rythmes scolaires a accru les inégalités. Aujourd’hui 70 % des enfants ont droit à des activités périscolaires, il n’y en avait que 30 % avant. Elle a révélé des inégalités qu’il faudra corriger en donnant plus de moyens aux collectivités locales et aux associations.
20 Minutes : Pourquoi rejetez-vous le revenu universel proposé par Benoît Hamon ou Jean-Luc Bennahmias ?
Je regrette que l’on ait passé un mois de cette primaire à parler d’une mesure dont on sait qu’elle est impraticable. C’est une grande régression pour la gauche parce qu’elle a montré qu’elle peut gouverner le pays. Dire aux Français, y compris aux 6 millions de chômeurs, qu’il n’y aura plus de croissance, plus d’emploi, et 400 milliards d’impôts supplémentaires, c’est rendre un trop grand service à la droite de François Fillon. On ne peut pas rassembler avec cette mesure, c’est presque un renoncement. Je trouve que Benoît Hamon n’a pas rendu service à son camp.
20 Minutes : Au-delà de la faisabilité économique, quelle est votre position de philosophe ?
Donner la même somme à Madame Bettencourt et à une personne en grande difficulté, c’est une curiosité pour quelqu’un de gauche. On ne voit pas bien comment s’exerce la solidarité. Le travail, ce n’est pas seulement la fiche de paie, c’est la dignité, la socialisation, le fait de sortir de chez soi. Sans compter que cela impliquerait d’augmenter les impôts dans des proportions jamais vues. Quant à l’idée de taxer les robots, si on les taxe en France, ils iront dans d’autres pays.
Abdelkader, 35 ans, chauffeur routier, Le Mans : Vous président, seriez-vous capable de le faire baisser le nombre de chômeurs à 2 millions en 5 ans ?
Des emplois sont en train d’être détruits mais d’autres sont créés. Nous sommes en retard sur la qualification des gens, sur l’introduction du numérique. Il faut une politique de montée en gamme, car on ne va pas concurrencer la Chine ou la Roumanie sur les textiles ou les produits de base. Il faut aussi poursuivre la politique de l’offre et conditionner le CICE à des créations d’emplois.
Je propose un new deal européen de 1.000 milliards d'euros, financé par l’emprunt, pour relancer l’investissement par des grands travaux, par la transition écologique et le financement de la garantie jeunes. Pour obtenir ce plan, il faut que nous nous engagions à respecter la trajectoire de finances publiques et que nous diminuions nos déficits.
Marsal, retraitée, région de Toulouse : Quelles solutions proposez-vous pour enrayer la désertification rurale surtout en matière médicale ?
On ne peut être qu’incitatif. Je suis favorable à ce que l’on utilise tous les moyens, crédit d’impôt, abaissement de charges, cumul emploi et retraite, pour lutter contre la désertification qui touche aussi les banlieues. Il faut rendre le métier de médecin libéral plus attractif par des incitations fiscales. Je propose aussi un service public de maisons de retraite sous conditions de ressources, car beaucoup de nos compatriotes, qui touchent l’APA [l’allocation personnalisée d’autonomie] ou une petite retraite, n’ont pas les moyens de financer leurs retraites. Cela permettra de créer des emplois non délocalisables, y compris dans les zones rurales.
Aymeric, ingénieur : Vous avez déclaré ne pas vouloir une France d’héritiers. Quelles seraient vos mesures vis-à-vis des droits de succession ?
Je veux une société où le travail et le mérite sont récompensés. En 30 ans, le poids de l’héritage dans le pouvoir d’achat des ménages a triplé. Les jeunes n’ont souvent plus les moyens d’acquérir un logement, surtout dans les villes. Nous vivons plus longtemps, nous transmettons plus tard et cet argent va vers l’épargne, ce n’est pas bon pour l’économie. Je veux revoir la fiscalité de la transmission pour limiter les inégalités et encourager à faire circuler argent vers la jeunesse. Je propose qu’on ne taxe plus les successions en fonction du lien de parenté avec celui qui donne, mais plutôt en fonction de celui qui reçoit. Plus on héritera tôt et moins on sera taxé, pour inciter à donner aux jeunes.