Pourquoi la société civile n'émerge pas dans la vie politique française
POLITIQUE•En France, peu de citoyens émergent dans l'arène politique, contrairement à ce que l'on voit en Espagne ou en Italie...Thibaut Le Gal
Difficile d’imaginer un débat d’entre-deux-tours opposant Eric Zemmour à Jacques Attali en 2017. Dans son roman fiction, le rédacteur en chef de Valeurs Actuelles imagine le polémiste faire campagne et remporter l’élection présidentielle. L’ancien conseiller de François Mitterrand déclarait quant à lui en début de semaine être en train d’élaborer un programme présidentiel et n’excluait pas de se présenter lui-même à l’ultime fonction.
Des ministres issus de la société civile
Quelques jours plus tôt, Michel Onfray appelait à l’émergence d’un « nouveau Coluche » sur France 2. Contrairement à d’autres pays européens, la France tarde à voir émerger des personnes issues de la société civile dans l’arène politique.
« Il existe une tradition ancienne de nommer des ministres issus de la société civile. Il y en avait déjà sous le gouvernement Blum en 1936 », assure Christian Delporte. « Soit ils ont vite disparu, car les résultats étaient peu probants. Soit ils ont été absorbés par le système politique, à l’image de Simone Veil. » Avant de devenir une femme politique très populaire, la juriste est inconnue du grand public lorsqu’elle prend ses fonctions de ministre de la Santé en 1974.
L’attente d’une « figure charismatique forte »
Hormis ces nominations, peu de citoyens semblent émerger à l’image d’un Beppe Grillo en Italie ou d’un Pablo Iglesias en Espagne. Les mouvements de démocratie participative comme Nouvelle Donne n’ont pas eu le succès du Podémos espagnol ou du Mouvement cinq étoiles italien. « Les Français ont une longue expérience de l’élection présidentielle au suffrage universel, système unique en Europe. Ils attendent l’émergence d’une figure charismatique forte, qui draine derrière elle parti et militants. Cela écrase la naissance de tels mouvements », assure Albert Ogien, directeur de recherche au CNRS.
« Dans le cas de Podémos ou du Mouvement cinq étoiles, c’est l’inverse : les mandants définissent le programme politique et contrôlent le chef », précise le sociologue. « Dans ces pays, la proportionnelle profite d’ailleurs à la circulation du personnel politique ».
« Une force d’exclusion de la part de la classe politique »
Des personnages médiatiques ont bien tenté de se présenter, mais pour des succès mitigés. Lorsque Nicolas Hulot veut porter ses idées en 2011, il choisit de passer par la case primaire du parti écologiste. Il sera finalement battu. « Il fait partie de ces gens qui ont un taux d’adhésion populaire extraordinaire, ce qui ne veut absolument pas dire qu’il est crédible politiquement », résumera l’un de ses adversaires.
« Jusqu’à présent, on observe une force d’exclusion de la part de la classe politique. Le cas de Coluche est exemplaire. Lorsqu’il a atteint 16 % dans les sondages, le candidat, pourtant soutenu par des intellectuels comme Bourdieu, a subi des pressions et abandonné au bout de quelques mois », développe Albert Ogien.
Coluche, candidat à la présidence en 1981. - BENAROCH/SIPA
« La société civile s’impose dans un système en décomposition »
« La présidentielle ordonne le reste de la vie politique. Les dissidents risquent de faire perdre des voix. Il y a sorte d’impuissance de la société civile, liée à la fossilisation du milieu politique », poursuit Albert Ogien. Christian Delporte nuance : « Les gens de la société civile s’imposent là ou le système politique est en décomposition. Beppe Grillo a émergé parce que le système italien sur les ruines de l’après Berlusconi », assure l’historien.
« Conservateurs, libéraux, populistes de droite et de gauche… En France, l’espace politique est très occupé. On a des partis encore structurés, et un rapport du pouvoir politique avec la haute fonction publique qui laisse peu de places à des personnes venues d’autres horizons ».