José Bové: «Le premier bulletin de vote, c’est son caddie»
CHAT•Le député européen écologiste vous a répondu...Cédric Garrofé
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En cette période post-éléctorale, je voudrais rappeler à chacune et chacun une évidence souvent oubliée, que son 1er bulletin de vote c’est son caddie. Le choix alimentaire est un choix de société, on vote en mangeant. Bonne journée et bon appétit.
Kleo: Les multinationales prennent de plus en plus d'ampleur dans le système mondialisé. Elles sont déjà omniprésentes. Le combat pour la «bonne bouffe» est-il déjà perdu?
Au niveau de la planète, près de 50% des emplois sont des emplois paysans, ce qui veut dire que l’alimentation de proximité sur la majorité des continents se fait directement des producteurs aux consommateurs.
Le problème de ce début de 21e siècle est l’augmentation de la population urbaine et donc de la possibilité d’approvisionner ces personnes. C’est dans ce cadre que les multinationales de l’alimentation ont prospéré.
Il faut donc s’extraire de cette logique en créant des modes de distribution avec les paysans mais aussi des modes de consommation alternatifs. C’est donc à la fois au niveau collectif et individuel que chacun doit agir.
Greg33: Ingénieur agroalimentaire, je trouve les études et les validations de certains ingrédients (conservateurs, nanoparticules de titane, texturants, sucres modifiés, graisses végétales...) très léger contrairement à ce qui est pratiqué dans d'autres industries. Cette schizophrénie me dérange. Qu'en pensez-vous ?
Vous avez tout à fait raison et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il y a un certain laxisme au niveau des agences chargées des évaluations. Sans compter le problème des conflits d'intérêts puisque de nombreux membres des panels d’évaluation sont ou ont été membres de l’industrie agroalimentaire ou chimique.
Il est important que des études à la fois toxicologiques et environnementales soient menées sur l’ensemble des ingrédients et additifs et cela de manière indépendante. J’ai plaidé au niveau européen pour renforcer l’autonomie et l’indépendance de l’agence européenne sanitaire des aliments ainsi que pour augmenter son budget, seul moyen d’avoir une expertise au niveau des enjeux.
Il faut aussi permettre aux chercheurs indépendants et aux associations de participer de manière contradictoire aux évaluations. Tant qu’elles n’ont pas démontré la non-nocivité des produits le principe de précaution doit s’appliquer de manière claire.
Anonyme: Monsieur Bové. Pensez-vous que le sponsoring de l'état français, et notamment d'une partie des députés européens français PS et UMP, à la destruction du milieu marin et des ressources halieutiques par le chalutage en eaux profondes pourra être un jour stoppé? Je crains réellement le point de non-retour...
Après le scandale du vote au parlement européen contre le chalutage en eaux profondes, beaucoup de ceux qui avaient voté contre le texte ont été harcelés par leurs électeurs.
Les grands groupes responsables de cette pêche industrielle ont néanmoins, devant la pression des citoyens, annoncé qu’ils allaient renoncer à cette forme de pêche.
Il faut rester très vigilant mais cela montre que quand les citoyens se mobilisent malgré la pression des lobbies et le manque de courage de beaucoup d’élus, on peut faire pression pour empêcher le saccage des fonds marins.
Alex: La ferme usine à l'américaine est-elle une réponse au futur lait importé des USA avec le TAFTA?
Non, la compétition entre les grands groupes industriels d’Amérique du Nord ou d’Europe ne se fera ni au bénéfice des exploitations familiales ni à celui des consommateurs.
D’ailleurs, avec l’abandon des quotas, le premier groupe laitier néo-zélandais vient de s’installer en Europe pour profiter de la dérégulation.
Rob: Bonjour monsieur Bové. Je suis heureux de pouvoir vous poser une question. Pensez-vous sincèrement qu'une agriculture reposant sur des circuits courts et/ou biologique puisse nourrir l'ensemble de la population française?
Nous avons de nombreux exemples qui montrent qu’une modification à la fois des modes de production et d’accès des consommateurs peut s’étendre. Notamment, je pense à la région Ile-de-France, qui a plus de 50% de sa superficie en terre agricole.
De plus en plus de gens mangent à l'extérieur le midi et il est tout à fait possible d’organiser les cantines d’entreprise, d’établissements scolaires ou hospitaliers avec des circuits courts et l’élaboration de plats sur place. Il faut sortir de la logique des grands groupes de la restauration collective pour réinvestir dans la restauration de collectivité.
Gilles: Quelle est votre position sur l'entrée d'écologistes au gouvernement?
La question qui est posée aujourd’hui c’est: «Est-ce que l’on peut rentrer dans un gouvernement qui ne respecte pas les accords qui avaient été rédigés en 2012 après l'élection de François Hollande?»
Pour moi, aujourd’hui, il y a plusieurs sujets qui doivent être réglés pour permettre l’éventuelle participation à un gouvernement: l’arrêt du projet de Notre-Dame-des-Landes, l’abandon du projet de Sivens ou du tunnel sous les Alpes entre Lyon et Turin.
Mais cela ne suffit pas il faut encore repenser globalement le mode de développement dans le cadre d’une nécessaire transition énergétique avec un calendrier de sortie à la fois des énergies carbonées et du nucléaire.
danao: Comment faire prendre conscience qu'il est important de manger bon et équilibré?
Pour parler très simplement, chacun se rend compte que l’on a besoin de manger pour vivre. Et que notre alimentation est en fait notre premier médicament.
Cela amène à être vigilant sur ses choix de nourriture et donc de choisir ses aliments de façon rigoureuse en évitant tous les produits qui peuvent contenir des pesticides, les aliments touts préparés et préférer les aliments issus de l’agriculture biologique et ceux produits dans le cadre des circuits courts. Bon appétit!
Med: Bonjour José. Merci pour votre livre. Pourquoi ne pas imposer aux industriels alimentaires de mentionner sur l'emballage de leurs produits la provenance des aliments qu'ils utilisent?
Pour une raison très simple, ils ne veulent surtout pas que les consommateurs puissent découvrir l’étendue du désastre. Ils vendent du vent et il n’est pas question que chacun puisse se rendre compte de l’arnaque que représentent beaucoup de ces produits standardisés.
Tous les moyens sont mis en œuvre pour bloquer les décisions au niveau européen. Par exemple, la législation qui impose l’étiquetage NANO sur les produits qui contiennent des nanoparticules de dioxyde de titane et qui ont été votés il y a 3 ans au parlement européen n’est toujours pas appliquée... Cela devait l’être en décembre 2014.
Les industriels ont bloqué les textes d’application et donc la législation n’est pas effective. C’est pourquoi j’ai dénoncé publiquement cette affaire et c’est pourquoi aussi je vous incite à boycotter les produits dans lesquels se cachent ces nanoparticules.
Caroline: Comment réagissez-vous en voyant Marine Le Pen se ranger sur certaines positions altermondialistes en matière économique alors qu'elle n'avait de cesse de vous critiquer?
Il est toujours intéressant de voir que sur des sujets tels que la dénonciation des accords de libre-échange avec les Etats-Unis ou le Canada ou l’agriculture industrielle, des gens qui ne partagent pas mon combat essaient de reprendre mes thèmes.
La véritable contradiction de leur part vient des solutions qu’ils préconisent et qui ne peuvent en rien enrayer les problèmes. Je pense notamment à la sortie de l’Europe ou à l’isolement français.
Julie: En tant qu'eurodéputé, êtes-vous la source de lobbying de la part d'industriels de l'agroalimentaire?
Vu mes prises de position contre les lobbys que ce soit ceux du tabac, des pesticides, des OGM…
Les lobbyistes ne viennent jamais dans mon bureau. La seule fois qu’un industriel (BASF) l’a fait, je l’ai immédiatement dénoncé sur les réseaux sociaux et en public.
Tous les eurodéputés mais aussi les élus nationaux devraient en faire autant. Ce n’est pas pour défendre les intérêts de quelques groupes industriels que les gens élisent leurs représentants dans les assemblées.
Michel: Que pensez-vous de la ferme des 1000 vaches? De l'alimentation qui sera donnée à ces animaux et de la qualité du lait qui en sortira?
Aujourd’hui, 1er avril, marque la fin des quotas laitiers en Europe. Cela veut dire concrètement qu’il n’y aura plus d’adéquation entre la production et la demande. Ce sont les grands groupes industriels laitiers comme Lactalis, Danone ou Nestlé qui ont poussé à cette libéralisation qui va créer un déséquilibre par une augmentation des volumes et automatiquement une baisse des prix payés aux producteurs de lait.
La ferme des 1000 vaches rentre dans cette stratégie d’élimination des exploitations familiales aux bénéfices de grandes structures industrielles pour satisfaire les grands groupes de l’agroalimentaire. Le mode de production dans ce type d’usines à lait est forcément hors-sol.
C’est-à-dire que les animaux ne sortent pas de leur herbe bétonnée et qu’ils sont alimentés avec des aliments industriels. Une telle concentration d’animaux crée automatiquement des conditions sanitaires qui amèneront à une utilisation massive de médicaments notamment des antibiotiques. L’élevage industriel est contraire au bien-être animal et à la qualité des produits.
Lucie: Dans votre livre, vous mentionnez notamment l'impact environnemental très important de la production de viande de bœuf. A défaut de devenir tous végétariens, comment allons-nous nourrir la planète à l'horizon 2050?
Aujourd’hui dans le monde nous produisons assez pour nourrir plus de 9 milliards d'habitants.
Le premier problème qui se pose c’est la mauvaise répartition des produits agricoles, le deuxième le gaspillage agricole et alimentaire (entre 30 et 40 % sur l’ensemble des continents), le troisième l’utilisation des terres agricoles à d’autres usages de l’alimentation.
Pour parler plus spécifiquement de la production animale, il faut savoir que les Européens utilisent plus de 35 millions d’hectares, notamment en Amérique du Sud, pour produire du soja qui sert d’aliment à l’élevage. Il faut que la production de viande soit en cohérence avec la capacité de production de notre territoire.
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Présentation du chat:
Il repart en guerre. Le député européen José Bové publie L'Alimentation en otage (Editions Autrement), une enquête réalisée avec le journaliste Gilles Lunneau, et qui se penche sur les dérives du système agroalimentaire mondial.
L'écologiste en profite pour vanter les bienfaits des Amap (Association pour le maintien d'une agriculture paysanne) ou de l’agriculture bio sur la santé et sur l’environnement. Une réponse possible face à la «superpuissance industrielle mondialisée» pour «exercer ensemble, en toute conscience, le droit de choisir ce que nous mangeons.»