Elysée: Cinq moments de solitude de présidents
POLITIQUE•Dans «Solitudes du pouvoir», Jean-Michel Djian s'est penché sur l'isolement des chefs de l'Etat...T.L.G.
Dans Solitudes du pouvoir (Grasset, sortie le 11 mars), le journaliste Jean-Michel Djian s'intéresse aux moments de solitude qui incombent aux hommes politiques, qu'ils soient à l'Elysée ou à Matignon. 20 Minutes en a sélectionné cinq.
1. De Gaulle, «la solitude lugubre»
Le général De Gaulle aimait la solitude. Elle «était ma tentation. Maintenant, elle est mon amie», écrivait-il dans ses Mémoires. Déjà, la fonction présidentielle créée en 1958 était pensée «à l’aune de la solitude. On y incarne le pouvoir sans le gérer. On le pense», indique Jean-Michel Djian.
En mai 1968, le pays est en crise. Le général est «dans une solitude lugubre, proche de la dépression», explique l’auteur. C’est alors que le président décide de «disparaître». Il décroche son téléphone: «Je suis vieux, vous êtes jeune, c’est vous qui êtes l’avenir. Au revoir, je vous embrasse.» De l’autre côté du téléphone, Georges Pompidou, Premier ministre, reste sans voix. Quelques heures plus tard, la France apprend que le général est parti rencontrer le général Massu à Baden-Baden.
2. Giscard d’Estaing, «tétanisé par la responsabilité de son choix»
A l'été 1976, Valéry Giscard d’Estaing est seul. Les relations avec son Premier ministre de l'époque, Jacques Chirac, sont tendues. Dans ce contexte difficile, le président doit pourtant prendre une décision de poids: accorder ou non sa grâce à Christian Ranucci, condamné à mort.
«Le chef de l’Etat se retire dans ses appartements. Il réfléchit plusieurs heures, puis prend la lourde décision ne pas gracier le criminel de 22 ans», explique l’auteur. «Giscard est pâle, dira plus tard […] son secrétaire général. “Tétanisé” par la lourde responsabilité de son choix, le Président se tait.» Le 28 juillet, Christian Ranucci est exécuté. «Cette nuit-là, il est resté seul au palais, décidant ne pas se rendre à l’église de peur d’être ridicule», raconte Jean-Michel Djian.
3. Mitterrand, «la solitude, une aubaine»
Après les législatives perdues de mars 1986, François Mitterrand doit nommer son rival Jacques Chirac à Matignon. Le 22 mars, pour son premier Conseil des ministres avec l’opposition, le président «solitaire s’est retrouvé désœuvré et orphelin pour la seule raison que ce gouvernement n’était pas le sien, indique Jean-Michel Djian. Isolé dans une cellule élyséenne où ses ennemis s’invitent chaque mercredi matin, le chef de l’Etat maudit en silence ces geôliers cravatés qui l’obligent, mais le craignent.»
Dans cette solitude, reste la fonction. François Mitterrand en fait une force. «Quel autre homme d’Etat si isolé eût été capable de tourner à son avantage un pouvoir qu’il ne détenait pas? Aucun», résume l'ancien ministre Roland Dumas. «Au fond, cette solitude présidentielle obligée est une aubaine», ajoute le journaliste. Deux ans plus tard, Mitterrand sera réélu.
4. Sarkozy, «il veut être seul alors qu’il ne sait pas l’être»
Le 21 août 2008, Nicolas Sarkozy préside aux Invalides une cérémonie nationale en hommage aux dix soldats français tués en Afghanistan. «Jamais je n’ai mesuré à tel point la solitude d’un chef de l’Etat devant les responsabilités qu’il doit assumer», murmure-t-il devant le premier cercueil. Pour la première fois depuis son élection, il «donne le sentiment d’un homme pénétré en train de mesurer l’abîme de solitude qui l’habite», indique l’auteur. «Ce jour-là, il était dans un mutisme total. Il veut être seul alors qu’il ne sait pas l’être. Alors nous le protégeons», confie son conseiller en communication de l'époque, Franck Louvrier.
5. Hollande, «la solitude le protège»
Le 11 janvier 2013, François Hollande décide d’engager l’armée française au Mali. «Il possédait à ce moment-là une grille d’analyse politique, mais aussi militaire, plutôt sophistiquée, raconte le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, et comme tout chef d’Etat, il en a usé pour l’aider à trancher, seul.» Sa méthode? «Réfléchir enfermé dans son bureau un stylo à la main et une feuille de papier sous les yeux», ajoute Pierre-René Lemas, alors secrétaire général de la présidence.
Le soir même, le premier mort français. «Le visage du président est devenu livide et s’est figé. Pour la première fois peut-être, je l’ai vu accablé», indique le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian. «La chance de François Hollande, c’est précisément d’être blindé dans sa solitude. Elle le protège au lieu de lui peser», confie son ami et conseiller en communication, Claude Sérillon.