Le mot «espérance» dans la bouche des politiques
DECRYPTAGE – Cela veut dire quoi?Propos reccueillis par Alice Antheaume
«Une nouvelle campagne commence. Mobilisez-vous, c'est dans chaque rue, dans chaque quartier, dans chaque maison qu'il vous appartient de porter ce mouvement d'espérance», a déclaré Ségolène Royal le 23 avril à Valence. Après la «bravitude» et ses dérivés, le terme «espérance» fait son entrée dans la campagne. La veille, le soir du premier tour, on retrouve le mot «espérance» dans la bouche de Nicolas Sarkozy: «A tous ceux que la vie a brisés, aux accidentés de la vie, à ceux qui sont malades, aux handicapés, à tous ceux qui ont trop souffert, à chacun je veux donner une espérance (...)». «Espérance» encore dans le camp UDF, quand François Bayrou lance, après l’annonce des résultats du premier tour: «toutes les décisions que je serai amené à prendre dans les jours qui viennent, toutes les positions que nous adopterons seront inspirées par cette seule conviction: la nouvelle politique est en train de naître, cette espérance est grande et juste et personne, vraiment personne, ne l'arrêtera».
Décryptage du mot «espérance» avec Guillaume Soulez, sémiologue spécialiste de la rhétorique, chercheur associé au CNRS et maître de conférence à l’Université Paris 3.
Que signifie l’«espérance» employée dans les discours politiques?
Il y a une opposition sémantique entre «espoir», mot laïc, et «espérance», connotée religieusement. Dans les discours politiques, espérance est employé dans le sens espoir et renvoie à l'idée d'une remobilisation. Il s'agit de mettre un mot sur cette vague de participation civique. Mais on dit «redonner espoir» et non pas «redonner espérance». Mais dans «espérance», il y a un horizon supplémentaire, quelque chose d’indéfini, de difficilement quantifiable, une sorte de projection au-delà d’un avenir immédiat. Il s’agit peut-être de dépasser l’idée de promesse électorale.
Pourquoi le mot «espérance» surgit-il dans cette phase de l'entre-deux tours et dans tous les camps?
La campagne présidentielle s’est beaucoup jouée sur les valeurs et les médias (sauf Internet) ont contribué à
cela. Or l’espérance, c’est la valeur des valeurs. Comme ce mot désigne la remobilisation de la conscience civique, l’appel à une dynamique général. C’est normal qu’il se retrouve dans toutes les bouches. D’ailleurs, c’est typique de la politique française d’utiliser des mots d’origine religieuse mais laïcisés. Ce passage du religieux au politique remonte à la Révolution française (souvenons-nous du culte de l'Etre suprême après la chute de la Monarchie) et dans le remplacement du système religieux par une sorte de religion civique, celle de la «République».
Quelle différence faites-vous entre l’espérance côté Ségolène Royal et l’espérance côté Nicolas Sarkozy?
Ségolène Royal revient aux fondamentaux de la démocratie: elle en appelle à l’opinion des citoyens. Du coup, son discours démocratique est est en partie abstrait, bien que compréhensible par tous. L’utilisation du mot «espérance» donne de la chair à cette vague de retour à la politique en tant que telle. L’utilisation du mot «espérance» donne de la chair à cette vague de retour aux valeurs républicaines. Chez Nicolas Sarkozy, les valeurs qu’il défend sont plus immédiatement liées à sa personnalité. En parlant d’espérance, il apparaît davantage comme un homme providentiel.