Delphine Batho: «En matière d'écologie, dès qu'on bouscule quelque chose, la main tremble»
INTERVIEW•La députée des Deux-Sèvres a reçu 20 Minutes pour évoquer son livre, Insoumise, dans lequel elle critique le fonctionnement de l'Etat paralysé par les lobbys et la bureaucratie, tout en appelant à un sursaut...Propos recueillis par Maud Pierron
Dans Insoumise (Grasset, 18 euros), Delphine Batho revient sur ses 13 mois au gouvernement, notamment au ministère de l'Ecologie, et son éviction brutale. Un témoignage chirurgical, sans affect, sur les blocages qui peuvent paralyser l'action politique. Un réquisitoire aussi contre François Hollande et son abandon des promesses de 2012.
Vous sentez vous trahie par François Hollande alors que vous avez porté sa parole durant la campagne présidentielle?
Je ne regrette pas de l’avoir soutenu en 2012. Il a eu sa chance. Mon livre est une critique politique pas une attaque personnelle. Je ne suis pas sur le registre de la déception ou de la trahison mais dans une rupture tranquille. J’essaie d’analyser ce qu’il s’est passé entre le 6 mai et aujourd’hui, pourquoi ce tournant est arrivé très tôt, avec l’influence des lobbys et le conservatisme des élites françaises.
Vous évoquez le poids de la technostructure, de «l’énarchie», qui paralyse l’action du politique… C’est assez désespérant.
Cette bureaucratie dont je parle, c’est une façon d’organiser l’impuissance de l’Etat et c’est pour cela que je propose des réformes institutionnelles, comme le «spoil système», qui permet de changer l’administration à chaque alternance. Ce n’est pas un problème de loyauté des hauts fonctionnaires mais l’organisation de l’Etat est, par nature, conservatrice: dès qu’on bouscule quelque chose, la main tremble.
C’est le fameux poids des lobbys que vous dénoncez…
Il n’y a pas de fatalité. Sur le gaz de schiste, par exemple, les lobbys n’ont pas gagné la partie car la mobilisation des citoyens a été la plus forte. Sur ce sujet, les lobbys ne renonceront jamais, mais ma conviction est que les Français ne cèderont pas. Le combat continue. Plus globalement, les solutions pour construire un monde plus respectueux de la planète existent mais il faut, c’est vrai, une volonté politique déterminée et investir financièrement.
L’annonce de la suspension de l’écotaxe par Ségolène Royal, c’est un exemple de ce poids des lobbys?
Oui, c’est un énorme scandale. C’est aussi un exemple du fait qu’en matière d'écologie, lorsqu’il s’agit de voter des principes, tout le monde lève la main mais dès lors qu’il faut passer à l’action, tout le monde se dégonfle face aux lobbys. Et cet abandon aura un coût considérable pour les citoyens.
Vous parlez d'ailleurs peu de Ségolène Royal alors qu’elle vous a mis le pied à l’étrier...
Ce n’est pas un livre sur mes successeurs. C’est un livre sur ceux qui prennent les décisions à l’Elysée et à Matignon. Pour moi, être ministre de l’Ecologie ne consiste pas à avaler des couleuvres et faire passer les pilules.
Vous étrillez aussi les Verts…
Il y a un décalage entre leur positionnement politicien et l’aspiration profonde de la société. En tant que parti, ils se déterminent rarement par rapport à l’écologie. Où est la cohérence d’accepter une baisse de 7% du budget de l’écologie et de quitter le gouvernement plus tard car la tête du Premier ministre ne leur revient pas?
En tout cas, pour François Hollande, c’est fini, il n’y aura pas de deuxième mandat écrivez-vous…
Je constate qu’il ne sera pas en situation d’emporter l’adhésion des Français et de dessiner une nouvelle espérance. Et ça va au-delà de lui: j’appelle à un choc générationnel. Il y a toute une génération qui est prisonnière des façons de penser du XXe siècle. Or, pour résoudre les problèmes de demain, il faut la vision et les solutions du XXIe siècle. En 2017, ce ne sera pas une question de casting: sans une nouvelle espérance crédible et positive, personne n’y arrivera.
Vous racontez comment avoir été fidèle à vos convictions vous a coûté votre place. N’y a-t-il pas une part de naïveté de votre part sur la dureté du monde politique?
Mon livre s’appelle Insoumise parce que je n’accepte pas que la vie politique soit une sorte d’école de la soumission, que vous arriviez avec plein d’idées, d’envies, et qu’on vous demande de devenir gris et cynique. Ce n’est pas ma vision des choses. Je sais que l’exercice du pouvoir est très difficile, qu’il y a des contraintes, des intérêts contradictoires, mais j’assume d’avoir, à 40 ans, les mêmes rêves que j’avais à 15 ans et ne pas vouloir les abandonner.