INTERVIEWDéclarations d'intérêts: Il faut «interdire aux parlementaires d'embaucher un membre de leur famille»

Déclarations d'intérêts: Il faut «interdire aux parlementaires d'embaucher un membre de leur famille»

INTERVIEWMyriam Savy, responsable des questions de vie publique au sein de l'association Transparency International France, réagit à la publication des déclarations d'intérêts des parlementaires...
Mathieu Bruckmüller

Propos recueillis par Mathieu Bruckmüller

Une première. Jeudi, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique a mis en ligne les déclarations d’intérêts et d’activité des quelque 900 députés et sénateurs.

Profession exercée en parallèle, détention d’actions de sociétés, fonctions même bénévoles, activités des conjoints et des collaborateurs parlementaires: ces informations sont rendues publiques sur le site www.hatvp.fr, en vertu des lois sur la transparence adoptées fin 2013 après l’affaire Cahuzac. Pour Myriam Savy, spécialiste des questions de transparence, s’il s’agit «d’une réelle avancée, on peut aller encore plus loin».

>> Pour retrouver les perles de ces déclarations concernant les emplois familiaux et les droits d’auteur, c’est à lire ici

La publication des déclarations d’intérêts des parlementaires est-elle une «révolution» démocratique, comme le soutient la majorité?

Oui, c’est une révolution. Il y a encore un an, la France était à l’avant-dernier rang européen en termes de prévention des conflits d’intérêts avec la Slovénie. Nous faisons désormais partie des meilleurs élèves. Les déclarations d’intérêts sont exhaustives et la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, un organisme indépendant, dispose de moyens d’action étendus pour contrôler ces déclarations.

Est-ce suffisant?

La France peut mieux faire. Les déclarations de patrimoine, elles, ne seront pas rendues publiques, mais seulement consultables en préfecture cet automne. Nous invitons donc les parlementaires à montrer l’exemple en les publiant volontairement. C’est le sens de l’Histoire. Les citoyens demandent plus de transparence.

Quelles sont les autres pistes d’amélioration?

Sur la question du lobbying par exemple. Aujourd’hui, il est impossible de savoir quelle est l’action des représentants d’intérêts, comment ils interagissent avec les responsables publics et comment ils influencent leurs décisions. Sur ce sujet, nous sommes très en retard par rapport au Canada et au Québec notamment.

Que pensez-vous de la réaction d’Henri Guaino qui «désapprouve moralement, profondément» l’obligation de rendre publique leur déclaration d’intérêts, jugeant dégradant «d’aller se déshabiller en place publique»?

Il y a une question de génération. Quand on a été parlementaire ou impliqué dans la vie politique depuis des décennies sans avoir eu à rendre de comptes, je comprends que du jour au lendemain de publier leur déclaration d’intérêt ou de patrimoine, cela suscite des crispations. Chez les jeunes générations, on le ressent beaucoup moins. Certains ont compris qu’on ne pouvait pas aller à l’inverse de ce mouvement-là. En période de crise on demande aux citoyens de plus en plus d’effort, en retour ils demandent que les élus soient exemplaires. On supporte de moins en moins les avantages que certains responsables publics ont ou qu’on imagine qu’ils ont. La transparence permet de lever les suspicions et les fantasmes.

10 % des élus ont une activité dans le privé, dont une vingtaine gagne plus de 100.000 euros par an. Ne faut-il pas interdire ces pratiques?

Nous ne sommes pas pour une interdiction pure et simple. Pour certains élus, le retour dans la vie privée peut être complexe et nous ne voulons pas qu’ils soient complètement déconnectés de la vie réelle. Il faut voir au cas par cas. Par contre, des activités comme le conseil ou avocat d’affaires sont source de conflit d’intérêts. Il faudrait les interdire en priorité. Quand des activités annexes génèrent des centaines de milliers d’euros de revenus par an, cela pose des questions. C’est autant de temps, d’énergie, de disponibilité intellectuelle que l’on ne consacre pas à son mandat parlementaire.

Une centaine de parlementaires français emploient un membre de leur famille comme collaborateur. Est-ce justifié?

En soi ce n’est pas forcément problématique si un conjoint est assistant parlementaire et qu’il exerce une réelle activité. Mais cela engendre toujours de la suspicion. Il serait mieux d’interdire ce type d’activité pour la famille du parlementaire. Cette pratique est déjà interdite pour les députés européens.