OPINIONFemmes, jeunes, vote FN: Que retenir de la dernière séquence électorale?

Femmes, jeunes, vote FN: Que retenir de la dernière séquence électorale?

OPINIONUne grosse étude d'Harris Interactive et Balises contredit certaines idées reçues et éclaire d'un nouveau jour certains comportements électoraux...
Maud Pierron

Maud Pierron

L'institut de sondage Harris Interactive, en association avec Balises, société de conseil en stratégies d'opinion et de communication, a tiré les enseignements de la séquence électorale 2014 et notamment du scrutin européen qui a vu le FN arriver en tête dans une étude fouillée.

Plus de 6.000 personnes* ont été interrogées le 25 mai dernier, jour du vote des européennes, afin de pouvoir scruter plus finement les différentes sous-catégories. Et casser parfois les idées reçues lancées à chaud après le vote ou affiner les analyses sur un corps électoral. Jean-Daniel Lévy, président de Harris Interactive et Denis Pingaud, président de Balises, en ont tiré «10 leçons inédites», 20 Minutes en a choisi 5 parmi les plus notables.

Les jeunes basculent-ils vraiment à droite?

Les jeunes (18-35 ans) sont avant tout abstentionnistes: 74% d’entre eux se sont abstenus le 25 mai dernier. Et non, lors de ce scrutin, il n’y a pas eu de basculement des jeunes à droite. 30% se situent à gauche, 28% à droite, 12% au centre et 30% ni à gauche ni à droite. Mais parmi ceux qui ont voté FN, ils sont beaucoup plus nombreux que la moyenne des électeurs FN à avoir un vote d’adhésion (43% contre 26%) plutôt qu’un vote protestataire (39% en moyenne, 19% pour les moins de 35 ans). Leur vote «se structure autour de l’adhésion», il est plus «déterminé» selon Jean-Daniel Lévy. «Est-ce un effet de cohorte? Un effet de génération? Est-ce que cet électorat va continuer à se structurer en vieillissant? C’est à surveiller». Le spécialiste des sondages avait déjà repéré ce «signal faible» lors des régionales de 2010. Ce n’est donc pas une surprise que les jeunes électeurs frontistes, lorsqu’il leur est demandé de se positionner sur le paysage politique, se déclarent à 74% «à droite» dont 59% «très à droite». Bien plus que les plus de 35 ans qui se déclarent à 62% «à droite», dont 37% «très à droite».

Les ouvriers votent-ils FN?

Ça dépend: il y a le vote ouvrier… et le vote ouvrier. Grâce à la taille de l’échantillon, le vote ouvrier a pu être observé à la loupe et les spécialistes de l’opinion ont pu déceler une fracture entre les ouvriers travaillant en usine (chaînes automatisées avec plus de 250 salariés) et les autres. Les premiers votent à 35% pour le FN et les seconds à 46%. «Le réflexe de classe, avec le rôle des syndicats, la culture du débat», peut expliquer la moindre importance du vote FN parmi les ouvriers tels qu’on se les représente classiquement, quand bien même ils ne constituent plus la majorité de la classe ouvrière. «En fait, ce sont deux populations distinctes», résume Jean-Daniel Lévy. Par ailleurs, les ouvriers frontistes se trouvent plus en province (45%) qu’en région parisienne (26%), ce qui recoupe le travail du géographe politique Christophe Guilluy sur la «France périphérique». Et ces ouvriers qui ne travaillent pas en usine «expriment un sentiment d’insécurité, physique ou économique, très fort» plus important. Enfin, les ouvriers qui votent FN expriment davantage que les autres un vote d’adhésion que la moyenne de l’électorat frontiste (32% contre 26%).

Les jeunes sont-ils indignés?

«Les indignés ne sont pas ceux que l'on croit», avance l'étude. Plusieurs adjectifs pour définir l’état d’esprit ont été soumis au panel. 66% des sondés ont choisi un item négatif, 25% un item positif (heureux, confiant ou serein) et 9% indifférents. 39% se disent inquiets, 15% découragés, 12% indignés. Et seuls 2% des 18-24 ans se disent indignés contre 18% des plus de 65 ans. Autre surprise: 41% des chefs d’entreprise ont choisi ce terme… Et ces indignés votent d’abord pour le FN (18%) devant le Front de gauche (17%), ou se réfugient dans l’abstention (12%).

Un électorat sarkozyste fidèle

Lors des dernières européennes, l’abstention a été très forte. Ce n’est donc pas une surprise de constater que 50% de ceux qui ont voté Sarkozy à la présidentielle 2012 se sont abstenus aux européennes. Mais ceux qui se sont déplacés ont majoritairement voté UMP, à 63%, mais 17% ont glissé un bulletin FN. 9% des électeurs de l'ex-Président ont voté MoDem ou UDI, 10% pour «autre» et 1% pour EELV. A noter, aucun d’entre eux n’a donné son bulletin au PS ou au Front de gauche. «Il y une fidélisation de l’électorat de Nicolas Sarkozy. La cohérence et la stabilité est plus forte à droite qu’à gauche», note Jean-Daniel Lévy. En effet, la donne est bien différente pour l’électorat qui voté Hollande en 2012. Seuls 43% d’entre eux se sont déplacés pour les européennes et parmi eux, seuls 49% ont voté pour le PS. 16% ont voté EELV et 6% ont choisi le Front de gauche, soit autant que le MoDem... ou le FN. Une dispersion du vote qui s'explique par le fait qu'en 2012, François Hollande a agrégé plusieurs électorats pour lesquels la question était plutôt de se situer contre Nicolas Sarkozy. Cette étude montre finalement une porosité assez limitée entre l'électorat socialiste et l'électorat frontiste, au moins sur ce scrutin.

L’abstention se conjugue au féminin

Deux tiers des femmes (66%) se sont abstenues aux européennes alors que les hommes n’étaient «que» 49% à ne pas remplir leur devoir citoyen. Et ces abstentionnistes ont un profil très marquées: 80% des moins de 35 ans n’ont pas voté, 75% des femmes ayant un revenu inférieur à 1.200 euros et 69% de celles qui sont le moins diplômées. Une vraie fracture de classe car les plus de 65 ans ne sont que 47% à s’être abstenues et celles qui gagnent plus de 5.000 euros n’étaient que 48% à bouder les urnes.

*: Echantillon de 6.040 personnes représentatif de la population française de 18 ans et plus, réalisé en ligne, le 25 mai, selon la méthode des quotas.