INTERVIEWTransparency International: «Nos responsables ont un rapport difficile avec la transparence»

Transparency International: «Nos responsables ont un rapport difficile avec la transparence»

INTERVIEWL'ONG Transparency International classe la France seulement au 22e rang des pays les moins corrompus. Le président de Transparency International France, Daniel Lebègue, revient pour «20 Minutes» sur les mesures annoncées par Hollande mercredi...
Propos recueillis par Maud Pierron

Propos recueillis par Maud Pierron

Que vous inspirent les mesures annoncées par François Hollande mercredi ?
Elles vont clairement dans le bon sens. La création d’une haute autorité indépendante, dotée de moyens de contrôler et de vérification de l’exhaustivité des déclarations d’intérêts et de patrimoine des élus est très importante. L’important, c’est que ce système de déclaration sera assorti de sanction, a annoncé Hollande, notamment des peines d’inéligibilité. Car l’an dernier par exemple, 15% des députés n’ont pas fourni de déclarations d’intérêts. Aucune sanction pour non-déclaration ou déclaration inexacte n’a été prononcée depuis des années.

Par ailleurs j’ai entendu les réserves du monde judiciaire sur la création au niveau national d’un parquet dédié à la lutte contre la délinquance financière. A mon sens, cette mesure, assortie de moyens, est un signal fort qui replace la lutte contre la délinquance financière comme une priorité de la politique pénale, ce qui n’est plus le cas depuis vingt ans.

Enfin, la liste des paradis fiscaux publiée par la France, basée sur les conventions signées avec les pays et l’application effective de ces conventions peut avoir une grande portée. Nous avons par exemple signé une convention avec la Suisse. Mais sur la centaine de demande d’informations émanant de la France, elle ne répond qu’à une cinquantaine. Et sur cette cinquantaine de réponse, deux-tiers n’apportent pas de réponse réelle à la question posée. On l’a vu avec l’affaire Cahuzac.

Cette batterie de mesures peut-elle aider la France a améliorer son actuel peu glorieux 22e rang des pays les moins corrompus?
Il y a les annonces de François Hollande mais désormais il faut attendre la rédaction des textes, les débats au Parlement qui s’annoncent compliqués, et leur mise en œuvre. Mais les intentions affichées sont les bonnes. Mais si la volonté affichée est suivie de lois et de moyens, on pourrait replacer la France dans le peloton des démocraties transparentes et intègres où, en tant que pays des droits de l’Homme, elle devrait figurer.

De nombreux élus protestent contre la publication de patrimoine…
Sur les 27 pays membres de l’Union européenne, 26 sur 27 imposent une déclaration de patrimoine à leurs ministres et élus et 25 sur 27 imposent leur publication. Les deux qui ne le font pas sont la France et la Slovénie. Aux élus qui disent qu’on organiserait le voyeurisme et encouragerait le populisme, je leur demande de regarder comment ça se passe en Europe. D’autant que l’Union européenne en fait une condition très précise dans sa procédure de pré-adhésion. Donc l’UE l’imposerait à tout nouveau membre mais la France voudrait s’en dispenser? C’est incroyable.

Y-a-t-il d’autres secteurs en France touchés par la corruption?
Si l’on pose la question à nos concitoyens, c’est clairement le monde politique qui est le plus perméable à la corruption et au trafic d’influence. Et si l’on regarde précisément les décisions de justice sur la corruption et le trafic d’influence, le plus grand nombre de dossiers concerne les collectivités locales et des marchés publics, notamment avec des entreprises du BTP. Il y a les corrompus et les corrupteurs. Dans le privé, il y a des secteurs plus exposés que d’autres, notamment dans le commerce international, dans le domaine de l’eau, de l’énergie, de la défense, des minerais, ou les grands projets d’infrastructures. En revanche, en France, les cas de corruption dans l’administration et les services publics sont très rares. En France, ces services sont plutôt plus intègres qu’ailleurs, même comparé à l’Allemagne ou la Grande-Bretagne par exemple.

Pourquoi un tel retard en France?
Il y a plusieurs facteurs. Un facteur historique, nous sommes un pays très marqués par la monarchie, où un roi a pu dire «l’Etat, c’est moi» [Louis XIV, Ndlr], tout un programme! Et culturellement, nos responsables ont un rapport difficile avec la transparence. Ce n’est pas du tout naturel pour eux. Il y a aussi un réflexe partagé d’auto-protection des élus et des décideurs publics. Ils veulent bien des règles mais s’ils les organisent eux-mêmes. Par exemple, pendant des années, les comptes de l’Assemblée nationale étaient contrôlés par les députés eux-mêmes, qui refusaient que la Cour des comptes y mettent leur nez.