La Cour des comptes en fait-elle trop?
POLITIQUE•En plus d'émettre des observations, l'institution invite le gouvernement à faire de nouvelles économies structurelles...Mathieu Gruel
Pousserait-elle le bouchon un peu trop loin? La Cour des comptes, dans son rapport annuel rendu mardi, pointe les «gabegies» et autres mauvaises dépenses des deniers publics. Mais outre cet exercice de décryptage, elle va plus loin. Depuis quelques années, son rapport s’accompagne notamment d'un droit de suite sur les remarques formulées les années précédentes.
Ce qui semble irriter à la gauche du PS. «Qu’elle soit dans un rôle de constat, c’est de sa compétence. Où je ne suis pas d’accord, c’est quand elle dit comment fixer les objectifs. Là, elle outre passe ses droits, détaille la sénatrice PS Marie-Noëlle Lienemann. C’est au parlement et au gouvernement de fixer le cap.»
«Dans son rôle»
En faisant cela, «la Cour est pourtant dans son rôle», assène Michel Lascombe, professeur de droit public financier à l’IEP de Lille: «C’est une juridiction indépendante, chargée d’évaluer les politiques publiques et d’informer les citoyens. Et quand une politique n’est pas efficiente, elle le dit.» Un rôle de conseil et d’assistance, prévu par la Constitution de 1958 (article 47-2), qui s’est affiné et précisé avec l’adoption de la LOLF (loi organique relative aux lois de finances).
Et cette évolution n’est pas forcément du goût de tous. «Depuis Philippe Séguin, on a une Cour des comptes qui s’arroge des pouvoirs», se désole en effet la sénatrice PS Marie-Noëlle Lienemann. «Oui, c’est comme ça depuis quelques années, confirme Jérôme Guedj. Mais ça a plus de retentissement cette année, parce qu’on est dans un contexte économique tendu.»
Pire, la Cour des comptes, en demandant à l’Etat de réduire ses dépenses, «justifie une politique d’austérité», estime la sénatrice. Pour autant, Didier Migaud, le premier président de la Cour des comptes, n’appelle pas dans l’immédiat à un nouveau plan de rigueur. Mais quelques annonces pourraient venir semer le trouble.
Surveillance accrue
Notamment lorsque le gouvernement envisage, dès mardi, une baisse de trois milliards d'euros, contre 1,5 milliard prévu précédemment, de la dotation de l'Etat aux collectivités locales, ou lorsque François Hollande affirme, toujours mardi, qu'«il ne sert à rien d'afficher des objectifs s'ils ne peuvent pas être atteints». De là à y voir un lien entre ces annonces et le rapport… «Bien sûr que cela peut servir de prétexte», estime Michel Lacombe.
Mais pour Marie-Noëlle Lienemann, l’important est ailleurs: «Pas besoin de la Cour des comptes pour savoir que la situation est compliquée.» Mais «il ne faut surtout pas entrer dans ce cycle d’austérité», prévient la sénatrice. «Les dépenses publiques ne sont pas vaines», plaide de son côté Jérôme Guedj, qui ajoute: «Elles sont même nécessaires, notamment en période de crise.»
Quant aux conseils et avis, distillés par la Cour des comptes, ils devraient encore se renforcer. D’après Michel Lascombe, ce rapport «de transition» est d’ailleurs «extrêmement important, car la Cour des comptes y préfigure le futur rôle du Haut Conseil des finances, qui sera notamment chargé de se prononcer sur les prévisions de macro-économie».
Une surveillance accrue, par des magistrats indépendants, qui n’est pas due au hasard. «La pression du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) oblige à accroître les analyses sur les finances», explique en effet le professeur.