ECOSYSTEMESAvec la chaleur, va-t-on voir débarquer de nouveaux prédateurs en France ?

Réchauffement climatique : Va-t-on voir débarquer de nouveaux prédateurs en France ?

ECOSYSTEMESLa France a vu exploser sa population de moustiques tigres, de frelons asiatiques ou de grenouilles taureaux. D’autres espèces sont à attendre
Laure Beaudonnet

Laure Beaudonnet

L'essentiel

  • Par le passé, la France a vu de nombreuses espèces débarquer sur ses terres sans y avoir été franchement invitées. Souvent la conséquence des activités humaines.
  • Le réchauffement climatique pourrait faire venir de nouvelles espèces et en faire disparaître d’autres.
  • Les écosystèmes mondiaux pourraient s’appauvrir au point de tous se ressembler.

Les températures élevées de l’automne ont clairement rendu fous les insectes. On a vu les moustiques tigres sucer notre sang jusqu’au mois d’octobre, le frelon asiatique bourdonner en dehors de sa période de prédilection. Par le passé, la France a vu de nombreuses espèces débarquer sur ses terres sans y avoir été franchement invitées. Le crabe bleu en Méditerranée, les écrevisses américaines, la grenouille taureau devenue la terreur de Gironde. Et puis, le chacal doré, à mi-chemin entre le loup, le renard et le coyote, normalement réparti en Europe de l’Est et en Asie, a fait son apparition.

Doit-on craindre l’arrivée d’animaux inhabituels ou de nouvelles maladies à cause du réchauffement climatique ? Va-t-on croiser des nouveaux prédateurs à la recherche d’un peu de fraîcheur ou de températures plus clémentes ?

S’il est difficile d’anticiper quelles espèces vont trouver domicile en France et s’y sentir bien, « on peut prévoir sans risque de se tromper que les espèces qui sont dans la partie sud de la France vont monter vers la partie nord », avance Jean-Lou Justine, professeur au Muséum national d’histoire naturelle en France et spécialiste des vers. « Le réchauffement climatique est évidemment en train de changer l’environnement des animaux, des plantes. Cela pourrait être un processus naturel, mais il est, selon certains chercheurs, mille fois plus rapide que la normale. Certaines espèces qui étaient bien installées, avec les changements rapides, ont plus de problèmes pour garder leur place parce que d’autres espèces entrent en compétition et les remplacent », pointe Dirk Schmeller, chercheur au laboratoire écologie fonctionnelle et environnement de Toulouse, spécialiste de l’écologie des montagnes.

La France a vu de nombreuses espèces s’inviter. Le frelon asiatique et le moustique tigre sont un peu les stars du genre. S’ils ont pu proliférer avec les températures élevées, ils ne sont pas arrivés tous seuls avec leurs petites ailes. On sait que le frelon asiatique s’est retrouvé dans un lot de porcelaine venue de Chine, par exemple. « De même, quelqu’un a ramené la grenouille taureau des Etats-Unis parce qu’il trouvait son chant harmonieux », explique Jean-Lou Justine. Mauvaise idée. Le gros amphibien a envahi plusieurs départements de Nouvelle-Aquitaine, mangeant tout sur son passage et ne trouvant pas de prédateur pour contenir sa prolifération.

Des risques pour la santé

Une espèce devient envahissante lorsqu’elle n’est plus dans son écosystème d’origine, mais on ne peut pas prédire si elle trouvera les conditions nécessaires à sa prolifération. « En Chine, le frelon asiatique est sans danger parce qu’il est chez lui, il y a d’autres espèces de frelons là-bas, explique Jean-Lou Justine. Une fois arrivé en France, il a explosé ». « On introduit des nouvelles espèces et si elles sont compétitives, elles peuvent remplacer les espèces indigènes, confirme Dirk Schmeller. Le frelon asiatique a été introduit, le Varroa [une espèce d’acariens parasites] qui tue les abeilles, lui aussi a plus ou moins été introduit avec des abeilles qui viennent de loin. On a aussi des pathogènes, comme le Batrachochytrium dendrobatidis, un champignon qui vient d’Asie et qui touche les amphibiens, il a été importé avec des grenouilles dans le monde entier ».

Jusqu’ici, l’humain était le principal acteur du dérèglement des écosystèmes en sortant des espèces de leur milieu. Le réchauffement climatique ne va rien arranger. Depuis une dizaine d’années, on voit arriver en France des vers plats, appelés plathelminthes. Certaines espèces viennent d’Australie, d’autres d’Amérique du Sud ou d’Asie du Sud-Est. Cette fois, le climat est en cause. « Pour le Bipalium kewense [originaire d’Asie du Sud-Est], jusqu’ici limité à la petite bordure sud de la France, on a fait des modèles climatiques en fonction de l’évolution du climat et on se rend compte que ces plathelminthes vont envahir toute l’Europe, certaines espèces pourront même aller jusqu’en Suède », pointe Jean-Lou Justine. Ces plathelminthes sont tous des prédateurs, ils mangent les vers de terre, très importants pour les sols ».

Autre crainte : ils pourraient participer à la transmission d’un nématode qui s’appelle Angiostrongylus. C’est un ver parasite dont les larves peuvent se trouver dans des limaces ou dans ces fameux vers plats. « Il y a quelques années, un adolescent australien s’est lancé le défi de manger une limace crue, il a fini paralysé avant de mourir. Sans danger pour le rat, chez l’humain, les larves du nématode se perdent et peuvent devenir dangereuses si elles se mettent dans certaines zones du corps », pointe le chercheur. Même si la limace est coupée entre deux feuilles de salade, ou broyée, les larves de nématode peuvent rester vivantes un certain temps et être très dangereuses une fois ingérées. On commence à trouver des cas d’Angiostrongylus dans le sud de la France.

Un seul et même écosystème pour tous ?

Certaines espèces comme le rat ou le merle peuvent s’adapter à de nombreuses conditions. Mais la plupart des espèces ont besoin d’un habitat particulier pour survivre et, avec le réchauffement climatique, elles périront. « Prenons une espèce de montagne, elle a besoin d’un habitat spécifique et de trouver de la nourriture, décrit Dirk Schmeller. Avec le réchauffement climatique, elle voit une déconnexion entre la nourriture et son habitat et elle va disparaître ». On pourrait imaginer des migrations vers le nord pour retrouver les mêmes conditions. « Mais quand l’Antarctique et les pôles seront décongelés, l’ours polaire ne pourra plus retrouver son habitat, il s’éteindra. On peut imaginer ce scénario pour beaucoup d’espèces spécialistes », poursuit le chercheur.

Espèces envahissantes, chaleurs… Imaginez un monde où, de part et d’autre de la planète, il ne reste plus que des punaises de lit, des pigeons et des rats. C’est de la science-fiction, mais à terme, on pourrait se retrouver avec des écosystèmes appauvris et simplifiés. « Plus un écosystème comporte d’espèces, plus il est capable de résister à des agressions. Un écosystème simplifié avec très peu d’espèces résiste moins. C’est peut être la raison pour laquelle on voit de plus en plus d’espèces envahissantes, elles arrivent dans des milieux déjà dégradés qu’elles ont de plus en plus de facilité à envahir », s’inquiète Jean-Lou Justine. Nous avons encore du temps devant nous – plusieurs centaines d’années, selon Dirk Schmeller – avant de voir un écosystème simplifié à l’échelle mondiale.

« Ce qu’on voit arriver, ce sont des écosystèmes qui perdent une partie de leur biodiversité et qui se dégradent, confirme Dirk Schmeller. L’eau et l’air perdent en qualité parce que les services écosystémiques pour les rendre propres ne fonctionnent plus de la même façon. Des cyanobactéries s’établissent dans beaucoup de lacs en altitude, c’est un signe de dégradation. Quand les cyanobactéries meurent, elles relâchent des toxines, l’eau devient moins bonne pour la santé de l’homme et des animaux ». Dans ces conditions, on peut très bien imaginer des proliférations de moustiques tigres ou de micro-organismes pathogènes. Ils n’ont plus de prédateurs du fait de la perte de biodiversité. Voir débarquer des fauves assoiffés, à la recherche de terres plus hospitalières, serait finalement une assez bonne nouvelle comparée au monde qui se dessine.