Météo : Mais à quel point l’actuelle vague de chaleur déboussole les arbres ?
Arboriculture•Septembre a été un mois record, et octobre a commencé fort. Conséquence : nos arbres sont encore bien verts. Et s’il y a des effets positifs, notamment sur le climat, cette nouvelle donne soulève aussi des inquiétudesFabrice Pouliquen
L'essentiel
- Est-on en automne ? On pourrait en douter, alors que les températures restent bien douces et que les arbres bien verts. Inquiétant ? Un peu. Mais cette vague de chaleur, entrecoupée de précipitations, a aussi des bénéfices.
- Sylvain Delzon, chercheur à l’Inrae, cite notamment une période de croissance allongée des arbres cette année, qui a sans doute permis aux forêts françaises de pleinement jouer leur rôle de puits de carbone cette année.
- Dans les vergers, on note aussi des points positifs sur les récoltes en cours. Que ce soit sur l’abondance comme sur la qualité des fruits ramassés. Mais subsistent des inquiétudes sur les conséquences que pourrait avoir cet été indien… au printemps prochain.
Que peuvent-ils bien comprendre, les arbres, à la météo de ces dernières semaines ? Septembre a été marqué par des températures entre 3,5 et 3,6 °C au-dessus de la normale, constatait Météo France vendredi dernier. Et début octobre est parti sur les chapeaux de roues, la journée de lundi se classant parmi les trois les plus chaudes jamais enregistrées.
Cette météo particulière transparaît dans la couleur encore très verte de la végétation. Sylvain Delzon, directeur de recherche en écophysiologie des plantes à l’Institut national de la recherche agronomique (Inrae), n’évoque pas seulement les températures élevées. « La grande différence avec l’année dernière, c’est qu’il ne fait pas seulement chaud, il a beaucoup plu aussi sur une large partie du territoire, parfois abondamment », commence le chercheur.
Des forêts françaises à coup sûr puits de carbone en 2023 ?
Ces conditions sont quasi idéales au bon fonctionnement des échanges gazeux entre les arbres et l’air ambiant. « L’évaporation d’un côté, l’entrée de CO2, via la photosynthèse, de l’autre, reprend Sylvain Delzon. Des arbres continuent de croître en ce moment. »
Si ces températures élevées sont alarmantes, elles peuvent aussi, paradoxalement, avoir des bénéfices, y compris pour le climat. « Puisque la période de croissance est allongée cette année, les arbres vont fixer plus de CO2 et ainsi contribuer plus fortement à diminuer l’effet de serre », indique le chercheur de l’Inrae. Autrement dit, les forêts françaises devraient pleinement jouer leur rôle de puits de carbone en 2023, une mission clé dans la lutte contre le changement climatique mais mise à mal ces derniers temps. « L’an dernier par exemple, la croissance des arbres a été complètement stoppée dès la fin juillet dans de nombreux cas en raison de la sécheresse, rappelle Sylvain Delzon. Les feuilles ont commencé à jaunir, voire à chuter. Dès lors, les arbres ne stockaient plus de carbone mais devenaient même, parfois, des sources d’émissions. »
Des récoltes moins compliquées
Du côté des arboriculteurs – les agriculteurs qui cultivent des arbres pour leurs fruits –, le moral est globalement bon également à écouter Daniel Sauvaitre, secrétaire général d’Interfel, l’interprofession de la filière fruits et légumes frais françaises et producteur de pommes et poires en Charente. « Mieux que l’an dernier, lorsque la sécheresse avait fortement touché les récoltes de nombreux producteurs, précise-t-il. Cette vague de chaleur tardive ne nous a pas fait de mal pour l’instant. » Non seulement, la qualité des fruits que l’on entre dans les chambres froides est bonne, constate-t-il, mais les températures de ces dernières semaines ont permis à certains fruits de jouer les prolongations à la table des Français. C’est le cas des pêches, des abricots et des melons, qui avaient connu un mauvais début de saison.
Obligé d’arroser comme en plein été ?
Alors que bon nombre de cueillettes sont toujours en cours, Françoise Roch, présidente de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF), évoque « cet avantage, pas si négligeable, de pouvoir travailler sous une météo clémente ». Mais cette arboricultrice installée à Moissac, dans le Tarn-et-Garonne, note aussi des points négatifs et brosse un tableau plus nuancé. « Dans ma région par exemple, il n’a pas plu depuis longtemps. Pour de nombreux fruits, on est en pleine récolte. Or, sans eau et avec ces chaleurs tardives, le risque est de ne pas pouvoir mener jusqu’au bout les récoltes. Que les arbres lâchent avant et ne nourrissent plus leurs fruits. Ces derniers tombent alors prématurément. » La hantise pour un arboriculteur : « un fruit à terre est perdu, disent Françoise Roch comme Daniel Sauvaitre. La chute l’abîme, et ce fruit ne se conservera pas. »
Pour éviter cette issue, dans les régions où il a peu plu, « les arboriculteurs ont parfois été contraints d’arroser en septembre comme en plein été », indique Françoise Roch, qui craint que ces arrosages tardifs ne deviennent la norme avec le changement climatique.
Des dormances perturbées ?
Ce n’est pas la seule inquiétude que posent ces débuts d’automne très doux ces dernières années, et potentiellement pour celles à venir. Quels impacts par exemple sur la dormance ? Cette période du cycle des arbres correspond au moment où ils vont entrer dans une phase d’activité ralentie, leur permettant de conserver au mieux leur énergie. Normalement, elle correspond à l’arrivée des premières températures basses d’automne. « Pour la grande majorité des essences, les arbres se préparent à entrer en dormance entre octobre et novembre, indique Sylvain Delzon. Et ils sont caducifolés, c’est-à-dire sans feuilles, à partir de début décembre. » Une vague de chaleur tardive peut perturber ce cycle. « Le risque est d’avoir des bourgeons qui éclosent [on parle de débourrement] de façon erratique, en plein janvier par exemple, poursuit Sylvain Deloze. Bien trop tôt donc. Les températures basses de l’hiver grilleront ces jeunes feuilles et fleurs. Ce seront autant de bourgeons qui ne feront pas de fruits au printemps. »
On n’en est pas encore là, glissent Daniel Sauvaitre et Françoise Roch, qui espèrent que les températures finiront par tomber d’ici novembre, pour écarter définitivement ce risque. En attendant, la présidente du FNPF reste en alerte sur certains arbres fruitiers comme les cerisiers, dont la récolte a lieu tôt dans l’année. Entre mai et début juillet. « Dans les territoires où l’eau manque, les arboriculteurs cessent d’arroser leurs cerisiers une fois la récolte finie, pour la garder prioritairement pour leurs arbres encore en fruits, explique Florence Roch. Très vite, ces cerisiers perdent leurs feuilles et entrent en dormance. Mais cette vague de chaleur tardive cumulée parfois à des précipitations peut totalement déboussoler les cerisiers au point qu’ils bourgeonnent dans les prochaines semaines », reprend l’arboricultrice. Là encore, ce serait autant de bourgeons qui ne donneront pas de fruits au printemps prochain.