RAPPORTLa France mise-t-elle trop sur ses forêts pour viser la neutralité carbone?

Climat : La France a-t-elle trop parié sur ses forêts pour atteindre la neutralité carbone ?

RAPPORTC’est l’une des inquiétudes que soulève le Haut conseil pour le climat dans son rapport annuel publié mercredi : nos forêts absorbent de moins en moins de CO2. Or, la France mise beaucoup dessus pour atteindre la neutralité carbone
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • Comme chaque année à cette période, le Haut conseil pour le climat (HCC) a publié, mercredi soir, son rapport sur les politiques climatiques du gouvernement. On en est au cinquième du genre.
  • Comme l’an dernier, le HCC pointe, parmi les tendances inquiétantes, une baisse de la capacité de nos puits de carbone naturels - les forêts en tête - à séquestrer du CO2.
  • En cause, le changement climatique, qui accroît la mortalité des arbres et réduit leur croissance. Problème : pour atteindre la neutralité carbone en 2050, la France misait beaucoup sur leur pouvoir d’absorption.

Des forêts qui émettent plus de CO2 qu’elles n'en absorbent… En est-on arrivé là en France ? Dans son rapport annuel publié mercredi soir, qui vise à évaluer les politiques climatiques de la France, le Haut conseil pour le climat (HCC) s’alarme, comme l’an passé, de la baisse de capacité d’absorption de CO2 des forêts. Et cite trois régions où les forêts sont désormais émettrices de CO2 : la Corse, les Hauts-de-France et le Grand-Est.

Le HCC, composé de treize experts indépendants, s’appuie sur plusieurs sources : le dernier inventaire forestier national, publié fin 2022 par l’IGN, les dernières données du Citepa, l’organisme qui produit les inventaires nationaux d’émissions de gaz à effet de serre, mais aussi l’étude de l’Académie des Science sur les forêts françaises face au changement climatique, publiée le 7 juin.

Un pouvoir de séquestration qui s’amenuise

Tous font ce constat d’une capacité d’absorption de CO2 des forêts déclinante. C’est pourtant un atout de taille dans la lutte contre le changement climatique. Avec les océans, elles sont les principaux puits de carbone naturels, capables de stocker durablement, dans le bois et les sols, le CO2 émis dans l’atmosphère.

Selon les dernières données officielles, la forêt française a absorbé, en 2021, 31,2 millions de tonnes de CO₂ (Mt CO₂), soit environ 7,5 % des émissions nationales, rapportait Le Monde le 6 juin. Pas rien donc… Mais « la séquestration carbone [de la forêt française] a diminué d’un quart depuis dix ans », pointe l’Académie des sciences.

La situation n’est pas homogène sur le territoire, tempère le HCC. Les puits de carbone forestiers sont notamment en légère hausse en Nouvelle-Aquitaine. Mais ailleurs, ils sont soit globalement stables, soit « en forte baisse ». C’est le cas en Bretagne, Centre-Val-de-Loire, Bourgogne-Franche-Comté, Auvergne-Rhône-Alpes et Pays-de-la-Loire. Ajoutez les trois régions dans lesquels les forêts sont carrément devenues émettrices de CO2, et vous obtenez ce tableau inquiétant.

Une mortalité des arbres en hausse de 54 % sur une décennie

Pourtant, les forêts métropolitaines couvrent 17,1 millions d’hectares, soit 13 % du territoire. C’est deux fois plus qu’il y a 200 ans. Jérôme Chave, chercheur au laboratoire « Evolution et diversité biologique » (CNRS), en fait « l’une des transformations marquantes du XXe siècle en France ». « Au fur et à mesure des progrès technologiques, on a eu moins besoin de terres agricoles », explique-t-il. Mais si ces forêts continuent de croître en métropole, c’est à un rythme bien moins soutenu. « Et puis on a beaucoup planté au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, des arbres qui ont aujourd’hui fini de grandir ou le font moins, si bien qu’ils absorbent moins de CO2 », reprend Jérôme Chave.

En parallèle, les prélèvements de bois augmentent, ajoute l’Académie des technologies. Mais la première cause à l’amenuisement du puits de carbone forestier français est bien le changement climatique. Sur la dernière décennie, la mortalité des arbres a augmenté de 54 %, indique l’IGN. La récurrence des épisodes de sécheresse favorise les feux de végétation - 72.000 ha ont brûlé en 2022 - et expose les arbres au stress hydrique. Mais Jérôme Chave invite à voir plus loin : « quand elles ne les tuent pas, ces sécheresses affaiblissent les arbres, les rendant plus vulnérables aux maladies et aux ravageurs ».

La stratégie climatique qui tangue

Dans cette histoire, il n’y a pas que les forêts qui flanchent, mais aussi toute la stratégie climatique française. Pour rappel, le grand objectif est celui de la neutralité carbone à atteindre en 2050, et qui nous verrait émettre moins de CO2 qu’on est capable d’en retirer de l’atmosphère chaque année. Autrement dit, on peut jouer sur deux leviers : baisser les émissions de gaz à effet de serre, et augmenter la capacité de séquestration de nos puits de carbone.

D'ailleurs, ne sont pas pris en compte seulement les forêts, mais aussi les haies, les prairies, les sols agricoles, qui peuvent tous aussi stocker du carbone suivant l’usage qu’on en fait. Le tout est rangé dans la catégorie « Utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresteries (UTCATF) » dans la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). Ce document clé, qui doit être révisé d’ici la fin de l’année, fixe les grands objectifs climatiques de la France et les budgets carbone à ne pas dépasser, secteur par secteur, pour les atteindre. Des transports à l’agriculture en passant par l’industrie et donc l’UTCATF, le seul qui peut être à émissions négatives.

A-t-on trop misé sur ce secteur ? C’est bien le problème pour Nicolas Nace, chargé de campagne transition énergétique à Greenpeace France. « Sur la période 2002-2015, l’UTCATF permettait de séquestrer entre 35 et 50 Mt CO2 par an, commence-t-il. L’actuelle SNBC faisait le pari que cette capacité serait stable jusqu’en 2030. Non seulement on est très loin de ces objectifs, mais on s’en éloigne. » En 2021, l’UTCAF aurait ainsi permis de séquestrer « seulement » 17,1 MTCO2, indique le Haut conseil pour le climat. Soit une baisse de 21 % par rapport à 2020. Et si les chiffres 2022 ne sont pas encore connus, le HCC s’attend à ce que la tendance à la baisse se poursuive tant les sécheresses et vagues d’incendie ont marqué l’année dernière.

La révision de la SNBC, l’occasion de rectifier le tir

Pour Nicolas Nace, il y a urgence : le gouvernement doit revoir ses ambitions sur ces puits de carbone, au risque de mettre en péril la crédibilité de sa feuille de route climatique. « En 2050, l’actuelle SNBC estime qu’ils permettront de stocker 80 MT CO2 par an, rappelle-t-il. Il faut bien sûr tout faire pour accroître la capacité de ces puits, mais ces estimations gonflées semblent surtout un moyen d’être moins ambitieux sur les baisses des émissions de gaz à effet de serre. » Le gouvernement a l’occasion de rectifier le tir alors que toute une série de documents clés sur la planification écologique doivent être révisés ou adoptés dans les prochains mois. Cette séquence doit s’ouvrir dans les prochains jours alors que l’exécutif a promis de présenter une première ébauche… de la future SNBC justement.