Comment le « plus beau village de la Drôme » a-t-il fait accepter ses huit éoliennes à ses habitants ?
PRÉCURSEUR•Perchées dans la forêt communale, les huit éoliennes de Marsanne, un village de la Drôme près de Montélimar, ne « dérangent pas » les habitants, certains ont même investi financièrement dans leur renouvellementElise Martin
L'essentiel
- 20 Minutes est partenaire de la Fédération française des trucs qui marchent. Et celle-ci a repéré un projet d’éoliennes à Marsanne dans la Drôme.
- Entre 2008 et 2011, huit éoliennes ont été installées dans la forêt communale de 1.100 hectares. Contrairement à d’autres sites, la population est restée plutôt conciliante avec ce projet. Au point où une centaine d’habitants ont décidé d’investir dans le renouvellement du parc éolien.
- D’après le maire actuel Damien Lagier, le fait de ne pas voir les éoliennes depuis le village est d’une des raisons de l’acceptation de la population.
De notre envoyée spéciale à Marsanne (Drôme)
A une quinzaine de kilomètres de Montélimar, dans la Drôme provençale, à 515 mètres d’altitude, la forêt communale de Marsanne est un lieu de pleine nature où de nombreuses randonnées sont proposées, à pied ou à vélo. Très appréciée par ses 1.300 habitants, elle attire également de nombreux touristes qui font doubler la population de la commune l’été. Avec 1.100 hectares de surface, elle devient même parfois un repaire de rave party.
Depuis 2008, une nouvelle activité s’est ajoutée aux promenades dans les bois : la production d’énergie. Hautes de 107 m et s’étalant sur 4 km de chemin, huit éoliennes surplombent désormais la crête de cette colline, située à quelques minutes à pied du centre du village médiéval de Marsanne, élu « plus beau village » du département en 2022.
De qui dénaturer le paysage ? « J’aime bien y aller pour balader mon chien », lance en souriant une habitante croisée sur le retour. « Ça ne m’empêche pas d’aller chercher mes champignons », répond un autre promeneur. Ce jour-là, dans les rues du village élu, la majorité des locaux partagent leur avis. « Les éoliennes ne me dérangent pas tant qu’elles ne sont pas devant chez moi », répètent-ils tous, presque d’une seule voix. Malgré leur taille imposante, ces infrastructures ne sont pas visibles depuis le centre du bourg. « C’est pour cette raison, entre autres raisons, que le projet n’a pas reçu de grande opposition à l’époque [contrairement à de nombreux projets ailleurs en France] », estime Damien Lagier, actuel maire de la commune.
Une production d’énergie équivalente aux besoins de 17.000 personnes
Cette « bonne intégration paysagère » – repérée par la Fédération française des trucs qui marchent qui a fêté sa 2e édition ce mardi – faisait partie des conditions requises pour pouvoir implanter les éoliennes, selon les documents de la société gestionnaire Q Energy. « Des études ont été menées concernant chaque possible nuisance (visuelles, sonores, environnementales) et elles ont toutes conclu à peu d’impacts, assure l’élu. En plus, en compensation d’éventuels troubles pour la faune et la flore, on a mis en place un îlot de sénescence, une zone forestière laissée en vieillissement naturel, et un maintien d’arbres biologiques pour préserver notre biodiversité. »
De cette manière, « beaucoup de gens se sont approprié le site », affirme le maire. Pendant l’été, l’office de tourisme propose deux à trois sorties commentées par semaine. Le reste de l’année, ce sont les écoles, les lycées régionaux et des élus de toute la France qui viennent visiter. « On s’est rendu compte avec le temps que c’était vraiment quelque chose qui marche », ajoute Damien Lagier.
Et apparemment « mieux qu’ailleurs », selon les habitants. Car, si on ne peut pas voir les éoliennes de Marsanne, on peut facilement en apercevoir d’autres sur les communes alentour, ce coin de la Drôme étant très plébiscité pour son « gisement de vent ». « Le parc éolien de Marsanne est l’un des plus performants d’Europe avec une production continue et des pales qui ne s’arrêtent jamais, souligne le maire. Elles produisent l’énergie nécessaire pour 17.000 personnes, soit 30% de la population de Montélimar-Agglomération. A l’échelle de la commune, c’est 600 % de ce que l’on consomme. »
Une centaine d’habitants investit dans le renouvellement d’une éolienne
La durée de vie d’une éolienne étant d’une quinzaine d’années, la question du renouvellement d’une partie du parc (six sur huit) est arrivée très vite sur la table de la nouvelle équipe municipale en 2020. « Après une enquête publique sans aucun avis négatif, on a présenté le projet près de cinq fois en conseil, précise l’élu. La préfecture a ensuite pris un arrêté pour acter le chantier et nous n’avons fait l’objet d’aucun recours. »
« On ne pouvait pas dire non à un tel projet », lance de son côté Pierre Petit, habitant du village depuis trente ans. Baguette de pain et journal sous le bras, l’homme de 73 ans se souvient d’une « communication » très importante, il y a quinze ans, avec « des visites de chantier » et une « transparence » dans ce qui allait être fait. « Encore aujourd’hui, pour poursuivre le projet, il y a des réunions publiques pour s’informer, continue-t-il. Pour moi, les éoliennes ont donné un élan sur les énergies renouvelables dans le village. Ça a été le point de départ d’une dynamique. » Une centaine d’habitants ont tellement été convaincus qu’ils ont investi dans la campagne de financement participatif pour le renouvellement d’une des éoliennes à hauteur de 250.000 euros au total.
Après les éoliennes, les panneaux photovoltaïques ?
Et du côté de la municipalité, « ça ne coûte rien ». Au contraire. « Grâce aux nouvelles éoliennes, plus performantes, plus de 38.000 personnes seront alimentées en électricité, soit deux fois plus qu’avant », indique Damien Lagier qui précise que l’énergie produite n’est pas réinjectée directement dans le réseau local.
Cependant, l’entreprise gestionnaire, considérée comme « une petite zone d’activité », permet à la commune de toucher 88.000 euros par an de retombées fiscales. Des retombées qui doubleront après le renouvellement du parc, précise Damien Lagier. « Ça a été notre bouclier face à l’augmentation des prix de l’énergie, cela représente un huitième de notre budget de fonctionnement », complète-t-il.
Il conclut : « Le pari a été réussi mais ce n’est pas gravé dans le marbre. Il est possible qu’en 2040, la nouvelle équipe décide de tout arrêter. Le fait que ce ne soit pas irrémédiable joue aussi dans la balance selon moi. » En attendant, le maire favorise l’installation de panneaux photovoltaïques. Mais loin des vieilles maisons en pierre qui font la réputation du plus beau village de la Drôme car Marsanne reste un site patrimoine remarquable pour lequel chaque modification doit être négociée avec les bâtiments de France.
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