Pyrénées : Quand les montagnards créent la « 9G », un réseau citoyen pour repérer les ours
haute surveillance•En Ariège, les opposants à l’ours s’inquiètent de leur nombre et de leur proximité. Ils viennent de créer leur propre réseau de surveillance « instantanée »Hélène Ménal
L'essentiel
- L’Ariège concentre une bonne partie des ours des Pyrénées et de l’hostilité à l’égard des plantigrades.
- Les opposants les plus actifs viennent de lancer avec humour la « 9G » ariégeoise. En fait, neuf boucles WhatsApp, pour neuf vallées, pour assurer une vigilance « citoyenne » pour signaler instantanément où les plantigrades se baladent.
- Ceux qui ne croient pas « à la fable que l’ours est gentil » veulent « protéger » les troupeaux et bergers, mais aussi les randonneurs et les cueilleurs de champignons.
De notre envoyée spéciale à Foix (Ariège),
« Il était à vingt mètres de la cabane ! Et malgré le gros phare, les aboiements des chiens, il n’a pas reculé. Il a laissé de grosses empreintes. » Ce lundi soir, à la chambre d’Agriculture de l’Ariège, « la nuit d’angoisse » vécue par deux bergères la semaine dernière sur une estive du Haut Couserans où rôdait un ours alimente les conversations autour du bon gros buffet campagnard. Il y a là des éleveurs, des chasseurs, des randonneurs – souvent les trois à la fois – venus de neuf vallées d’un département de loin le plus apprécié par les plantigrades pyrénéens. « 90 % des ours sont chez nous, il y en a au moins 70, tous issus de la réintroduction », assure Magali Lacube, administratrice de l’association Aspap* à la pointe du combat contre la présence de ces « grands prédateurs » dans le massif et qui multiplie les alertes sur sa page Facebook depuis qu’un joggeur a été tué par un ours dans le Trentin, en Italie.
Pour cette soirée à Foix, le mot d’ordre était simple: « Apportez votre couteau et votre téléphone ». Le couteau pour couper les grosses miches de pain et la charcutaille, le téléphone pour intégrer le cercle des abonnés à la « 9G » des montagnes ariégeoises. En haut de l’escalier extérieur en colimaçon, les bénévoles ont créé neuf îlots de réception, un pour chaque vallée concernée. Chacun choisit la sienne, les Mont d’Olmes par exemple pour Maxence, 21 ans, « fils et petit-fils de paysan ».
« Faire notre jogging au milieu de bêtes de 200 kg »
Quelques anciens téléchargent WhatsApp pour la première fois, et en deux-trois minutes de tapotage le visiteur du soir intègre la « boucle » de son coin. Une boucle qui donnera l’alerte « instantanément » à la communauté, à la moindre empreinte, la moindre découverte d’une touffe de poils, ou pire, en cas d’apparition d’un ours. « Dans ce dernier cas, les membres s’engagent à prévenir leur maire et les autorités. On le fait pour s’entraider dans la communauté pastorale mais aussi pour les cueilleurs de champignons, les promeneurs, les randonneurs, explique Magali Lacube entre deux annonces au micro et un dépannage de chargeur. Parce que, nous, nous ne croyons pas la fable que l’ours est gentil et parce que c’est pas parce qu’on habite en Ariège qu’on doit faire notre jogging au milieu de bêtes de 200 kg. »
Géolocaliser les ours, c’est déjà possible, sur le site de l’Etat. On peut y voir les signalements officiels, les attaques de troupeau en cours d’investigation, le retour des « pièges photographiques » placés par les techniciens de l’Office français de la Biodiversité (OFB). « A condition d’être patients », glisse gentiment Sandrine. La jeune éleveuse en cours d’installation en Haute-Ariège vient d’intégrer le groupe de Vicdessos, son territoire préféré pour randonner, « toutes les semaines », avec sa bande de copines. Grâce à la boucle, « on partira plus sereines », dit-elle, en n’excluant pas de « changer d’itinéraire au dernier moment » en fonction des informations du réseau. Une cinquantaine de randonneurs occasionnels, non ariégeois, qui ont eu vent de la « 9G » ont envoyé un mail et seront bientôt aussi « intégrés » aux boucles par les bénévoles.
« Je préfère les éviter que de finir de prison »
« Moi, c’est parce que je suis chasseuse et que je préfère les éviter plutôt que de finir en prison », lance Annie. Cheveux poivre et sel coupés court, elle fait allusion au chasseur attaqué par une ourse en 2021 dans sa vallée d’Ustou et toujours poursuivi pour « destruction d’espèce protégée ». La quinquagénaire, toute nouvelle « administratrice » du groupe local, vit « en ville », à Saint-Girons, mais ses deux sœurs sont toujours éleveuses « là-haut ». L’un d’entre elles a déjà croisé un ours. « Elle a eu la peur de sa vie ».
Alain, éleveur dans les Mont d’Olmes, a aussi son histoire d’ours. Il a perdu un taurillon en 2017. « L’ours, j’en cauchemarde toutes les nuits, ça m’a même bousillé la santé », confie-t-il. Persuadé que les autorités minimisent le danger, y compris pour les touristes, il aimerait bien, à l’occasion que les citadins « révisent leur cours de SVT ». « Nous, on sait comment la nature fonctionne ! Nos bergers, nos bêtes vivent désormais dans un stress permanent », assure Gisèle, la présidente d’un groupement pastoral victime d’un des plus gros « dérochements » de ces dernières années. Des dizaines de brebis effrayées se sont jetées dans le vide. L’éleveuse a intégré tous les groupes lundi « pour veiller les uns sur les autres ». Elle est « inquiète pour [ses] bergères stagiaires », parties poursuivre leur formation ailleurs dans le massif. Elle veut « pouvoir les prévenir en cas de danger ».
* Association pour la sauvegarde du patrimoine Pyrénées-Ariège
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