Gironde : Sur la déviation du Taillan-Médoc, un pont pour faire traverser… les papillons
BIODIVERSITE•Ce pont expérimental doit permettre de sauvegarder l’Azuré de la Sanguisorbe, une espèce protégée qui avait fait annuler le chantier de la déviation routière du Taillan-Médoc en 2015Mickaël Bosredon
L'essentiel
- La présence sur le tracé de l’Azuré de la Sanguisorbe, espèce protégée, avait été à l’origine de l’annulation de ce chantier en 2015, après un recours d’associations environnementales.
- Le département avait dû revoir sa copie d’un point de vue environnemental, et consacrer au final 9 millions d’euros, soit 20 % du budget global, aux aménagements en faveur de la faune et de la flore.
- Cette déviation routière au nord-ouest de Bordeaux sera inaugurée le 26 novembre prochain, soit quarante ans après le lancement du projet. Elle doit permettre le délestage de 20.000 véhicules qui passent chaque jour par le centre du Taillan-Médoc.
On connaissait le crapaudrome, le crapauduc, l’écuroduc… Mais pas encore l’écopont à papillons. Ce trou dans la raquette, parmi l’ensemble des aménagements routiers qui existent pour les animaux, sera bientôt comblé. Le conseil départemental de la Gironde va expérimenter un écopont pour l’Azuré de la Sanguisorbe, une espèce de papillon affilié à la plante du même nom, à l’occasion de l’inauguration le 26 novembre prochain de la déviation routière du Taillan-Médoc, près de Bordeaux.
Ce pont au profil évasé, dont la construction se chiffre à 1,6 million d’euros sur un budget global de 47 millions d’euros pour la déviation, doit permettre de « connecter » ce papillon aux fourmis et à la sanguisorbe avec qui il interagit. « La conception de l’ouvrage a été réfléchie avec un bureau environnemental », précise le conseil départemental, qui organisait mardi une visite de chantier à moins de deux mois de l’ouverture au public de ce nouvel axe routier.
Canaliser le papillon vers l’écopont par un effet d’entonnoir
« On n’avait encore jamais fait un écopont pour un papillon », assure Marc Magendie, responsable du bureau d’étude nord au service infrastructure et mobilité du conseil départemental, en nous montrant de la sanguisorbe qui a été déplacée du tracé de la déviation, pour la replanter sur les bas-côtés. Des murs de trois mètres de haut, sur une distance de 300 mètres d’un côté et un peu plus de 1.000 mètres de l’autre, seront aussi installés, « là où la présence du papillon a été identifiée, pour l’empêcher d’aller sur la chaussée, et le canaliser vers l’écopont, dans une sorte d’effet entonnoir », poursuit-il.
Mais pourquoi prendre autant de précaution, et dépenser autant d’argent, pour un papillon ? Il faut d’abord rappeler que les aménagements routiers tuent chaque année en France des millions d’animaux et d’insectes. Surtout, le tracé de cette déviation routière passe tout simplement au milieu du site de Lesqueblanque à Saint-Aubin-de-Médoc, un périmètre de près de 3 hectares, qui représente le dernier spot connu en Nouvelle-Aquitaine de l'Azuré, une espèce protégée. Ce papillon à la biologie spécifique (les œufs sont pondus dans les fleurs et les larves sont élevées par un seul type de fourmi) est particulièrement rare, et menacé de la disparition progressive de son habitat.
C’est pourquoi la présence de ce papillon, qui fait l'objet d'un Plan national d'actions (PNA) visant à assurer sa protection, avait conduit à l’annulation du chantier en juillet 2015. Autant dire que la collectivité ne lésine désormais plus pour le chouchouter… Encore plus après l’âpre combat judiciaire mené par plusieurs associations environnementales, qui se sont mobilisées pour faire annuler le projet de cette route de 8 km, menaçant selon elles l’existence même de l’Azuré.
« Pire tracé possible » selon les associations
Le projet de déviation routière de la ville du Taillan-Médoc, située entre le Médoc et Bordeaux, remonte à il y a quarante ans. L’objectif est de proposer un itinéraire de délestage aux 20.000 véhicules, dont environ 10 % de poids lourds, qui traversent chaque jour l’artère centrale du Taillan, créant des embouteillages monstres. En 2014, les premiers travaux de défrichage commencent enfin. Avant d’être stoppés en 2015, après une première annulation du projet par le tribunal administratif, saisi d’un recours par les associations France Nature Environnement et Natur’Jalles.
Celles-ci soulignent alors que « le pire tracé possible » a été choisi pour cette déviation, puisque sur 8 kilomètres, « on ne rencontre pas moins de trois espèces de papillons protégées, neuf d’amphibiens, sept de reptiles, 36 d’oiseaux, 23 de mammifères et 19 de chauve-souris. » Et notamment l’Azuré de la Sanguisorbe.
Le département doit donc revoir sa copie, et planche sur un nouveau projet, avec des compensations environnementales plus ambitieuses, et la construction de corridors écologiques plus conséquents. Un avis favorable est rendu en 2019, avant que le projet soit à nouveau attaqué en 2020, année durant laquelle deux recours d’associations seront cette fois rejetés.
Bout du tunnel
Après un ultime round devant le tribunal administratif en avril dernier, le département voit donc le bout du tunnel dans ce dossier. Mais la collectivité a tenu à se blinder sur l’aspect environnemental, qu’elle met régulièrement en avant. « Sur ce chantier, près de 20 % du budget a été consacré à la défense environnementale », insiste ainsi Jean Galand, vice-président chargé des mobilités et des infrastructures. Soit environ neuf millions d’euros.
Cette déviation entre Arsac et Saint-Aubin-de-Médoc, est ainsi passée de 2x2 voies, à 2x1 voie, hormis sur un court tronçon, pour réduire son emprise. « Nous étions au départ sur un fuseau de 70 mètres de large, que l’on a ramené à 46 mètres dans les zones humides, et même à 25 mètres au droit de la station de l’Azuré de la Sanguisorbe », enchaîne Marc Magendie. Quelque 164 hectares autour du périmètre de la déviation font l’objet de mesures compensatoires, dont 80 % ont été rachetés par le département pour « sanctuariser » ces espaces dans la durée.
Il va falloir mesurer l’effet sur le papillon
Une dizaine d’ouvrages hydrauliques souterrains doivent permettre à l’ensemble de la faune de traverser sans encombre, complétés par deux autres, spécifiques aux chauves-souris. Dans la continuité des murs, une haie et une clôture sont également censées protéger les espaces naturels de la déviation. « Tout est fait pour faire passer les animaux au-dessus ou au-dessous, il ne faut pas que l’infrastructure constitue une barrière » explique le chargé de mission Environnement Nicolas Joubert.
L’écopont servira quant à lui à l’ensemble de la faune également. Reste maintenant à mesurer son effet sur les papillons… Le lépidoptère « vit essentiellement sur la fleur, donc plutôt à terre, pour une durée qui ne dépasse guère trois ou quatre jours » assure Marc Magendie, confiant dans la capacité du dispositif à capter les spécimens.
« Nous devons faire des suivis de population sur trois ans, prévient le responsable du bureau d’études, car il est possible que le papillon, pour des conditions météo ou autres, ne sorte pas durant une année, ce qui ne présage en rien de ce qu’il va se passer l’année suivante. » Une opération de capture-marquage sera menée dès 2023, « pour voir si le papillon a utilisé l’écopont ou pas. »
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