COP28 : « L’idéal serait une date ferme de sortie des énergies fossiles », espère Christophe Béchu
20 MINUTES AVEC•Le ministre de la Transition écologique a répondu à nos questions à quelques heures de son départ pour la COP28 de Dubaï
Propos recueillis par Thibaut Le Gal, Emilie Petit
L'essentiel
- Christophe Béchu est ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires depuis juillet 2022.
- A quelques heures de s’envoler pour la COP28 de Dubaï, l’ancien maire d’Angers répond aux questions de 20 Minutes.
- ll évoque les attentes de la France pour cette conférence sur le climat, la difficulté à peser dans les arbitrages gouvernementaux, et répond à la polémique récente sur ses trajets en avion privé.
«Même si la tâche est compliquée, elle vaut le coup ». Malgré les défis et les critiques, Christophe Béchu ne regrette pas son arrivée au « ministère de l’impossible », en juillet 2022. A quelques heures de s’envoler pour la COP28 de Dubaï, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires répond aux questions de 20 Minutes. Il évoque les attentes de la France pour cette conférence sur le climat, la difficulté à peser dans les arbitrages gouvernementaux, et répond à la polémique récente sur ses multiples trajets en avion.
Nous avons été incapables de respecter l’objectif de + 1,5 °C lié à l’accord de Paris. Les COP ont-elles vraiment un intérêt ?
La COP se tient cette année à Dubaï, elle est présidée par le patron d’une compagnie pétrolière pour discuter de la sortie des énergies fossiles. Je peux comprendre qu’on se demande si ça sert à quelque chose. On arrive généralement avec beaucoup d’espoir et à la fin, quand on voit la frilosité ou le recul pour assumer des positions fortes sur le plan international, on a des résultats décevants.
La vérité, c’est que ce n’est pas la recette magique ; mais il se serait passé quoi s’il n’y avait pas eu l’accord de Paris ? La COP est au climat ce que la démocratie est à l’organisation des sociétés. Comme disait Churchill, « c’est le pire des systèmes à l’exclusion de tous les autres ».
Mais est-ce le bon format ?
C’est le plus visible, mais il y en a d’autres. Il n’y a plus un G7 ou un G20 où l’on ne discute pas d’écologie. On le fait aussi à l’échelle de l’Union européenne avec le Green Deal [accord européen pour viser la neutralité carbone en 2050]. Ce n’est pas en refusant de discuter avec les autres pays qu’on réussira à régler le problème.
Sultan al-Jaber est DG d’un groupe pétrolier. Était-ce le bon profil pour présider cette COP28 ?
Ce n’est pas la France qui l’a choisi, ni l’Europe. Mais il y a un principe en matière de diplomatie environnementale, c’est la rotation des continents. Et là, c’est au tour des pays du Golfe, qui ne sont pas les plus engagés dans la sortie des énergies fossiles. Mais ce n’est qu’en arrivant à convaincre ces pays qui dépendent du pétrole qu’on arrivera à sortir des énergies fossiles.
Peut-on espérer un accord sur la sortie des énergies fossiles durant cette COP28 ?
Tout ce qu’on peut obtenir, il faut aller le chercher. L’idéal serait une date ferme de sortie sur les énergies fossiles. A défaut, une date par type d’énergie fossile. Et sinon, au moins des engagements sur le charbon, première source de gaz à effet de serre dans le monde. Par ailleurs, on a déjà eu de bonnes nouvelles sur les enjeux de justice climatique et de solidarité, avec la création d’un fonds « pertes et dommages » pour accompagner les pays les plus fragiles. Et sur l’engagement de 120 pays, sur les 195 présents, à tripler les investissements dans les énergies renouvelables.
En parlant de sortie des énergies fossiles, un projet controversé de forage pétrolier en Gironde est en cours. N’est-ce pas paradoxal ?
Il y a des nappes de pétrole en France. Celle en Gironde est exploitée depuis soixante-cinq ans, et il y a actuellement des demandes d’autorisation pour de nouveaux puits à l’intérieur de cette nappe. Il faut sortir d’une forme d’hypocrisie environnementale qui serait de fermer les puits en France pour augmenter la part de pétrole qu’on importe. La France a un calendrier : en 2040, tous les forages existants seront fermés. Mais sortir du pétrole, ça veut surtout dire se passer de la dépendance aux énergies fossiles, par exemple avec davantage d’aides, et en développant la voiture électrique.
La transition énergétique fera perdre 13 milliards d’euros aux recettes de l’Etat d’ici à 2030, en fiscalité sur les carburants, et 30 milliards d’ici à 2050, selon la Direction générale du Trésor. Faut-il s’attendre à de nouvelles taxes ?
Ces chiffres reflètent notre ambition : avoir 30 % de véhicules électriques au sein du parc automobile français à la fin de la décennie. Il n’y aura pas de transition écologique sans transition fiscale. L’écologie, ça ne peut pas être le prétexte pour augmenter les impôts, avec le risque de monter les Français contre l’écologie.
Alors comment combler ce manque à gagner ?
Il faut repenser notre modèle. La fiscalité doit refléter ce qui est bon ou non pour la planète. Un exemple : acheter un champ ou une forêt pour faire un lotissement coûte actuellement moins cher que de prendre une friche industrielle pour reconstruire dessus. C’est un problème. Je suis pour augmenter la fiscalité sur ces terrains naturels rendus constructibles. Il faut que les nouvelles taxes d’un côté soient accompagnées par des baisses de taxes de l’autre.
La notion de justice sociale n’est-elle pas trop absente des politiques climatiques ?
On ne fera pas l’écologie contre les Français. Les discours de radicalité, le disque rayé de ceux qui dénoncent une inaction climatique… Tout cela entretient une forme de climato-défaitisme qui fait qu’ensuite, lorsqu’on demande aux gens de faire des efforts, ils nous disent : « mais pourquoi, puisqu’on nous dit qu’on ne respecte pas l’accord de Paris ? ». Il faut tenir un cap, c’est la planification écologique. Et mettre des moyens, c’est le sens des 10 milliards d’euros supplémentaires débloqués en 2024. Ces moyens doivent être fléchés vers ceux qui en ont le plus besoin.
Robert Vautard, nouveau coprésident du Giec, a déclaré à 20 Minutes que nous étions mal préparés aux événements climatiques extrêmes à venir. La France est-elle condamnée à avoir un temps de retard ?
Nous devons à la fois baisser nos émissions et nous préparer à des températures plus élevées. Les vagues de chaleur, les inondations… Tout cela est lié au dérèglement climatique. En janvier, je présenterai le Plan national d’adaptation au changement climatique, et les mesures permettant de faire face à une France à + 4 °C. Il va notamment falloir refonder notre système de résistance aux catastrophes naturelles, repenser nos règles d’assurance et nos dispositifs à destination des écoles et des crèches.
Pourquoi tout cela n’a pas été fait avant ?
Certains de mes prédécesseurs n’ont pas voulu aller sur ce thème par peur que ce soit compris comme un renoncement. Ça n’a d’ailleurs pas loupé. Quelques députés qui n’y connaissent rien ont dit : « c’est la preuve qu’ils renoncent ». C’est exactement l’inverse ! C’est le recto et le verso d’une même page. Même si demain, on atteint la neutralité carbone, on devra aussi faire face au dérèglement qui est la somme des émissions relâchées dans l’atmosphère depuis des décennies.
Vous avez déclaré dans Sud Ouest que les jeunes français avaient « tendance à dénoncer des choses mais à ne pas toujours en tenir compte dans leur propre comportement de consommateur ». Les jeunes seraient hypocrites sur le climat ?
Ce que je veux dire, c’est qu’on a à la fois une génération qui participe au succès de la fast-fashion, notamment avec le Black Friday, ce qui accélère une partie de la difficulté dans laquelle on se retrouve. Et dans le même temps, elle est gagnée par une forme d’éco-anxiété. Je suis convaincu qu’il faut donner les moyens à cette jeunesse de s’engager.
Selon le journal La Topette, vous auriez multiplié les vols intérieurs pour des déplacements officiels via des avions d’affaires. Comprenez-vous que ça puisse choquer ?
J’assume pleinement ces vols et la nécessité de l’exemplarité. J’ai dû faire entre 100 et 130 déplacements avec cette règle : quand un trajet dure moins de quatre heures, il a lieu en train. Quand un trajet dure plus de quatre heures, il a lieu en avion. Quand un trajet dure entre trois et quatre heures, on regarde les options.
Sur cette centaine de déplacements, j’ai fait une dizaine d’allers-retours en avion, dont environ la moitié non pas avec des jets ou des avions d’affaires, mais des avions-école de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), dans des cas d’urgence ou de drames. Ensuite, il y a quelques cas dans lesquels il n’y avait pas de ligne commerciale, donc pas d’autre option. Nous avons des liaisons ferroviaires très bien faites depuis Paris, mais ce n’est pas le cas sur tout le territoire.
En tant que ministre de la Transition écologique, avez-vous parfois l’impression de ne pas être entendu par rapport à d’autres ministères, par exemple Bercy ?
Plus vous restez longtemps, plus vous pesez. Quand vous avez un ministre de l’Économie et des Finances qui est là depuis sept ans, il y a un poids personnel. Il y a aussi un poids spontané de Bercy dans la République. Par ailleurs, on a beaucoup changé de ministre de l’Écologie. Quand vous arrivez au ministère et que vous voyez les photos de tous les prédécesseurs, ça montre à quel point il y a une forme d’obsolescence programmée.
Pourtant, il y a besoin de temps pour avoir des résultats. Le fait est qu’au bout de 18 mois dans ce ministère, ma visibilité, ma légitimité et ma capacité à gagner des arbitrages sont plus fortes. Par exemple, dans un contexte de tensions budgétaires, l’écologie est l’endroit où les crédits progressent le plus en 2024. Ça montre bien que la planification écologique promise par le président de la République n’est pas un slogan. C’est une réalité.