Et si des moustiques OGM pouvaient aider à limiter la population de moustiques-tigres ?
biologie fondamentale•Eric Marois, chargé de recherche Inserm à l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire (CNRS) de Strasbourg explore les possibilités de réduire la population de moustiques-tigres grâce à des modifications ADN ciblées sur cet insectePropos recueillis par Elsa Provenzano
L'essentiel
- Eric Marois, chercheur en biologie fondamentale, explique à 20 Minutes comment grâce aux ciseaux moléculaires de type Crispr/Cas9 il est possible de couper de l’ADN à un endroit précis pour créer un moustique transgénique.
- Ses travaux explorent les possibilités de transformer les femelles des moustiques-tigres en mâles ou de rendre leur descendance stérile pour lutter contre cet insecte issu d’une espèce invasive et vecteur de maladies.
- Si l’efficacité des ciseaux moléculaire est forte, son équipe pourra présenter une solution pour la société d’ici trois à cinq ans. Resterait alors à définir un cadre réglementaire sur-mesure.
Et si la lutte contre le moustique-tigre, cette espèce invasive originaire d’Asie du sud-est et installée depuis une vingtaine d’années en France, n’était pas totalement perdue d’avance ? Le projet exploratoire d’Éric Marois, chargé de recherche Inserm, au sein de l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire (CNRS) à Strasbourg, livre quelques espoirs.
Ce chercheur en biologie fondamentale explique à 20 Minutes que grâce aux ciseaux moléculaires de type Crispr/Cas9 il est possible de couper de l’ADN à un endroit précis pour créer un moustique transgénique. Celui-ci va permettre soit de transformer les femelles des moustiques-tigres en mâles, soit de rendre leur descendance stérile. Pour trier les insectes ainsi modifiés, ils sont rendus fluorescents en laboratoire. Le point sur ces travaux, financés pour au moins quatre ans par l’agence nationale de la recherche et qui pourraient faire parler d’eux dans les prochaines années.
Qu’est-ce que le forçage génétique et à quelle date cette technique a-t-elle été identifiée ?
Le forçage génétique, soit l’idée d’utiliser des éléments génétiques pour modifier les caractères des moustiques, remonte aux années 1960. Mais à l’époque, il n’y avait pas du tout les outils pour le réaliser en laboratoire. C’est en 2012, avec la découverte des ciseaux moléculaires de type Crispr/Cas9, qui a valu le prix Nobel de chimie à Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, qu’est vraiment rendue possible son application. Il s’agit de réaliser artificiellement un ARN guide (comme il en existe à l’état naturel) et ainsi on dirige la protéine Cas9 sur une séquence d’ADN choisie au sein du génome qu’on souhaite.
Comment l’utilisation de ces ciseaux moléculaires se traduit dans vos travaux sur les moustiques-tigres ?
Il y a au moins deux plans différents qui sont envisagés, à ce stade. Le premier consiste à transformer les femelles en mâles en introduisant le gène de la masculinisation, déjà naturellement présent chez cette espèce, mais dont on rajoute une copie. Il suffit de l’exprimer dans une femelle pour la transformer en mâle. Chez les mâles génétiquement modifiés, le gène masculinisant va infecter les chromosomes qui ne le possèdent pas et toute leur descendance sera alors masculine. Cette stratégie est un exemple de ce qu’on appelle le forçage génétique. La population des femelles diminue alors, en théorie. Cela pourrait prendre de l’ordre de vingt générations de moustiques, soit deux à trois ans, pour envisager leur disparition.
Si ce plan A ne fonctionne pas, notamment parce qu’il existe une incertitude sur la capacité du gène de la masculinisation à se recopier efficacement sur les autres chromosomes chez les moustiques-tigres, un plan B est alors envisagé. Il consiste à mutagéniser des gènes de fertilité femelle, de sorte que les filles des mâles transgéniques soient stériles (et pas transformées en mâles). Cela limiterait la population de moustiques mais ne l’éradiquerait pas totalement. Cette solution moins radicale présente l’avantage d’être possiblement mieux acceptée pour ceux qui sont inquiets vis-à-vis des OGM à forçage génétique.
Existe-t-il un risque de porter atteinte à l’espèce dans son aire d’origine, en Asie du Sud-Est ?
Le problème des stratégies de forçage génétique (plan A) c’est qu’elles sont très difficiles à contrôler. Une fois que les moustiques OGM seraient relâchés dans la nature, on aurait beaucoup de mal à les récupérer si on se rendait compte que cela ne produit pas ce que l’on escomptait. On ne peut pas exclure qu’ils puissent alors se propager jusqu’à leur aire d’origine même s’il y a des barrières naturelles. Mais cela paraît moins probable que le moustique OGM fasse le chemin inverse parcouru par le moustique-tigre.
Et, je ne suis pas persuadé que les Asiatiques seraient contre l’éradication de ce moustique qui leur pose à eux aussi problème. Il faut savoir qu’il existe 3.500 espèces de moustiques dans le monde et d’autres moustiques présents dans l’écosystème pourraient remplacer le moustique-tigre s’il disparaît vraiment.
Est-ce que d’autres espèces de moustiques pourraient être mises en danger par la diffusion de ces moustiques OGM ?
L’intervention génétique envisagée ne concerne qu’une seule espèce. La probabilité d’un transfert de matériel génétique qui ne passe pas par la reproduction sexuée est proche de zéro. On ne peut pas exclure qu’un transgène se retrouve dans un autre insecte mais la beauté des ciseaux moléculaires de type Crispr/Cas9 c’est qu’ils sont incroyablement spécifiques d’une espèce donnée. On les programme avec un ARN dont la séquence ne se trouve que dans l’espèce qu’on cherche à modifier, et les moustiques-tigres n’ont pas de cousins proches en France.
Je tiens aussi à souligner qu’il faut mettre en balance ces nouvelles technologies avec les anciennes : des insecticides qui sont très néfastes pour l’environnement et la santé humaine. Les techniques des moustiques OGM sont plus ciblées, moins aléatoires, et feraient beaucoup moins de dommages collatéraux.
Quelles sont les prochaines étapes pour ces travaux ?
Tout dépend de l’efficacité des ciseaux moléculaires. Si elle est forte, on pourra présenter une solution pour la société d’ici trois à cinq ans. Cela peut être plus long ou même ne pas aboutir du tout.
On essaie d’obtenir la preuve de principe en laboratoire et ce sera ensuite à la société et aux organismes de régulation de mettre en place les outils pour réaliser une évaluation indépendante. Si elle est positive, cela pourrait éventuellement déboucher sur un agrément pour que cela se fasse sur le terrain. Une épidémie de dengue ou de chikungunya (maladies transmises par le moustique) pourrait aussi précipiter les choses et c’est aussi notre rôle de nous préparer à l’émergence de ces nouveaux risques.