Chine: le barrage des Trois Gorges pose de plus en plus de problèmes
ENVIRONNEMENT•Glissements de terrain et pénuries d'eau menacent les rives du Yangtsé...© 2011 AFP
Un torrent de problèmes: le barrage des Trois Gorges sur le Yangtsé, construit pour fournir de l'énergie propre et lutter contre les inondations, provoque des glissements de terrain et une pénurie d'eau en Chine centrale, affirment experts et riverains. En octobre dernier, un assourdissant glissement de terrain a dévalé sur la ville de Badong, en amont du barrage, précipitant la maison de Wang Songlian et une douzaine d'autres dans un profond ravin. Les cicatrices de ce genre d'incidents, fréquents, sont visibles dans cette ville dont les habitants rendent le plus grand barrage du monde responsable des récents changements géologiques et sismiques dans la région. «C'est à cause du barrage. Il y a davantage de glissements de terrain et de secousses depuis 2003», année où l'immense lac de réservoir a commencé à être rempli, assure Wang, un homme âgé de 66 ans. L'énorme masse d'eau retenue par le barrage pourrait effectivement favoriser les mouvements tectoniques, estiment certains géologues.
30 fois plus de tremblements de terre
Selon un rapport rédigé l'an dernier par des scientifiques chinois et publié par Probe International, le nombre de tremblements de terre dans la région --pour la plupart d'une faible magnitude, inférieure à trois-- a été multiplié par 30 depuis 2003, et les terrains en pente ont été déstabilisés. Le gouvernement chinois souligne que le plus grand ouvrage hydroélectrique du monde produit de l'électricité propre et est utile contre les inondations qui ravagent régulièrement la plaine centrale, en aval. Le mois dernier, il a toutefois concédé «des problèmes qui doivent être résolus de façon urgente, dans les domaines du relogement des résidents, de la protection de l'environnement et de la prévention des catastrophes écologiques».
Le barrage, symbole «de tout ce qui ne va pas dans les prises de décision politiques»
La construction de l'immense ouvrage, qui a nécessité le déplacement de 1,4 million de personnes, avait démarré en 1994 en dépit des mises en garde de nombreux experts chinois et étrangers. «Maintenant que le barrage fonctionne, les problèmes sont patents et ont atteint une telle ampleur que le gouvernement ne peut plus les ignorer», a déclaré à l'AFP Patricia Adams, qui dirige l'organisation Probe International basée au Canada, laquelle recense depuis de longues années toutes les difficultés des Trois Gorges. Aujourd'hui, les dirigeants chinois «cherchent à se protéger parce que le barrage est devenu un symbole de tout ce qui ne va pas dans les prises de décision politiques en Chine», selon elle.
La qualité de l’eau s’est dégradée
A Badong, le relief escarpé a toujours été propice aux glissements de terrain, mais selon la population locale, cela a clairement empiré. Les murs du principal lycée de la ville sont traversés par des craquelures qui s'agrandissent, tandis que le gouvernement local a ordonné le relogement de dizaines de milliers de personnes sur des terres plus sûres situées loin du fleuve, sur les hauteurs.
L'opérateur du barrage, qui a refusé de répondre aux questions de l'AFP, soulignait encore récemment les retombées positives du projet. L'été dernier, il a permis de réduire la crue la plus grave que le Yangtsé ait connu en dix ans. Mais au printemps, suite à la pire sécheresse dans le centre de la Chine en plusieurs décennies, certains lacs naturels en aval des Trois Gorges étaient à sec. Il «peut écrêter les crues, mais les gens se rendent désormais compte que cela signifie moins d'eau dans ces lacs, et diminue beaucoup les ressources en eau de la région», selon Ma Jun, auteur du livre La crise de l'eau en Chine. Aussi les régions situées en aval envisagent-elles de construire leurs propres barrages, tandis que des dizaines d'autres ont été achevés ou sont en cours de réalisation sur le cours supérieur du fleuve et de ses affluents. «Les perturbations du système hydrologique du Yangtsé n'augurent rien de bon pour des millions de gens qui vivent de la pêche, de l'agriculture et du commerce», avertit Patricia Adams. Quant à la qualité de l'eau, elle s'est dégradée avec le ralentissement du débit du fleuve.