ENVIRONNEMENTLa reforestation, c'est le Pérou

La reforestation, c'est le Pérou

ENVIRONNEMENTAu Pérou, les cultures intensives de coca et le narcotrafic gagnent chaque jour du terrain sur la forêt amazonienne. Mais, au nord du pays, de petits producteurs de cacao engagés dans un vaste projet de reforestation prouvent qu'un autre modèle est possible...
Déforestation de la forêt amazonienne, au Brésil.
Déforestation de la forêt amazonienne, au Brésil. - AZOURY RICARDO/F4/SIPA
Alice Pouyat

Alice Pouyat

Accrochée aux eaux vives du Rio Huayabamba, la pirogue à moteur file dans un décor de cinéma: la forêt amazonienne. Lianes folles, bruissements inquiétants, lumière brumeuse, tout y est. Et soudain, changement de cadre. Sur l’une des rives, la mosaïque de verts tendres laisse place à de larges morsures grises et ocres, terres brûlées, cultivées, asséchées. Bienvenue au nord du Pérou, dans l’État de San Martin, où la déforestation frôlerait déjà les 40 %. En cause, notamment, des cultures intensives de coca, plante sacrée pour les Indiens, aujourd’hui vénérée par les trafiquants de cocaïne, son dérivé chimique. Mais, depuis peu, de petits producteurs entrent en résistance et choisissent une autre voie : l’agroforesterie, combinant cultures de cacao équitable et reforestation.

Cacao contre coca

C’est le cas des membres d’Acopagro, une coopérative née à la fin des années 1990 avec le soutien de l’ONU. À l’époque, le pays mène une intense campagne de lutte contre la coca, avec des battues militaires dans la jungle, mais aussi des interventions pacifiques pour persuader les cocaleros de se convertir. Un pari laborieux puisque la coca est alors dix fois plus rentable que les autres cultures, et que les narcotrafiquants, soutenus par les guérilleros du Sentier Lumineux - groupe maoïste qui renaît de ses cendres - ne lâchent pas la partie facilement.

À force d’insistance, et à la faveur d’une baisse du cours de la coca, la coopérative a finalement convaincu quelques agri­culteurs. L’un d’eux, Lino Paredes de Castillo, témoigne : « Des millions de dollars transitaient dans la région, mais nous vivions la peur au ventre. Nos cultures pouvaient être détruites par la police d’un jour à l’autre, les Colombiens débarquaient en hélicoptère, ivres et armés. Les eaux étaient polluées par les produits chimiques utilisés pour la transformation en cocaïne. Et plus personne ne voulait étudier car les professeurs gagnaient moins que les paysans ! ».

Aujourd’hui, 1 500 producteurs installés le long du fleuve Huayabamba ont rejoint Acopagro. Près de 1 500 autres ont déjà postulé, aspirant à des revenus stables qu’ils espèrent aussi doper, grâce au programme de reforestation lancé sous l’impulsion de Pur Projet(*). Dédié à la lutte contre le réchauffement climatique, ce collectif fondé en 2008 par Tristan Lecomte - également patron de l’entreprise de commerce équitable Alter Eco - a prévu la plantation de deux millions d’arbres dans la région d’ici à trois ans. Une initiative financée par la vente de crédits carbone à des particuliers ou des entreprises qui souhaitent compenser leurs émissions de CO2. Son plus gros contributeur, Vittel, a ainsi acheté 350 000 plantons en 2010, dont 150 000 dans la région, à quatre euros l’unité.

Fiers d’être des pionniers

Dans le petit village de Santa Rosa, devant les chaumières aux toits de palme, les 24 familles de producteurs accueillent en fanfare les plantons apportés en pirogue par la coopérative Acopagro : des essences natives et menacées, comme l’acajou, le bolaina, le capirona, ou précieuses, comme le teck et le cèdre rouge, toutes achetées dans une pépinière locale 100 % bio. « Nous sommes fiers d’être des pionniers de la reforestation. Les gens se rendent bien compte que la sécheresse augmente », confie Oswaldo del Castillo, chef du village. Sa femme n’a conservé qu’un seul plant de coca, « pour les tisanes ». Mais, « notre motivation est aussi économique » avec un gain de 400 euros par mois en moyenne. Pour chaque pousse mise en terre, ils reçoivent 40 centimes d’euros en plus. Demain, grâce à ces arbres, ils devraient multiplier par deux leur rendement de cacao. « C’est le principe de l’agroforesterie, très efficace en milieu tropical, explique Gonzalo Ríos, gérant d’Acopagro. Les arbres protègent les cultures du soleil lors des fortes chaleurs, retiennent l’eau et les minéraux lors des pluies diluviennes. Et donc améliorent la productivité ».

« Un plan épargne retraite »

Ils pourront aussi, dans dix ou quinze ans, vendre du bois. Un teck, par exemple, peut se négocier 80 euros pièce (500 à 1 000 arbres peuvent être plantés sur un hectare). Ici, les producteurs appellent cela leur « plan épargne retraite ». Un plan strictement contrôlé. Maria del Pilar, agronome pétulante d’Acopagro, visite régulièrement les planteurs pour leur octroyer ses conseils sur la taille, l’exposition ou les engrais naturels à employer. Pur Projet apporte aussi son expertise. Et, tous les cinq ans, un organisme de certification international (SGS) viendra compter et mesurer les arbres pour évaluer le CO2 capté.

Mais, Acopagro voit déjà plus grand. Avec Pur Projet, elle vient d’obtenir la gestion pour quarante ans de 260 000 hectares de forêt vierge que l’État péruvien n’a pas les moyens de protéger. Sur le sentier tracé à la machette qui mène à la cascade del Breo, chute féérique de 140 mètres de haut, des papillons turquoises, des arbres à sève rouge (cicatrisant naturel), des cris de singe « choro », à queue jaune, l’une des nombreuses espèces menacées de la région. Grâce à la vente de crédits carbone, cette fois pour « déforestation évitée », la coopérative entend préserver ce territoire menacé, en générant des ressources pour les locaux. « Nous souhaitons engager des gardes forestiers, créer un petit circuit d’écotourisme, développer un parc botanique pour promouvoir nos connaissances des espèces médicinales, en collaboration avec la faculté », explique Neisser Bartra Ramirez, spécialiste en biodiversité associé au projet. Nous n’en sommes qu’au début. Mais si nous arrivons à combiner l’essor écologique et économique de la région, alors je pourrais mourir tranquille… »

* Plus d’infos : purprojet.com


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