« Les congélateurs sont pleins »… Que faire de la viande de sanglier après les abattages par centaines de milliers ?
gâchis•Face à la prolifération de l’espèce, les chasseurs tuent de plus en plus de gibier mais peinent à valoriser la viandeCamille Allain
L'essentiel
- Chaque année, près d’un million de sangliers sont tués par les chasseurs dans le but de réguler l’espèce, capable de gros dégâts dans les champs.
- Consommable et même avantageuse sur le plan diététique, la viande de ce gibier nourri en pleine nature n’est pas vraiment plébiscitée.
- La consommation de sanglier est très faible en France et les chasseurs ne savent même plus à qui en donner tant ils sont débordés.
C’est une espèce sauvage qui ne cesse de proliférer. Pointés du doigt par les agriculteurs pour les ravages causés dans leurs champs de maïs et leurs prairies, les sangliers sont de plus en plus nombreux dans les campagnes françaises. Pour tenter de réguler leur nombre, notre pays cherche encore la bonne solution. La plus utilisée est celle que l’on appelle poliment « le prélèvement », qui consiste à faire appel aux chasseurs pour qu’ils tirent ces cochons sauvages dans les zones les plus touchées. Cette chasse est réglementée mais peut être autorisée toute l’année dans les départements où les dégâts sont les plus importants.
En 2023, l’estimation officielle était de 800.000 sangliers tués en France. Mais dans les rangs des chasseurs, certains n’hésitent pas à proclamer que le million d’animaux abattus a largement été dépassé. Soyons francs, ce chiffre n’émeut pas grand monde, l’animal n’ayant pas beaucoup de défenseurs. Mais il pose une question : que devient toute cette viande de sanglier ? 20 Minutes vous répond.
« Une solution pour lutter contre la faim »
En dehors de la période de Noël où le gibier s’invite un peu chez les bouchers, la viande de sanglier (comme celle du cerf ou du chevreuil) est très difficile à trouver. La question mérite pourtant d’être posée. A l’heure où de plus en plus de Français n’ont plus les moyens d’acheter de la viande, ne serait-il pas vertueux de valoriser ces abattages pour se nourrir ? « Ce serait clairement une solution pour lutter contre la faim en France. Surtout que sur le plan diététique, c’est une viande très intéressante à valoriser. Un cuissot de sanglier, c’est 40 fois moins gras qu’un jambon de porc », assure Arnaud Vincent.
Patron d’une société familiale de boucherie dans la Sarthe, l’homme est un des rares à vendre du sanglier en France. Des rôtis, du sauté ou du filet mignon, proposé à moins de 18 euros le kilo. Mais à l’entendre, c’est un marché de niche. « Sur le million qui est tiré chaque année, on a à peine 70.000 sangliers qui passent dans des ateliers. C’est infime. Parce que la réglementation française est très stricte, mais surtout parce que les clients ne sont pas là », explique-t-il. La viande n’est pas assez tendre ou trop forte aux yeux de certains.
« C’est tendre, c’est goûtu et c’est délicieux »
Dans un pays où la consommation de viande est à la baisse, la probabilité d’un revirement est assez peu probable. Dans la très grande majorité des cas, les sangliers abattus sont redistribués dans un circuit très court : les chasseurs se servent, tout comme les propriétaires des terres sur lesquelles les animaux sont morts. « On en donne aux voisins, aux amis. Il faut aimer cuisiner. Mais je peux vous dire qu’un jeune sanglier, bien préparé, c’est tendre, c’est goûtu et c’est délicieux », assure Antonin Jouquan.
Ce chasseur basé en Ille-et-Vilaine est aussi agriculteur. Lui rêverait de voir les populations diminuer mais reconnaît qu’il est désormais « difficile » de convaincre des chasseurs d’aller au sanglier. « La viande, on ne sait plus quoi en faire. Tout le monde en a chez lui », assure-t-il. « Mon père en fait du pâté et c’est franchement bon. Mais plus personne n’en veut. Les congélateurs sont pleins à force d’en tuer », témoigne Frédéric, éleveur bio de vaches laitières. Patron des chasseurs d’Ille-et-Vilaine, André Douard nuance le propos et assure que tous les beaux morceaux trouvent preneur. « Mais on commence à fatiguer. On ne va pas manger du sanglier tous les deux jours ».
Face à une telle profusion de viande, certains ont bien pensé à des dons aux associations d’aide alimentaire. Mais qui va payer les analyses obligatoires en laboratoire ? Car, si la réglementation autorise un simple contrôle visuel dans le cadre d’un don d’ordre privé, elle est beaucoup plus stricte quand la viande est redistribuée. Un contrôle de trichine est obligatoire, afin de s’assurer que l’animal n’est pas contaminé par ce ver parasite qui peut provoquer de graves symptômes « avec des séquelles parfois irréversibles », selon les professionnels de santé. Attention d’ailleurs, la congélation du sanglier, qui est largement conseillée, ne suffit pas à éradiquer la trichine.
Une infime partie de la viande consommée
Avec de telles contraintes, le don autre qu’à des amis se révèle compliqué, d’autant que la consommation de sangliers n’est pas autorisée par la religion musulmane. Quant à la restauration, elle ne semble intéresser que quelques grands chefs étoilés. En France, le gibier ne représente que 1 % de la viande consommée. Mais quand certains réclament une baisse de l’élevage, la question mérite d’être posée.
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