C’est quoi cette histoire de quotas accordés par la France « au navire de l’enfer » pour pêcher du merlan bleu ?
POLEMIQUE•Des échanges de quotas de merlan bleu contre du cabillaud ont été actés entre la France et la Pologne pour permettre au chalutier géant « Annelies Ilena » de continuer à pêcherJ.G. avec AFP
Ses détracteurs l’ont surnommé « le navire de l’enfer ». Mesurant 145 mètres de long pour 24 mètres de large, l’Annelies Ilena est considéré comme le « plus grand chalutier pélagique du monde ». Un monstre des mers capable d’avaler 400 tonnes de poissons chaque jour dans ses filets et d’en stocker 7.000 tonnes. Avec comme spécialité le merlan bleu qui est transformé à bord en pâte à surimi. Anticipant la retraite du vieux Joseph Roty II, seul navire armé pour la production de surimi en Europe jusqu’alors, la Compagnie des Pêches de Saint-Malo a investi fin 2023 quinze millions d’euros dans ce navire-usine pour installer à bord une unité de production.
Mais l’entreprise bretonne n’en est pas pour autant le propriétaire puisque le chalutier appartient à son actionnaire, la multinationale néerlandaise Parlevliet & van der Plas. Pour complexifier encore le dossier, l’Annelies Ilena bat pavillon polonais, obligeant ainsi la Compagnie des Pêches de Saint-Malo à transférer les droits de capture de son ancien navire français vers son nouveau navire polonais.
Echanges de merlans bleus contre du cabillaud
Une demande qui aurait d’abord été refusée par l’État français au titre de la défense de la souveraineté alimentaire. « La Compagnie des pêches a demandé un transfert sec de ses quotas, sans prendre en compte la demande initiale de l’attribuer à un bateau français. Il n’y aura pas de transfert si le bateau n’est pas sous pavillon français, si la débarque se fait aux Pays-Bas », expliquait en mai Hervé Berville, ancien secrétaire d’État à la mer.
Six mois plus tard, la donne a changé puisque l’on a appris mercredi via un communiqué du ministère de la Mer et de la Pêche « l’autorisation d’un échange de quotas entre la France et la Pologne ». Un accord pas si nouveau car selon le ministère, des échanges de merlans bleus contre des volumes de cabillaud ont déjà été réalisés en cours d’année. « Deux échanges de merlans bleus ont été validés depuis le début de l’année 2024 par mon prédécesseur pour un total de 22.000 tonnes permettant aux navires Émeraude, sous pavillon français, de pêcher plusieurs centaines de tonnes de cabillaud arctique », a précisé le nouveau ministre Fabrice Loher, interrogé mercredi sur le sujet devant l’Assemblée nationale.
Un poisson surpêché selon un organe scientifique
Ces derniers jours, un nouvel échange portant sur 15.000 tonnes de merlan bleu en échange d’un « nouveau quota de 500 tonnes de cabillaud supplémentaires » attribué au navire Emeraude a également été acté. « Ces échanges ne constituent pas un transfert définitif de quotas de pêche qui doivent rester sous pavillon national », a souligné le ministre, ajoutant que « le stock de merlan bleu est en bon état de conservation et fait l’objet d’une exploitation maîtrisée sur la base d’avis scientifiques ».
Sauf que le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) affirme le contraire et souligne que le stock de merlan bleu dans l’Atlantique Nord-Est est surpêché. Cet organe scientifique préconise ainsi une baisse des captures de merlan bleu pour 2025 à 1,44 million de tonnes, contre 1,88 million de tonnes capturées en 2024. Dans un communiqué, l’association Bloom a réagi à cette polémique en critiquant le gouvernement français qui a choisi « de se soumettre aux exigences des lobbies de la pêche industrielle néerlandaise, au détriment des écosystèmes et des animaux marins qui vont voir fondre sur eux ce monstre marin qui avalera tout sur son passage ».
À lire aussi