Inondations en Espagne : Le roi a été pris pour cible car cette « instrumentalisation politique exaspère les habitants »
colère•Sabrina Grillo, maîtresse de conférences en histoire et culture de l’Espagne contemporaine, sur place lors des inondations, explique pourquoi le couple royal et les responsables politiques ont été pris pour ciblePropos recueillis par Emilie Jehanno
L'essentiel
- Reçus aux cris « d’assassins », le couple royal, le Premier ministre et le président de la région de Valence ont dû écourter leur visite à Paiporta ce 3 novembre.
- Sabrina Grillo, maîtresse de conférences en histoire et culture de l’Espagne contemporaine à l’université Paris-Est Créteil, était sur place lors de la catastrophe.
- « Très touchée » par ce qu’elle a vu, l’experte revient sur les conséquences politiques de l’absence de coordination dans la gestion de la crise.
De la boue jetée sur le couple royal. Dimanche 3 novembre, le roi et la reine d’Espagne, le Premier ministre socialiste Pedro Sánchez ainsi que Carlos Mazon, le président conservateur de la région, ont été contraints par une foule en colère d’écourter leur visite à Paiporta, reçus aux cris « d’assassins ». Cette commune de la région de Valence a été une des plus sinistrée par les inondations, qui ont fait au moins 217 morts.
Pour 20 Minutes, Sabrina Grillo, maîtresse de conférences en histoire et culture de l’Espagne contemporaine à l’université Paris-Est Créteil, décrypte les conséquences politiques de cette catastrophe. Mais elle était aussi sur les lieux lors des inondations. Revenue en France il y a deux jours, elle explique avoir été « très touchée » par ce qu’elle a vu, des amoncellements de « voitures, branches, parechocs, frigos » qui barraient la route à la détresse des gens « qui pleurent spontanément quand on leur demande si ça va ».
Comment expliquer la colère des habitants ?
« La délégation a mis plusieurs jours à venir sur les lieux. Dimanche, certains Espagnols, il est vrai, attendaient cette présence en signe de soutien. Mais c’est surtout le décalage entre les attentes de la population et l’absence de mesures pour gérer une tempête inédite qui a alimenté une situation déjà très complexe et tendue sur place. Les habitants se sont retrouvés isolés, coupés littéralement de tout, et se sont organisés en catastrophe pour s’entraider. Un flux de volontaires a défilé sur les ponts qui relient la ville aux zones les plus touchées. Ces ponts de solidarité se sont créés spontanément. »
Pourquoi le couple royal a-t-il été pris pour cible lors de sa visite ?
« L’incompréhension s’est vite transformée en colère, puis en rage comme en attestent les vidéos de l’accueil fait à la délégation royale, dimanche. La venue tardive de leurs dirigeants quelques jours après la catastrophe intervient en pleines recherches des corps disparus alors que d’autres entament déjà un deuil douloureux. C’est l’absence de bienséance qui est critiquée par certains et l’hypocrisie qui est dénoncée par d’autres. En effet, la délégation était composée du couple royal, du président du gouvernement et du président de région pour signifier une certaine unité d’action dans leur démarche alors que c’est précisément l’absence de coordination dans la gestion de la crise qui a empiré la situation selon les victimes. »
« Les autorités valenciennes et le gouvernement central espagnol se renvoient la responsabilité de la gestion de la crise. Carlos Mazón, président de la Generalitat [le gouvernement de Valence], reproche au gouvernement de ne pas avoir activé à temps la coordination de la Protection civile et d’avoir tardé à envoyer des alertes sur les dispositifs mobiles, ce à quoi les instances centrales répondent que tout ceci relève uniquement des compétences des communautés autonomes. L’instrumentalisation politique des conséquences de cette tempête désastreuse exaspère les habitants. L’Agence de l’État de météorologie [Aemet] s’est défendue d’avoir alerté à divers moments des dangers en approche. »
A quels autres moments la monarchie espagnole a-t-elle été contestée ?
« Divers troubles avaient eu lieu en Catalogne en 2021 à la suite de la condamnation du rappeur Pablo Hasél à neuf mois de prison pour des accusations d’apologie du terrorisme et d’injures envers la Couronne. Le texte de sa chanson Ni Felipe VI critiquait à la fois la monarchie et le gouvernement, qualifié de ''pseudo-progressiste''. L’appel explicite à la violence et la mobilisation sociale s’étaient concrétisés en brûlant publiquement des photos de la famille royale lors de la Diada [fête nationale de la Catalogne].
Tous les articles sur les inondations en EspagneL’abdication de Juan Carlos en 2014 et son exil visaient à rétablir la confiance envers la monarchie et dissocier le règne de Felipe VI des précédents scandales qui ont alimenté un certain déficit de légitimité de la famille royale, en raison des affaires entourant l’ancien roi Juan Carlos I. Ces manifestations, la colère et la douleur d’aujourd’hui s’associent dans un même élan pour faire état peut-être d’une nouvelle crise de confiance envers ces institutions. »