Agriculture : L’incroyable affaire de la coriandre bio (qui pousse comme des champignons)
Ruée (éphémère) vers l’or•En Occitanie, une alléchante prime à la conversion pour la coriandre bio a provoqué un engouement sans précédent et un imbroglio administratif qui ravivent la colère des agriculteurs
Hélène Ménal
L'essentiel
- En un an, la surface de coriandre bio cultivée en Occitanie a été multipliée par sept, sans l’once d’un débouché commercial.
- Une prime de conversion en bio de 900 euros/l’hectare est à l’origine de cet engouement incontrôlé, et l’Etat se trouve dans l’impossibilité de verser le montant astronomique des aides.
- Dans le Gers, la Haute-Garonne et le Tarn-et-Garonne, les chambres d’agriculture s’apprêtent à porter l’affaire en justice, et la colère gronde à nouveau dans les rangs des exploitants qui refusent d’être réduits au cliché du « chasseur de primes ».
Le bonheur est-il dans la coriandre bio ? Tout porte à le croire si l’on se fie à l’incroyable boom qu’a connu cette année la plante aromatique en Occitanie. Les surfaces cultivées y ont été multipliées par sept, passant de 1.800 ha à 11.700, sans l’once d’un débouché commercial. Un engouement inédit particulièrement marqué dans le Gers, puis dans la Haute-Garonne et le Tarn-et-Garonne.
Faut-il y voir une conversion des locaux à la cuisine asiatique ? La découverte des vertus insoupçonnées d’une infusion à la coriandre ? L’affaire, sur le point de finir au tribunal, de virer au casse-tête administratif et même d’allumer une guerre de clochers entre agriculteurs bio et exploitants conventionnels, est plus prosaïque.
Une prime « à la conversion » de 900 euros l’hectare
Le succès de la coriandre bio sur un tout petit périmètre tient en réalité à une classique prime PAC : 900 euros par an et par hectare converti, dans la limite de 20 hectares. Les agriculteurs ont fait leurs calculs, le bouche à oreille a fait le reste. « Et vous vous doutez bien qu’il n’y a absolument aucun marché pour cette coriandre, qui n’est même pas récoltée ou même broyée dans le champ », peste Philippe Camburet, le président de la Fédération nationale d’Agriculture biologique (FNAB) particulièrement remonté contre ce « détournement du système ». Selon ses calculs, « seulement 9 % des fermes qui ont semé de la coriandre bio en 2024 étaient des fermes exclusivement bio ». Ces dernières étant probablement, à l’origine, celles à qui l’Etat destinait ce coup de pouce après l’effondrement des ventes du bio provoqué par l’inflation.
La « caisse » vidée d’un coup
Mais paysans conventionnels ou bio, tout le monde se retrouve maintenant dans la panade. Car si la prime était versée comme prévu cette année, « ces seules demandes […] représenteraient le versement de quelque 50 millions d’euros [environ 10 millions d’euros par an sur cinq ans], explique la préfecture d’Occitanie. Elles consommeraient donc plus de crédits que l’enveloppe allouée au territoire régional toutes productions confondues ». D’où l’arrêté - anti-chasseur de primes diront les mauvaises langues - pris en plein mois d’août. Il « plafonne » l’aide de 900 euros à trois hectares de coriandre bio. Or, certains en ont semé 10 ou 20, incluant la prime dans leur trésorerie.
La nouvelle a mis le feu aux campagnes occitanes. Au point qu’il a fallu renégocier ce plafond. Un nouvel arrêté modificatif en date du 20 septembre fait une concession : Le plafond subventionné passe de 3 à 6 hectares mais uniquement pour les jeunes agriculteurs. Un ajustement « qui concerne 13 dossiers sur les 137 concernés dans la Haute-Garonne, 70.000 euros sur les 1,4 million d’euros qui manquent », constate, amer, Nicolas Ates, le secrétaire général de la Chambre d’agriculture de la Haute-Garonne. Le responsable confirme que son organisme rejoint la croisade des agriculteurs du Gers et du Tarn-et-Garonne : un recours est en préparation devant le tribunal administratif contre ces règles du jeu qui changent en cours de partie.
« A ce tarif-là, vous y allez »
« La question qu’il faut se poser, c’est pourquoi les agriculteurs sont tombés dans ce système, souligne Nicolas Ates. Peut-être parce que les trésoreries sont complètement à plat, qu’ils sont les plus pauvres d’une région où le revenu agricole est le plus faible de France et qu’ils ne demandent qu’à vivre dignement de leur métier ».
Dans son exploitation haut-garonnaise du Burgaud, Marie-Laurence Grzeskowiak a autorisé ses copines à venir piquer de la coriandre dans son champ même si elle est désormais desséchée. L’agricultrice, membre du bureau de la FDSEA, a semé pour la première fois cette année 10,5 hectares de l’aromate bio, « près d’un petit bois », à l’écart des autres cultures. Il n’a nécessité aucun produit, pas d’arrosage, et elle le laisse actuellement sur pied « pour réensemencer ». Elle reconnaît bien volontiers que la « prime a tout déclenché ». « Ici, on n’a pas les rendements des grandes exploitations du nord. Quand vous faites trois tonnes de blé à l’hectare, à 200 euros la tonne, auxquels il faut enlever les charges, et que vous avez de la coriandre à 900 euros l’hectare, forcément, à ce tarif-là, vous y allez, pose-t-elle comme une évidence. On est comme tout le monde, on travaille pour gagner de l’argent ».
L’étincelle d’une énorme colère
Le nouveau plafond – 6 hectares pour Marie-Laurence puisqu elle est en Gaec * avec son mari – va creuser un trou de quelque 4.000 euros dans sa trésorerie et occasionner un véritable casse-tête pour les quatre hectares à condamner. Mais elle songe surtout aux jeunes fraîchement installés qui ont établi leur plan d’exploitation sur cinq ans, basé sur 20 hectares de coriandre.
« Une affaire "typique de ces décisions totalement déconnectées de la réalité des agriculteurs, prises dans un bureau par quelqu’un qui ne saurait pas reconnaître une poule d’une pintade" »
« Ce n’est pas nous qui avons demandé une prime de 900 euros, c’est l’Etat qui nous l’a proposé », rappelle l’exploitante. Pour elle, l’affaire est « typique de ces décisions totalement déconnectées de la réalité des agriculteurs, prises dans un bureau par quelqu’un qui ne saurait pas reconnaître une poule d’une pintade ». Même l’agriculteur bio Philippe Camburet, qui « alerte sur un risque similaire » sur le persil ou le cumin, pointe « une PAC trop complexe » et une administration « qui n’a pas les moyens de contrôler les décisions qu’elle prend ».
« Maintenant, l’Etat nous dit qu’il ne paiera pas, qu’il n’y a pas l’argent. Et après on s’étonne qu’on fasse des barrages », constate Marie-Laurence. Elle est persuadée que « quand les moissons et les semis seront finis », le monde agricole occitan va se « remettre en colère ». Comme il y a un an.
* Groupement agricole d’exploitation en commun
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