Protection des animauxPeut-on tordre le cou aux « méthodes cruelles » d’élimination des pigeons ?

Prolifération des pigeons : Peut-on tordre le cou aux « méthodes cruelles » d’euthanasie ?

Protection des animauxLa limitation du nombre de pigeons dans certaines villes donne lieu à un débat sur la manière de procéder
Gilles Durand

Gilles Durand

L'essentiel

  • La prolifération des pigeons en ville peut créer des nuisances, ce qui amène certaines municipalités à utiliser des méthodes « cruelles » pour les éliminer, comme le gazage, l'étranglement ou le tir.
  • Des associations comme Projet Animaux Zoopolis militent pour l'arrêt de ces méthodes et proposent des solutions de régulation alternatives, telles que l'installation de pigeonniers contraceptifs.
  • Le ministère de l'Écologie confirme que tuer les pigeons n'est pas efficace sur le long terme et recommande plutôt une « stratégie globale incluant des méthodes répulsives ».

Comment limiter la prolifération des pigeons ? En une centaine d’années, ces oiseaux sont passés du statut de héros de la nation, après la guerre 14-18, à celui de nuisibles. Transport de certaines maladies, nuisances sonores et olfactives, dégâts sur certains bâtiments à cause des fientes… Dans les villes, le pigeon jouit parfois d’une mauvaise réputation, parfois usurpée puisque certaines études démontrent qu’il ne représente pas un problème de santé publique.

Alors pourquoi lui réserver un sort particulièrement cruel lorsqu’il s’agit de s’en débarrasser ? Face à la pression de l’association Projet animaux zoopolis (Paz), certaines villes doivent engager le débat, souvent houleux, sur les méthodes de limitation des populations.

« Une ville sur deux pratique encore des méthodes cruelles »

Ainsi, l’intervention de Paz, à Saint-Herblain, près de Nantes, a incité la ville à renoncer, en mars, aux méthodes brutales. La commune avait fait préalablement appel à une société chargée de tordre le cou des bestioles après « des accidents de personnels dans les cages d’escalier extérieures de l’hôtel de ville, en lien avec la fiente des pigeons ».

Il y a encore une quarantaine d’années, il n’était pas rare, dans certains villages, de « nettoyer » les clochers d’église de ces oiseaux qui avaient l’habitude d’y nicher et de tout saloper. Une tâche qui incombait au maire et à quelques bénévoles. Les pigeons ramiers étaient étranglés et les plus jeunes victimes offertes comme nourriture à la population qui faisait une cure de pigeons aux petits pois pendant une dizaine de jours.

La tradition se perd mais pas la méthode. Selon nos informations, à Villeneuve d'Ascq, près de Lille, la ville a récemment engagé une société spécialisée pour détruire les pigeons installés dans le château de Flers, une bâtisse du XVIIe siècle. A Reims, une manifestation est organisée devant la mairie, samedi, contre le gazage des pigeons. Le même type de contestation a eu lieu à Arras, dans le Pas-de-Calais, début septembre.

Selon Paz, qui a réalisé un état des lieux sur 250 villes de France, dont les plus importantes, « une ville sur deux pratique encore des méthodes cruelles ». « Méthodes qui englobent l’euthanasie par le tir, l’étranglement ou le gazage, mais aussi la stérilisation chirurgicale et l’effarouchement avec des faucons », explique Amandine Sanvisens, cofondatrice de Paz.

Maïs ou pigeonniers contraceptifs

Le sujet reste très sensible puisque 69 villes consultées ont refusé de transmettre les documents demandés, parmi lesquelles Rouen ou Lourdes. L’asso a dû saisir le tribunal administratif pour faire respecter ce droit de consultation, rapporte le site Actu.fr. Car l’asso veille au grain pour proposer des solutions alternatives comme le nourrissage avec du maïs contraceptif ou l’installation de pigeonniers contraceptifs.

« La ville de Barcelone étudie l’efficacité du maïs contraceptif depuis sept ans, précise Amandine Sanvisens. En France, la ville de Quimper utilise aussi ce moyen ». La méthode la plus éprouvée reste, néanmoins, le pigeonnier contraceptif, récemment installé à Metz ou Strasbourg.

L’idée n’est pas nouvelle puisque le premier abri de ce type a été posé en 1995, il y a presque trente ans, à Chatillon, dans les Hauts-de-Seine. Paris avait emboîté le pas, en 2003, dans le 14e arrondissement, pour un coût de 20.000 euros par pigeonnier, raconte Le Figaro.

Il s’agit d’une grosse cabane en bois posée sur un mât central. L’objectif est d’y loger des pigeons chargés d’attirer ceux du voisinage. Un technicien est chargé de nourrir la colonie et de stériliser les œufs selon plusieurs procédés. L’idée est qu’un seul petit naisse par couple et par an pour fidéliser les parents. Ce procédé permet une baisse de 20 % des effectifs chaque année, selon les estimations.

« Il faut se calmer sur les nuisances »

Mais n’est-il pas plus onéreux que l’euthanasie ? « C’est complexe de comparer les prix », se réfugie Amandine Sanvisens. « Tout dépend de la problématique de la ville », renchérit Didier Lapostre, président d’Aerho, un cabinet de conseils spécialiste de la présence des oiseaux en ville.

Depuis vingt et un ans, la société effectue des diagnostics pour les villes ou entreprises aux prises avec un problème de pigeons. « Il faut se calmer sur les nuisances que provoquent les pigeons et sur le mythe de la prolifération, tient à indiquer d’emblée, Didier Lapostre. La population reste globalement stable depuis de nombreuses années. A Paris, par exemple, le nombre de pigeons a longtemps été évalué entre 100.000 et 400.000. En huit mois, nous n’en avons compté que 23.000, soit quatre à seize fois moins. »

Cette volonté de certaines villes de vouloir se débarrasser à tout prix de ces oiseaux « conduit surtout à créer un marché économique pour les entreprises qui les tuent », note Didier Lapostre. Or, selon lui, il faut d’abord « répertorier les nuisances réelles car chaque ville est confrontée à des problématiques différentes ».

Et de donner l’exemple de Toulouse, où Aerho vient d’intervenir. « Sur les 300 sites où se trouvaient des pigeons, seule une centaine posait des réels problèmes de nuisance », assure-t-il. Et de poser le diagnostic : « Le maïs contraceptif ne sert à rien si les oiseaux ne viennent que pour nicher et les pigeonniers non plus s’ils ne viennent que pour manger ».

Inefficace, selon le ministère de l’Ecologie

Le spécialiste préconise aussi des techniques assez simples « comme d’installer des fils tendus pour empêcher l’oiseau de se percher ou des filets et des grillages pour l’empêcher de nicher ». De son côté, la LPO propose, sur son site, des normes sur les corniches des nouvelles constructions pour le tenir éloigné ou encore de revégétaliser les espaces urbains pour attirer « des espèces nouvelles pouvant concurrencer le pigeon ».

Une douzaine de grandes villes comme Marseille, Rennes ou Caen ont cessé l’euthanasie, se réjouit Amandine Sanvisens. L’espoir des défenseurs des pigeons est désormais de voir une loi interdire les méthodes létales pour réguler la démographie.

En réponse aux questions de six parlementaires, le ministère de l’Écologie a lui-même jugé, que tuer les pigeons était inefficace. « Le contrôle […] par destruction des individus ne constitue pas une méthode efficace sur le long terme, les effectifs prélevés se reconstituant rapidement », écrivait-il, en juillet, précisant, en même temps, qu'« aucune méthode n’était considérée comme totalement efficace et sans risque ».

« Il est donc important que les collectivités établissent une stratégie globale incluant des méthodes répulsives », préconisait le ministère. On en est encore loin, même si les mairies ne semblent plus avoir les coudées aussi franches pour tordre le cou des bestioles.

Vide juridique pour le pigeon des villes

Le maire reste la seule autorité, par son devoir d’assurer la salubrité publique, qui peut « intervenir afin de réguler les populations en prenant des mesures spécifiques », selon la Ligue protectrice des Oiseaux (LPO). Dans les villes, « le statut du pigeon se trouve dans un vide juridique », reconnaît la LPO sur son site Internet. « L’espèce n’est ni domestique, ni chassable. Il est cependant interdit de le nourrir ou encore de favoriser sa nidification. »

Faute de prédateurs, les pigeons se multiplient et se reproduisent parfois très vite, notamment la race Biset, autrefois sauvage avant d’être domestiquée puis relâchée dans la nature.