Inondations dans le Gard : Pourquoi les ponts submersibles sont le théâtre régulier de drames
CRUES•Ce week-end, plusieurs personnes ont été emportées en pleine tempête Monica, alors qu’elles tentaient de traverser en voiture de telles infrastructuresNicolas Bonzom
L'essentiel
- Les ponts submersibles sont régulièrement le théâtre de drames, lorsque des automobilistes s’y engagent, lors des crues. Dans le Gard, ce week-end, plusieurs personnes ont été emportées alors qu’elles tentaient de traverser en voiture ces infrastructures.
- On a parfois l’impression que le risque est mesuré, alors qu’en réalité, « l’eau, même si elle n’est pas très haute, peut nous emporter », confie Stéphanie Bidault, experte dans la gestion des risques d’inondations, à l’Association des maires de France.
- Mais les ponts submersibles ont « une vraie raison d’être », explique la chercheuse Joana Guerrin. « Ils permettent, lorsque le cours d’eau sort de son lit, d’être submergés et d’empêcher de constituer un rempart à l’écoulement naturel de l’eau. »
Dans le Gard, le week-end dernier, les ponts submersibles ont été le théâtre de drames, tandis que la tempête Monica sévissait, dans le département. Cinq personnes sont mortes, et un enfant est toujours porté disparu. Des investigations sont en cours, mais selon le parquet de Nîmes, les victimes ont été emportées alors qu’elles tentaient de traverser en voiture ces infrastructures, qui enjambent des cours d’eau.
Ce n’est pas la première fois que des franchissements de ponts submersibles endeuillent le sud de la France. Régulièrement, lors d’importantes inondations, ces aménagements typiques des zones rurales du sud de la France sont pointés du doigt. Dans une enquête sur ce thème, publiée en 2020 (ici), le Cerema, un organisme public chargé d’étudier les questions d’aménagement, évoque une accidentologie « significative », sur ces passages à gué, en particulier sur les ponts submersibles. Leur franchissement est même l’une des causes principales de mortalité, lors de crues torrentielles, indique le Cerema.
« Pour les gens, ça passe. Ils ne se méfient pas »
Loïc Spadafora, expert météo et directeur d’InfOccitanie, est sur les routes depuis une dizaine d’années, dans le cadre de son travail, lors des inondations. En 2014, il se souvient qu’une famille avait déjà été emportée, dans le département, sur un pont submersible. « Je me souviens [il y a dix ans], j’étais près d’un pont submersible, et je disais aux gens "Ne passez pas ! Vous allez mourir !" Ce week-end, c’était la même chose. J’étais là, et je leur disais "Ne passez pas !" Mais pour les gens, ça passe. Ils ne se méfient pas, malheureusement. Pourtant, vingt centimètres d’eau, c’est suffisant pour qu’une voiture soit emportée. »
La faute à une « culture du risque » pas toujours bien intégrée, en France métropolitaine. « Même si on peut avoir, parfois, ce faux sentiment que l’on est en sécurité dans son véhicule, il faut comprendre que l’eau, même si elle n’est pas très haute, peut nous emporter », confie Stéphanie Bidault, experte dans la gestion des risques d’inondations, à l’Association des maires de France (AMF). Mais, dit-elle, ce n’est pas spécifique aux ponts submersibles. « Le même problème se pose lorsque des automobilistes empruntent des routes submergées », confie Stéphanie Bidault. Mais le risque, en franchissant un pont inondé, est d’être emporté, fatalement, par la violence de l’eau.
Selon l’étude du Cerema, il y a, en effet, une « sous-estimation du danger des passages à gué par les usagers, en cas de pluies intenses ». D’ailleurs, « souvent, les accidents mettent en jeu, non pas des touristes, mais des locaux habitués à circuler sur les voies concernées (…) Les conducteurs de SUV ou 4x4 semblent, à tort, être plus confiants que d’autres quant à la maîtrise de leur véhicule sur une route immergée. Ils sous-estiment la puissance des flots ».
Il n’y a pas de barrières mobiles sur tous les ponts
Mais le danger que représente le franchissement d’un tel pont, en cas d’inondations, est-il suffisamment indiqué, sur les routes ? Des panneaux alertent généralement les automobilistes qu’ils s’aventurent sur un pont submersible. Dans le Gard, les services du département indiquaient lundi que l’ensemble des ponts submersibles du territoire (69) « sont équipés de manière permanente de panneaux informant de leur caractère submersible ». Parfois, ils sont également protégés par des barrières mobiles, qui empêchent les automobilistes de passer, en cas de crues intenses. Mais ce n’est pas toujours le cas.
Sur le pont de Goudargues, sur la RD23, où deux femmes sont décédées, ce week-end, il n’y a, par exemple, pas de barrière. Et ça, pour Loïc Spadafora, c’est un problème. « S’il n’y a pas de barrière, on peut être tenté de passer, confie-t-il. S’il y a une barrière, cela peut dissuader », assure-t-il. Il faut toutefois que les collectivités soient réactives, pour les abaisser quand cela s’avère nécessaire. Dans un communiqué, le département du Gard indiquait lundi que 70 agents ont été mobilisés sur le terrain, ce week-end, pour répondre aux urgences.
« Il y en aura toujours qui défonceront les barrières »
A Dions, où une famille a été emportée par la crue sur un pont submersible, « un patrouillage des équipes d’astreinte dans la soirée (aux alentours de 19 heures) a permis de vérifier que le niveau d’eau était encore bas, détaille la collectivité. A 22h20, le SDIS [Service départemental d’incendie et de secours] a sollicité l’astreinte départementale pour procéder à la fermeture de l’ouvrage, vu la montée soudaine des eaux en cours. » Les agents ont, par ailleurs, mis en place « des panneaux d’information » et des « déviations ».
« Bon, bien sûr, il y en aura toujours qui défonceront les barrières… », déplore Loïc Spadafora. Et, malheureusement, c’est parfois le cas, assure le Cerema, dans son étude sur les ponts submersibles. « Les gestionnaires indiquent que, malgré les panneaux et les barrières placés par leur soin, certains usagers n’hésitent pas à franchir les cours d’eau, indique l’organisme public. Le [département du Gard] évoque que l’installation de cadenas sur certaines barrières s’avère vaine puisqu’ils sont régulièrement fracturés par les usagers pour passer. Si une surveillance vidéo pourrait être estimée comme dissuasive, le [département de l’Hérault] indique, de son côté, que certaines caméras récemment installées ont été vandalisées peu après leur implantation. »
Les ponts submersibles « ont une vraie raison d’être »
Mais les ponts submersibles ne sont là par hasard. Ils ont « une vraie raison d’être », en cas de crues, explique Joana Guerrin, chercheuse à Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), spécialiste de la gestion des risques d’inondations.
« Ils permettent, lorsque le cours d’eau sort de son lit, d’être submergés et d’empêcher de constituer un rempart à l’écoulement naturel de l’eau, confie-t-elle. Le fait qu’il soit submersible évite au pont de jouer le rôle d’une digue, d’un ouvrage de protection, alors qu’il n’en est pas un. »
NOTRE DOSSIER SUR LES INONDATIONSLes ponts submersibles sont-ils des aménagements « au rabais » ? Pour Joana Guerrin, ils ne doivent pas être vus seulement comme des solutions bon marché. « Ce n’est tout simplement techniquement pas possible de construire, partout, des ponts suffisamment hauts pour qu’ils ne soient jamais submergés, explique la chercheuse. Les crues vont être de plus en plus fréquentes, et de plus en plus importantes. Les ponts ne seront pas hors d’eau tout le temps, c’est inenvisageable. Il faut donc que les citoyens connaissent les risques qu’ils encourent. C’est le rôle des politiques publiques, de les sensibiliser. »