Gard : Les rivières et l’eau potable contaminées aux polluants éternels près d’une usine chimique
environnement•L’association Générations futures, qui a réalisé cette étude, a dit son intention de déposer plainte. De son côté, le groupe Solvay assure être « parfaitement en ligne avec la réglementation en vigueur »Nicolas Bonzom
L'essentiel
- L’association Générations Futures a dévoilé ce mardi des résultats d’analyse des PFAS dans les eaux de surface et l’eau potable, à proximité de la plateforme chimique de Salindres, dans le Gard. Les résultats montrent « une pollution très importante des milieux aquatiques par des substances chimiques ».
- Le problème, c’est que l’usine ne transgresse aucune réglementation. « Solvay est parfaitement en ligne avec la réglementation en vigueur », indique le groupe belge. Mais Générations futures a dit son intention de déposer plainte. « Les arrêtés préfectoraux prévoient des limites de rejet autorisées extrêmement élevées, confie le docteur Pauline Cervan, de Générations futures. Ce n’est pas parce qu’ils ne transgressent pas la loi qu’il n’y a pas de problème. »
- L'Agence régionale de santé d'Occitanie, de son côté, assure que l'eau du robinet, à Moussac et à Boucoiran-et-Nozières est « conforme aux limites de qualité réglementaires et propre à la consommation humaine ». De son côté, Jean-Jacques Vidal, le maire de Boucoiran-et-Nozières, fustige l'association, qui n'a délivré à la commune aucun élément sur les résultats de son étude, et met en avant une analyse d'eau, effectuée le 16 janvier dernier, qui faisait apparaître une concentration de PFAS très, très en dessous des limites autorisées.
A Salindres (Gard), l’usine de produits chimiques est, depuis toujours, incontournable, dans le paysage. C’est en 1855 que ce pôle industriel a été créé, dans ce village des Cévennes, pour y fabriquer de l’acide sulfurique, du carbonate de soude, de la chlorure de chaux, puis de l’aluminium. Aujourd’hui, cette usine emploie des centaines de personnes, et abrite quatre sociétés, dont le groupe Solvay, qui produit des dérivés fluorés. C’est ce géant belge de la chimie qui est pointé du doigt dans une étude de l’association environnementale Générations futures, dévoilée par Le Monde, France 3 et la RTBF.
L’association, qui a réalisé des prélèvements d’eau dans ce secteur, déplore une pollution « très importante des milieux aquatiques par les substances fabriquées par Solvay ». Et ça, c’est inquiétant. Car les Per et polyfluoroalkylées (PFAS) qui sortent de l’usine peuvent être néfastes pour la santé. « Ils provoquent une augmentation du taux de cholestérol, peuvent entraîner des cancers, causer des effets sur la fertilité et le développement du fœtus, indiquait l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), en 2022. Ils sont également suspectés d’interférer avec le système endocrinien et immunitaire. »
Des niveaux « jamais mesurés auparavant »
Si les PFAS inquiètent partout ils sont étudiés, dans ce coin des Cévennes, c’est d’autant plus alarmant que les résultats sont édifiants. Près de l’usine et dans les rivières qui coulent dans le secteur, les teneurs en acide trifluoroacétique (TFA) et en acide triflique, des substances fabriquées par Solvay, sont énormes : 7,6 mg/L de TFA dans le rejet de l’usine, 7,5 mg/L dans l’Arias, aux abords du site industriel, et 3,9 mg/L dans l’Avène.
« D’après nos recherches », ces niveaux « n’ont jamais été mesurés auparavant, confie le docteur Pauline Cervan, toxicologue à Générations futures. A titre de comparaison, la quantité la plus élevée a été mesurée dans la rivière Neckar, en Allemagne, en 2015 : 0,14 mg/L. L’agence sanitaire allemande a jugé cette concentration "exceptionnellement élevée". » C’est dire si les niveaux observés dans le Gard sont explosifs.
Les teneurs en acide triflique sont, aussi, très importantes : 2,2 mg/L dans le rejet de l’usine, 2 mg/L dans l’Arias et 1,4 mg/L dans l’Avène. Des concentrations bien plus importantes que celles qui ont été enregistrées jusqu’à aujourd’hui : les données, peu nombreuses, font état de concentrations maximales de 0,001 mg/L.
« Un risque pour la santé ne peut pas être exclu »
Dans l’eau potable, Générations futures a, aussi, débusqué un inquiétant cocktail. Si aucune trace de polluants éternels n’a été découverte dans l’eau du robinet à Salindres, le captage desservant la commune se faisant bien en amont de l’usine, les teneurs en TFA sont élevées à Moussac et à Boucoiran-et-Nozières, deux villages situés à une vingtaine de kilomètres au sud du site : 18 ug/L dans le premier et 19 ug/L dans le second.
Ces valeurs sont-elles dangereuses, pour la santé ? Difficile de le dire. Trop peu d’études se sont penchées sur ce phénomène. En France, aucune valeur maximale n’a été fixée. En Allemagne, elle a été fixée à 60 ug/L, sur la base d’une étude réalisée par… Solvay, mais il est recommandé qu’elle reste « bien inférieure » à 10 ug/L.
« Y a-t-il un risque pour la santé à boire cette eau ? On aimerait pouvoir rassurer les habitants de Moussac et de Boucoiran-et-Nozières, indique le docteur Pauline Cervan. Mais nous n’avons pas trouvé d’éléments qui permettent d’écarter ces risques. Un risque pour la santé ne peut pas être exclu. » Générations futures exige, par « précaution », une diminution « drastique et rapide » des rejets en TFA et en acide triflique, et la mise en place d’actions pour réduire leurs concentrations dans l’eau potable.
« Solvay est parfaitement en ligne avec la réglementation en vigueur »
Le problème, c’est que Solvay ne transgresse, en l’état, aucune réglementation. « Solvay est parfaitement en ligne avec la réglementation en vigueur et est soumis au contrôle des autorités locales compétentes afin de garantir l’utilisation la plus sûre possible de ses produits dans le respect de la santé et de l’environnement, indique le groupe, à 20 Minutes. Les différentes usines de production font l’objet d’inspections régulières (…) La préservation de la santé et de la sécurité des collaborateurs et de nos riverains demeure la priorité absolue de l’entreprise. » Le groupe se dit même engagé « en faveur d’une fabrication responsable », avec la mise en place de procédés qui permettent « de réduire considérablement les émissions et de donner la priorité à la sécurité environnementale ».
De son côté, Etienne Malachanne (sans étiquette), le maire de Salindres, rappelle à 20 Minutes que « les réglementations en France autorisent ces rejets. Les industriels, avec qui nous travaillons en toute transparence ne font rien d’illégal (…). Peut-être, en effet, que la législation devrait évoluer, mais je ne suis pas législateur, je n’ai pas la compétence pour juger de ça aujourd’hui. C’est une question qui dépasse largement Salindres. »
Générations futures va déposer plainte
Oui, « ils [Solvay] sont dans les clous », confirme le docteur Pauline Cervan. Mais « les arrêtés préfectoraux prévoient des limites de rejet autorisées extrêmement élevées, notamment 29 mg/L de TFA. On craint que ces arrêtés préfectoraux aient été émis pour coller à ce que l’usine rejette, et pas d’après un principe de précaution et des études scientifiques portant sur les impacts sur les écosystèmes ou sur l’eau potable. Ce n’est pas parce qu’ils ne transgressent pas la loi qu’il n’y a pas de problème. »
NOTRE DOSSIER SUR L'EAUL'association Générations futures a dit son intention, mardi, de déposer plainte, pour atteinte aux poissons, et pour pollution aggravée des eaux dans le secteur de Salindres.
Mise à jour le 8 février : Le 7 février au soir, le lendemain de la publication de cet article, l'Agence régionale de santé (ARS) d'Occitanie a diffusé un communiqué de presse, au sujet de la qualité de l'eau, notamment autour de l'usine de Salindres. « Ce site industriel fait l’objet d’une surveillance environnementale et sanitaire depuis de très nombreuses années », indique l'ARS, qui indique que des arrêtés préfectoraux ont instauré de « nouvelles valeurs limites de rejet des substances fluorés issues du site industriel et a imposé à l’exploitant leur surveillance dans l’environnement ». Les contrôles sanitaires réguliers réalisés sur l’eau distribuée à Salindres, à Moussac et Boucoiran-et-Nozières « permettent de conclure à une eau conforme aux limites de qualité réglementaires et propre à la consommation humaine ». Par ailleurs, l'ARS rappelle qu'en 2023, un plan intermistériel sur les PFAS a été lancé, pour tenter de « renforcer la protection des populations et de l’environnement contre les risques » qu'ils présentent.
Mise à jour le 9 février : Jean-Jacques Vidal (sans étiquette), le maire de Boucoiran-et-Nozières, a répondu aux sollicitations de 20 Minutes. L'élu fustige l'association, qui n'a délivré à la commune aucun élément sur les résultats de son étude. « L'ONG émet une information qui repose sur une analyse dont, nous, principaux concernés, n'avons reçu aucun détail, aucun résultat, confie l'élu. Aucun contact. » L'eau du robinet, dans cette commune de 1.000 habitants, est « potable, comme l'attestent la Reaal, le service des eaux de l'agglomération, l'ARS, qui valident les analyses, et la préfecture », assure Jean-Jacques Vidal. Le maire de Boucoiran-et-Nozières met en avant une analyse d'eau, effectuée par la Reaal le 16 janvier dernier, qui « faisait apparaître une concentration de PFAS de 1,8 ng/L, quand le seuil est de 100 ng/L. Soit 55 fois inférieur à la limite. »
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