INTERVIEWEn Islande, « une éruption volcanique semble désormais inéluctable »

Islande : « L’éruption volcanique dans la région de Reykjanes semble inéluctable »

INTERVIEWDepuis fin octobre et avec une forte accélération jeudi, un amas de magmas se forme et remonte vers la surface notamment sous la ville de Grindavik, évacuée d’urgence. Le point avec Patrick Allard, volcanologue à l’Institut physique du Globe
Volcan en Islande : « Nous nous attendons à une éruptions dans les deux jours qui suivent »
Fabrice Pouliquen

Propos recueillis par Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • L’Islande se prépare à une éruption volcanique imminente dans la péninsule de Reykjanes, dans le sud-ouest, à seulement quelques dizaines de kilomètres de la capitale, Reykjavik.
  • Depuis jeudi, une forte activité sismique secoue la région et le sol se fissure sous la pression du magma qui monte. Ce n’est pas le premier épisode de ce type qui touche cette péninsule. Mais cette fois-ci, le magma se répand sous une ville.
  • On fait le point avec Patrick Allard, volcanologue à l’Institut physique du Globe.

Dans les prochains jours ? Dans la nuit ? Avant même ? Ce qui est sûr, lance Patrick Allard, volcanologue à l’Institut de physique du globe de Paris (CNRS), « c’est qu’une éruption volcanique est désormais inéluctable » dans la péninsule de Reykjanes, dans le sud-ouest de l’Islande, à seulement quelques dizaines de kilomètres de Reykjavik, la capitale.

Depuis fin octobre, la région fait face à une activité sismique importante. L’Institut météorologique d’Islande (IMO) a relevé plus de 23.000 tremblements de terre depuis le 25 octobre, avec une forte accélération en fin de semaine dernière. 800 secousses ont été enregistrées sur la seule matinée du 8 novembre. Surtout, sous la surface, le magma s’accumule entre 5 et 2 km de profondeur, gonfle les sols et les lézarde de fractures. Les autorités islandaises ont pris les devants en décrétant l’état d’urgence dès vendredi, en fermant temporairement le « lagon bleu », célèbre station thermale, et en ordonnant ce week-end l’évacuation de Grindavik, ville de 4.000 habitants sous laquelle le magma s’écoule.

En contact régulier avec ses collègues islandais ces dernières heures, Patrick Allard décrypte la situation pour 20 Minutes.

Quel est ce phénomène volcanique qui menace en ce moment la péninsule de Reykjanes ?

C’est une éruption qu’on appelle « fissurable ». Elle n’est pas liée à un volcan mais à un système de fractures de la roche jusqu’à la surface, sous la pression du magma qui pousse en profondeur. Ce n’est pas la première fois qu’un tel phénomène se produit dans cette péninsule de Reykjanes. C’est même le quatrième depuis 2021. Ces infiltrations de magma sont dues au mouvement de la dorsale « médio-atlantique », grande chaîne volcanique de 15.000 km qui traversent l’océan Atlantique, du nord au sud, à partir de laquelle s’écartent, tous les ans, les plaques « Amérique du Nord » et « européenne ». Ces mouvements peuvent créer des éruptions fissurales.

Que sait-on de la situation ces dernières heures ?

Il n’y a toujours pas d’éruption. Mais le magma se met en place, essentiellement depuis jeudi dernier avec cette forte accélération de secousses ; les plus fortes mesurées ont une magnitude de 5.2. Ces dernières heures, selon les informations que nous avons depuis l’Islande, la sismicité a plutôt ralenti. Il y a moins de séismes, et ils sont moins forts. Il y en a eu 900 depuis minuit, et ils sont en désormais en général inférieur à magnitude 3. Le taux de déformation des sols a plutôt ralenti également.

Tout de même, à l’ouest de Grindavik, cette zone fait déjà une quinzaine de kilomètres de long avec des failles constatées parfois d’un mètre de profondeur. Pour le moment, le magma est surtout concentré entre 5 et 2 km de la surface. Ça reste très proche, d’autant que les roches de surface sont moins résistantes que celles en profondeur. Le magma devrait les fracturer plus facilement et très vite franchir cette dernière barrière. Potentiellement, l’éruption pourrait survenir dans les prochaines heures.

Les autorités islandaises semblent l’estimer un peu plus lointaine puisqu’elles ont permis, ce lundi, à certains habitants de Grindavik de revenir évacuer des objets précieux et le bétail qui n’avait pas pu être secouru.

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L’éruption volcanique semble inévitable aujourd’hui ?

C’est difficile de dire quand, mais oui, elle est certaine. Les trois épisodes précédents avaient tous donné lieu à des éruptions. On en avait moins parlé parce que ces phénomènes se déroulaient loin de zones habitées. Avec l’accord des autorités, les Islandais et touristes de passage se rendaient même sur place admirer les éruptions et la lave dévaler les pentes.

L’inquiétude est bien plus de mise cette fois-ci. D’une part, l’infiltration de magma sous les sols a lieu un peu plus au sud et passe au beau milieu de cette ville portuaire de Grindavik et se termine en mer. D’autre part, cet épisode-là est plus puissant. Le volume de magma est plus important, il monte plus vite et sur une plus grande longueur. Ça ne sera très certainement pas gigantesque et cataclysmique. Il n’empêche, les dégâts devraient être importants pour Grindavik, un port important du pays. Et 4.000 habitants évacués, ce n’est pas rien en Islande. C’est 1 % de la population. L’éruption pourrait aussi endommager d’autres infrastructures de la région.

S’ajoute la possibilité d’une éruption en partie sous la mer… Pourquoi est-ce à craindre ?

On pourrait effectivement avoir des phénomènes plus explosifs provoqués par l’interaction entre le magma à quelque 1.200 °C et la température froide de l’eau de mer. La fragmentation du magma sera accentuée et pourrait se traduire par des colonnes de cendres relâchées dans l’atmosphère. Ces particules pourraient retomber alors sur une plus vaste région que la péninsule de Reykjanes, y compris potentiellement sur Reykjavik, pas si loin. Les conséquences pourraient alors être bien plus lourdes, notamment dans un pays comme l’Islande dont l’économie repose en grande part sur l’agriculture et la pêche.

Cette éruption volcanique pourrait-elle avoir des conséquences bien au-delà de l’Islande comme l’éruption du Eyjafjakkajökull en 2010, qui avait entraîné la plus grande fermeture du ciel européen en temps de paix et entrainé l’annulation de 100.000 vols ?

A priori non. En 2010, on était sur une éruption volcanique, à 1.500 mètres de profondeur et avec magma plus visqueux, plus riche en gaz et donc plus explosif. Cela favorisait l’émission de colonnes de cendres. Cette fois, on est à basse altitude et sur un magma bien plus liquide, qui s’écoule plutôt qu’il n’explose.

Mais, on vient de le dire, les conséquences pourraient être plus importantes en cas d’éruption sous-marine. Dans ce cas-là, les impacts pourraient être plus importants et paralyser par exemple l’aéroport de Reykjavik et peut-être aussi changer les trajectoires d’autres vols. Sans, me semble-t-il, aller jusqu’à perturber le trafic mondial autant que l’éruption de 2010.

Un nombre stable d’éruptions volcanique dans le monde, mais…

« Nous enregistrons entre 60 et 100 éruptions volcaniques chaque année dans le monde, indique Patrick Allard. Une fourchette qui n’augmente pas, ni ne baisse. » Du moins pour l’instant. La fonte des glaciers sous l’effet du changement climatique pourrait accroître l’activité volcanique dans certaines régions. « Typiquement en Islande ou le long de la Cordillère des Andes, reprend le volcanologue de l’Institut de physique du globe de Paris. Cette fonte des glaces – certains volcans étaient recouverts sous une couche de plusieurs kilomètres- va réduire la pression sur les systèmes magmatiques qui alimentent ces volcans. On le voit dans les datations et les dépôts volcaniques passés. Dans les périodes chaudes, lorsque les glaciers sont fondus, on constate une fréquence accentuée des éruptions. »