Vendanges : A Rayne-Vigneau dans le Sauternes, « on s’est adapté au changement climatique »
VIn, JE t’EMMENE•« 20 Minutes » a suivi les vendanges historiquement précoces au château Rayne-Vigneau, en Sauternes, cette petite appellation prestigieuse qui ne démarre traditionnellement qu’en octobreMickaël Bosredon
L'essentiel
- Les vendanges sont lancées dans l’Aube, l’Hérault ou dans le Bordelais, et vont s’étaler jusqu’en octobre.
- Pas question pour 20 Minutes et ses journalistes en régions de passer à côté de cet épisode clé, alors que le mildiou (parasite mi-algue mi-champignon) frappe de plein fouet les vignobles de Nouvelle-Aquitaine ou que la canicule a éprouvé le début de la récolte.
- Dans sa série « Vin, je t’emmène », 20 Minutes suit de près les vendanges dans les régions de France, mettant l’accent sur l’exceptionnel, comme au château Rayne-Vigneau dans le Sauternes, qui vit cette année une de ses vendanges les plus précoces de ces trente dernières années.
Ce jeudi, la quarantaine de vendangeurs du château Rayne-Vigneau, à Bommes au sud de Bordeaux, effectue déjà son deuxième passage dans les vignes. Le premier ramassage avait eu lieu le 14 septembre, jour du lancement des vendanges pour ce premier grand cru classé en Sauternes. Un démarrage cette année historiquement précoce, dans une appellation qui commence d’ordinaire bien après tout le monde dans le Bordelais, et rarement avant début octobre.
« Nous sommes dans des vendanges parmi les plus précoces de ces trente dernières années », souligne Vincent Labergère, directeur du château. L’explication ? Les températures, « qui ont été très importantes cette année. » C’est encore le cas ce 28 septembre avec un thermomètre qui affiche 31 °C. Lundi, le 2 octobre, le mercure devrait grimper jusqu’à 34 °C…
Le botrytis cinerea, redouté de tous les viticulteurs, béni dans le Sauternes
« La végétation n’était pas spécialement en avance, explique Vincent Labergère, en revanche nous connaissons un phénomène de concentration du raisin, qu’on appelle le passerillage, qui donne un raisin qui se dessèche. Pour notre premier grand cru, il faut retirer des pieds de vigne tout ce raisin passerillé, pour ne laisser que le raisin botrytisé qui servira à faire le grand vin. Cela représente donc un passage supplémentaire dans les rangs, ce qui explique que l’on a commencé plus tôt. »
Sauternes est une toute petite appellation de 1.800 hectares située à une quarantaine de km au sud de Bordeaux. Pour élaborer le fameux vin blanc liquoreux réputé dans le monde entier, il faut laisser se développer sur le raisin un champignon microscopique qui s’appelle le botrytis cinerea, ou pourriture noble. « C’est un champignon redouté par l’ensemble des viticulteurs, puisqu’il abîme le raisin, sauf à Sauternes où il l’anoblit, grâce notamment au terroir. Le raisin a une capacité à répondre à l’agression du botrytis, donnant quelque chose d’extraordinaire et inimitable. »
L’appellation, qui couvre cinq communes, concentre 50 % de grands crus classés, et produit « moins de quatre millions de bouteilles par an. » « On est dans un petit bijou, c’est de l’orfèvrerie. »
Changement des pratiques viticoles
Si chaque domaine a ses spécificités, la précocité des vendanges cette année touche quasiment tout le monde. Quelle conséquence cela aura-t-il sur ce vin blanc si prestigieux ? « Cela n’impacte en rien la qualité du millésime, insiste Vincent Labergère, en revanche, cela change notre rapport au botrytis. Il y a trente ans, nous faisions en sorte que le raisin soit d’abord mûr, et que le botrytis arrive ensuite, parce qu’au mois de septembre il faisait 20 °C maximum, et au mois d’octobre 15°C. Aujourd’hui, avec 30 °C voire plus, nous avons complètement inversé notre façon de travailler. Nous nous sommes adaptés à ce changement climatique. Désormais, nous accompagnons le développement du botrytis : avant, on effeuillait davantage, pour bien dégager le raisin et préparer l’arrivée du botrytis, maintenant, on laisse des feuilles, de l’herbe, on essaie de capter un peu plus la rosée… Nous taillons aussi beaucoup plus tard, par rapport à il y a ne serait-ce que cinq ans. C’est un autre travail. »
Le botrytis se développe aussi à la faveur des bancs de brouillard qui se créent à la fin de l’été, de la rencontre entre la petite rivière du Ciron et son eau thermorégulée à 14 °C toute l’année, et la Garonne, beaucoup plus chaude. « Ces bancs de brouillard remontent sur l’appellation Sauternes, ce qui génère cette fameuse humidité qui permet au champignon de se développer, explique encore Vincent Labergère. L’après-midi, les brouillards se dissipent, le champignon arrête son développement, et c’est cet équilibre précaire qui favorise l’anoblissement du raisin par le botrytis. Aujourd’hui, les températures font que ce brouillard disparaît beaucoup plus vite, ce qui implique que l’on travaille différemment dans les tris des raisins. Avant, nous avions besoin d’une équipe moins importante, parce qu’on tournait doucement, là il faut aller très vite parce que les fenêtres intéressantes pour trier sont plus resserrées. »
« Il y a trente ans, il y avait une espèce d’éternité climatique »
A quel moment la situation a-t-elle basculé ? Difficile à dire, « même si nous gardons tous en tête 2003, qui a été une année caniculaire » rappelle Vincent Labergère. « Mais depuis, il y a eu des allers-retours, entre des années plus ou moins chaudes. Ce qui est certain, c’est que nous avons depuis quelques années de façon récurrente, cette problématique de vigne qui démarre très tôt, parce qu’il fait chaud très tôt dans l’année, et ce phénomène s’accélère. »
Face à cette accélération, « il faut adapter sa viticulture. » A court terme, cela veut dire changer les pratiques, « à long terme ce sera certainement le matériel végétal : changer les porte-greffes, peut-être même les cépages. » « Quand j’ai commencé il y a trente ans il y avait une espèce d’éternité climatique, j’avais une certitude absolue dans ce que je devais choisir comme matériel végétal, poursuit le directeur, maintenant il y a un niveau d’incertitude très fort, parce que je suis incapable de me projeter dans ne serait-ce que quinze ans. Mais la vigne est une plante méditerranéenne qui a cette capacité à s’adapter n’importe où, elle est incroyable de résilience. »
Jusqu’où, c’est la grande question. Même si Vincent Labergère ne se veut pas alarmiste, il reconnaît que « nous sommes sur une évolution qui est difficilement quantifiable pour les années à venir. »