Fake OffL’agriculture biodynamique, du simple bio amélioré ? Pas si simple

L’agriculture en biodynamie, du simple bio amélioré ? Pas si simple

Fake OffPrésenté comme « plus bio que le bio », l’agriculture biodynamique repose sur des conceptions ésotériques provenant de l’anthroposophie, un courant de pensée et de spiritualité controversé
Achille Dupas

Achille Dupas

L'essentiel

  • Les vins biodynamiques sont souvent présentés comme une alternative encore plus respectueuse de l’environnement que le bio « classique ».
  • L’agriculture biodynamique repose sur un système de croyance et une philosophie qui font partie intégrante de l’anthroposophie, un mouvement controversé et parfois accusé de dérives sectaires.
  • Certaines des (rares) études scientifiques qui se sont penchées sur la question tendent à montrer une meilleure qualité des sols en biodynamie par rapport au bio, sans toutefois en expliquer les raisons précises.

Edit: Nous vous proposons à la (re)lecture cet article sur l'agriculture biodynamique, vantée notamment par la nouvelle ministre de la Santé, Catherine Vautrin, lors d'une interview à RMC mercredi 31 janvier.

« Elite » du bio, « au-delà du bio », les termes marketings pour faire la promotion du vin biodynamique vantent son caractère respectueux de l’environnement. En période des foires aux vins, les clients sont abreuvés de ces publicités. Trompeuses ?

Les critiques sont en tout cas nombreuses concernant les vins biodynamiques, du fait du socle de pensée sur lequel repose ce type d’agriculture, issu des préceptes de Rudolf Steiner, penseur autrichien et père fondateur de l’anthroposophie, un courant de pensée et de croyance ésotérique.

Plus bio que bio ?

Que sait-on des conséquences concrètes de l’agriculture biodynamique, notamment sur l’environnement ? Pour le moment, peu d’études scientifiques se sont penchées sur la question. Selon certains résultats, la qualité écologique des sols serait globalement supérieure dans les parcelles exploitées en biodynamie, en comparaison avec le bio « classique ».

C’est notamment ce que tend à monter le projet Ecovitisol, lancé en 2019 et qui s’attache à étudier l’impact des modes de production sur la biodiversité et la matière organique des sols, en travaillant de manière participative avec des viticulteurs. « On a pu faire un bilan de la qualité microbiologique des sols, qui montre qu’il y a une amélioration de bio à la biodynamie », confirme Lionel Ranjard, directeur de recherche à l’INRAE et coordinateur du projet Ecovitisol. Ces résultats sont corroborés par ceux d’une méta analyse parue en 2022 (dont Lionel Ranjard est un des auteurs).

« « On manque encore de données, mais une tendance apparaît dans les premièrs résultats. » »

Si la tendance semble se confirmer d’année en année (le projet est reconduit chaque année sur un territoire différent), les causes, quant à elles, restent floues. Pour Lionel Ranjard, la différence entre bio et biodynamie ne réside pas seulement dans l’utilisation des fameuses préparations biodynamiques. « Il y a une deuxième chose que l’on constate, c’est que les viticulteurs en biodynamie sont plus proches de leurs parcelles. Ils gagnent en technicité, en observation, et en anticipation, détaille le scientifique. On est en train d’associer des chercheurs en sciences sociales au projet pour s’intéresser à ces différences ».

L’efficacité des préparations n’est pas démontrée

Autre différence concrète : le taux de cuivre autorisé, qui est de 3 kg par hectare et par an dans le cahier des charges Demeter (un des principaux organismes de certification des produits issus de l’agriculture biodynamique), soit un kilo de moins que dans l’agriculture biologique. Pour quel impact ?

Là aussi les scientifiques manquent de données. « On a des références sur ce qu’il y a dans les préparations d’un point de vue microbiologique, mais on ne connaît pas l’efficacité des préparations et leur impact sur la qualité des sols, développe Lionel Ranjard. Aujourd’hui je fais des constats, mais expérimentalement il faut lancer des études sur l’effet propre de chacune de ces préparations ».

Une revue de la littérature scientifique publiée en 2013 qui s’intéressait à l’efficacité des préparations biodynamiques en partant du postulat que « la seule différence entre l’agriculture biologique et l’agriculture biodynamique moderne réside dans l’application des préparations de Steiner » concluait quant à elle : « Il n’existe aucun effet clair, cohérent ou concluant des préparations biodynamiques sur les systèmes gérés biologiquement ».

Des racines ésotériques

Pour comprendre les particularités des vins et de l’agriculture biodynamiques, il faut remonter aux fondements de la biodynamie : un cours réparti en huit conférences données par Rudolf Steiner devant des agriculteurs d’un village, en 1924.

Le penseur y expose les grandes idées et pratiques de sa vision de l’agriculture, qui viennent s’ajouter à la constellation de théories qui forment l’univers de la pensée anthroposophique.

« […] L’anthroposophie réunit un ensemble de croyances tirées de religions traditionnelles et de mouvements ésotériques », résume la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), dans son dernier rapport en date (2022).

Bouses de cornes…

Telle que présentée sur le site du label Demeter, la biodynamie « vise à renforcer tous les éléments de l’écosystème qu’est la ferme : le sol, les plantes, les animaux et l’humain, en plein accord avec le vivant ».

Plus précisément, l’agriculture biodynamique repose sur les mêmes principes que l’agriculture biologique, à savoir l’absence de produits de synthèse, mais agrémentée de pratiques bien particulières. Ces dernières reposent notamment sur les « préparations biodynamiques ». On retrouve la « bouse de corne » (appelée préparation 500), obtenue après avoir laissé fermenter de la bouse de vache introduite dans des cornes de vache, enterrées sous terre. Cette préparation ou ses dérivés sont ensuite « dynamisés ».

La dynamisation est un procédé qui consiste à brasser les préparations diluées dans un volume d’eau. Ce processus emprunte à la méthode homéopathique, dont la dynamisation fait partie des quatre principes fondamentaux. Par la suite les préparations pulvérisées sur le sol, les cultures ou les engrais « à doses homéopathiques », c’est-à-dire à doses extrêmement faibles.

Dans son évaluation des médicaments homéopathiques qui a conduit à leur déremboursement en 2019, la commission de la Haute Autorité de santé rappelait : « les principes sur lesquels repose l’homéopathie [dont la dynamisation et le principe de haute dilution] ne sont pas soutenus par les données actuelles de la science ».

… et cycles lunaires

Autre particularité de l’agriculture biodynamique : le travail en fonction des rythmes des cycles « lunaires, solaires et planétaires ». Comme expliqué sur le site du label Demeter, « les agriculteurs en biodynamie s’appuient sur les rythmes des éléments du Cosmos : le soleil, la lune et les planètes pour optimiser leur travail et la qualité de leurs produits ».

La prise en compte des cycles de la lune sur la croissance des plantes n’a pas non plus démontré son efficacité d’un point de vue scientifique. Dans son rapport de 2016 « Jardiner avec la lune : mythe ou réalité », la Société nationale d’horticulture de France conclut à propos de l’effet de la lune, qu’il « est tellement faible qu’il peut aisément être masqué voire annulé par l’utilisation de pratiques agronomiques adaptées et de variétés améliorées. Il n’est donc, […] d’aucune utilité en horticulture ».

Une passerelle vers des croyances ésotériques ?

Depuis 2021, le nombre des exploitations adhérentes au label Demeter est passé de 985 à 1124. Une croissance qui a un effet économique bien réel. L’entreprise Demeter International verse 100.000 euros par an à la Société anthroposophique universelle, comme l’expliquait un article du Monde en 2021.

En juin 2023, l’Unadfi (Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes), relayait le témoignage détaillé d’une femme, Camille B. impliquée pendant une dizaine d’années dans la viticulture biodynamique « jusqu’à ce qu’elle prenne conscience de l’incohérence des discours et des pratiques de la biodynamie ». Dans ce récit d’une « conversion » puis d’une « déconversion », Camille B explique : « Mon adhésion à la biodynamie n’est pas la cause de ma conversion à l’ésotérisme, mais plutôt sa conséquence la plus prégnante. La biodynamie a été la principale composante d’un système de croyance qui pour moi a été très nocif ».