Pyrénées : Les lacs d’altitude virent au vert, un poisson « importé » dans le collimateur des chercheurs
algues vertes•Au grand désarroi des randonneurs estivaux, des lacs d’altitude des Pyrénées, d’habitude cristallins, virent au vert. Des chercheurs toulousains pointent le vairon, un poisson utilisé comme appât par les pêcheursHélène Ménal
L'essentiel
- Dans les Pyrénées, plusieurs lacs d’altitudes se sont assombris ou ont carrément viré au vert en raison de la prolifération d’algues.
- Pour les chercheurs toulousains Adeline Loyau et Dirk Schmeller, spécialistes des plans d’eau du massif, il n’y a pas de mystère : le vairon, un poisson introduit comme appât par les pêcheurs est à l’origine du phénomène.
- Un exemple de biodiversité « contre-productive » que, sur l’autre versant des Pyrénées, les Espagnols tentent de juguler.
Du vert laiteux, voire fluo en lieu et place des eaux cristallines. Les randonneurs occasionnels qui ont usé leurs godillots sur les hauteurs des Pyrénées cet été, ont dû parfois faire grise mine en découvrant que l’eau pure tant vantée des petits lacs d’altitude n’avait plus rien de transparent. Début juillet, le Parc national des Pyrénées publiait une photo d’un lac du cirque d’Estom, près de Cauterets, dans les Hautes-Pyrénées. Il était tout vert, tout comme le lac de Bethmale dans le Couserans au cœur de l’été, ou celui d’Areau, toujours en Ariège, pas plus tard que la semaine dernière.
« Ce n’est pas toujours aussi flagrant mais on constate que tous nos lacs sont en train de changer de couleur, qu’il y a davantage de turbidité », posent Adeline Loyau et Dirk Schmeller, chercheurs au laboratoire écologie fonctionnelle et environnement de Toulouse* et qui suivent depuis près d’une décennie l’état des lacs d’altitude du massif. Ils ont croisé pas mal de randonneurs inquiets de cette soudaine touche verte au cours de leurs relevés estivaux.
L’importation d’appâts vivants
Ces spécialistes de la montagne, qui ont déjà dévoilé la présence d’un « cocktail toxique », dans les oasis d’altitude, n’y vont jamais par quatre chemins. Certes, pour eux le réchauffement climatique, et par conséquent celui de l’eau, est un des facteurs de la prolifération des algues à qui l’on doit cette couleur verte. Mais ils y voient essentiellement la main de l’homme, et surtout la queue d’un petit poisson, d’une dizaine de centimètres au plus : le vairon. « Si ces algues sont là, cela veut que les organismes – zooplanctons ou petits crustacés – qui normalement les mangent sont en train de disparaître. Et s’ils disparaissent, c’est parce qu’ils sont mangés par les vairons. Ces poissons font disparaître le plancton », détaille Adeline Loyau.
Or, les vairons, tout comme les truites d’ailleurs, ne sont pas dans les lacs d’altitude dans leur milieu naturel. Ils ont été transportés dans ces eaux limpides, et très pauvres en nutriments, par esprit sportif, pour le bonheur des pêcheurs. Cela ne date pas d’hier et n’est pas cantonné à la France. « Il y a tout un tas de littérature sur le sujet », rappellent les chercheurs toulousains. Les vairons sont utilisés comme appâts vivants pour pêcher de plus grosses prises. Mais ils se décrochent parfois accidentellement de l’hameçon. « Et sans doute aussi que des pêcheurs reversent les vairons qu’il leur reste dans le lac pour ne pas avoir à les redescendre », dit Adeline Loyau.
Le Parc national des Pyrénées est sur la même longueur d’onde concernant la responsabilité des vairons, et des « poissons fourrage » en général. Au début de l''été, après le verdissement spectaculaire du lac du cirque d’Estom, il rappelait qu’il était interdit « de transporter des poissons vivants, quelle que soit l’espèce, y compris le vairon, et également de les introduire dans les lacs et cours d’eau » du cœur de son périmètre. Interdiction également valable pour tous les lacs des Hautes-Pyrénées perchés à plus de 1.000 mètres d’altitude.
Un phénomène « réversible »
Interrogé par l’AFP, Sébastien Delmas, président d’une association de pêche fédérant celles des Pyrénées, reconnaît que le vairon pose problème et préconise « d’harmoniser les réglementations » d’un département à l’autre pour limiter la pêche au vif en montagne.
Adeline Loyau et Dirk Schmeller plaident de leur côté pour limiter les autorisations d’alevinage, « paradoxales » maintenant que les dégâts des vairons sont connus. Ils comptent aussi sur la sensibilisation des jeunes générations de pêcheurs, selon eux « beaucoup plus prêts à faire des concessions ». Ils préconisent aussi de « partager la montagne », en réservant quelques lacs seulement à la pêche et en préservant la transparence des autres pour les randonneurs. Enfin, ils insistent sur le fait que « le phénomène est réversible ». Sur le versant espagnol des Pyrénées, à l’initiative de scientifiques, des lacs sont « patiemment et progressivement » vidés de leurs poissons. Et ils retrouvent petit à petit leur clarté.
*CNRS/UT3/INPT