Golfe de Gascogne : « Quasiment tous les ans, nous avons un invité surprise dans l’écosystème »
INTERVIEW•« 20 Minutes » a interrogé Erwan Duhamel de l’Ifremer, l’un des chefs de mission de la campagne Pelgas d’observation de l’écosystème du golfe de Gascogne
Mickaël Bosredon
L'essentiel
- La campagne annuelle Pelgas de suivi de l’écosystème du golfe de Gascogne, sert à évaluer les volumes de petits poissons pour ensuite déterminer les quotas de pêche.
- Les scientifiques de l’Ifremer en profitent pour relever les observations qui sortent de l’ordinaire.
- La présence en grandes quantités d’animaux planctoniques gélatineux comme les salpes, du crabe nageur cette année, ainsi que la recrudescence des méduses, « font penser à un dérèglement de l’écosystème » avance l’un des chefs de mission de la campagne, même s’il reste prudent avant de livrer des conclusions définitives.
Achevée le 30 mai dernier, la campagne annuelle Pelgas de suivi de l’écosystème dans le golfe de Gascogne, vient de livrer ses conclusions pour l’année 2023. Les observations menées par les scientifiques de l’Ifremer embarqués dans le navire Thalassa, accompagnés de deux navires de pêcheurs professionnels, montrent que la population de sardines se maintient, tandis que celle d’anchois a été divisée par deux par rapport à 2022, même si elle reste bien supérieure aux années 2005-2009, où cette espèce était menacée de disparition. Ces indices, mis en commun avec les indices espagnols, serviront à établir des quotas de pêche pour l’Atlantique d’ici à la fin de l’année.
Le fait le plus étonnant relevé lors de cette campagne ne concerne toutefois pas un poisson, mais une espèce de crabe : le crabe nageur. « Nous observons chaque année ces crabes mais nous ne les avions jamais vus aussi nombreux et organisés en bancs », indique Erwan Duhamel, technicien en halieutique et cochef de mission sur la campagne Pelgas. 20 Minutes l’a interrogé.
Vous soulignez dans les résultats de l’étude Pelgas 2023, avoir observé des bancs de crabes nageurs en grande quantité dans le golfe de Gascogne. Qu’est-ce que cela veut dire ?
Il est tout à fait normal de voir cette espèce de crabe nageur dans le golfe de Gascogne, puisqu’il fait partie de l’écosystème pélagique, mais cette année nous en avons effectivement trouvé en abondance. Il faut rester prudent quant aux explications, d’abord parce que Pelgas n’est qu’un instantané : la campagne a été réalisée en mai, et rien ne dit que si nous partions en mer maintenant, nous retrouverions ces bancs de crabes. Ou au contraire peut-être se sont-ils encore plus développés. Ensuite, la campagne Pelgas est menée depuis une vingtaine d’années, nous ne savons donc pas avec certitude si de telles observations ont déjà eu lieu il y a quarante ou cinquante ans. Enfin, les technologies s’améliorent sans cesse, notamment l’acoustique qui est une science récente. Il y a ainsi des choses que l’on peut détecter maintenant, que nous ne pouvions pas il y a quelques années.
Quelle est la particularité de cette espèce ?
C’est un crabe qui ne touche quasiment jamais le fond. Il vit dans la colonne d’eau, parfois en surface, on peut le voir d’ailleurs en naviguant le long de la côte. Il fait partie des proies de tout ce qui est thonidés dans tout l’Atlantique nord-est.
Outre ces bancs de crabe, vous soulignez avoir observé également beaucoup d’animaux planctoniques gélatineux tandis que les pêcheurs relèvent remonter beaucoup de méduses depuis juin. Tout cela peut-il être lié au dérèglement climatique ?
Il y a beaucoup d’incertitude, mais cela fait quand même penser à un dérèglement de l’écosystème. Il se passe des choses qui ne rendent pas tout à fait serein. Quasiment tous les ans, nous avons un invité surprise dans l’écosystème que l’on ne voyait pas avant. Je ne parle pas nécessairement de poissons, mais de plancton, de gélatineux… Il y a quelques années par exemple ce dont les salpes que nous avions vues en grande quantité. Il s’agit de petits organismes gélatineux de 2 à 3 cm et qui s’agglomèrent entre eux pour former des rubans de deux à trois mètres. Il y a cinq ans, ce sont des petits gastéropodes pélagiques qui se sont invités. On voit aussi depuis plusieurs années de plus en plus de méduses. Qu’est-ce que cela peut vouloir dire ? Nous cherchons, parce que tout cela est assez récent. C’est pourquoi il faut continuer à mener ces observations, et à quantifier les biomasses de poissons évidemment, ce qui intéresse le plus les pêcheurs professionnels.
Justement, quelles sont les tendances cette année en volumes de poissons ?
Sur la sardine, première espèce de poisson pêchée sur la côte Atlantique, on n’est ni dans le rouge, ni dans une année exceptionnelle. Mais il semble que l’on a enfin stoppé le déclin de la croissance des sardines, que l’on observait depuis des années. Sur l’anchois, la situation n’est pas catastrophique mais la population observée a été divisée par deux par rapport à 2022, et nous sommes revenus à un niveau moyen, alors que cela faisait des années que nous étions à des niveaux de biomasse exceptionnels. On revient de loin avec l’anchois, car en 2005 il y en avait tellement peu que l’on se demandait, même en fermant la pêche, s’il allait pouvoir renaître de ses cendres. Ce n’était pas à cause de la pêche mais de l’environnement, mais il a tout de même fallu fermer la pêche pendant cinq ans. La mesure a été efficace, puisque, en 2021, il y avait de l’anchois partout.