« J’étouffe chez moi, la chaleur est invivable »… La précarité énergétique, c’est aussi l’été
CANICULE•Plus d’un Français sur deux (59 %) déclare avoir souffert de la chaleur l’été dernier. Mauvaise isolation, absence de volets… Les « bouilloires » énergétiques empirent la situationGabrielle Trottmann
L'essentiel
- D’après le baromètre du Médiateur de l’énergie, 59 % des français déclarent avoir souffert de la chaleur chez eux à l’été 2022. Un pourcentage en hausse de 8 points par rapport à l’année précédente.
- En 2021, 37 % des personnes interrogées dans le cadre d’un sondage OpinionWay ont déclaré souffrir de la chaleur dans leur logement systématiquement ou souvent. 54 % des 18-24 ans seraient concernés, une proportion qui retombe à 23 % pour les plus de 65 ans, qui sont en revanche les plus vulnérables face aux canicules.
- Ce lundi, la Fondation Abbé-Pierre publie une étude sur la précarité énergétique d’été. Elle plaide pour un « plan volets », afin d’équiper tous les logements dans l’urgence en attendant la rénovation globale des 5 millions de passoires thermiques du pays, et en complément de mesures pour rafraîchir la ville, comme la végétalisation.
«Je regarde la météo quatre ou cinq fois par jour. J’ai observé qu’il fait souvent plus chaud chez moi qu’à l’extérieur »… Après avoir économisé pendant plus de vingt ans pour acheter un deux-pièces dans une résidence du 19e, à Paris, Bertille* ne s’attendait pas à subir de tels excès de température. Au moment où elle nous parle, il fait 23 °C à l’extérieur et une douce brise rafraîchit l’air. Mais chez elle, son thermostat affiche déjà 27 °C en fin de matinée. Son rêve ? Installer des stores ou des volets, voire « motiver le syndic » pour obtenir une rénovation énergétique globale de son logement, classé E. La dernière catégorie avant de basculer dans les passoires thermiques, classées F et G.
Mais dans sa copropriété d’un peu plus de 300 habitants, obtenir l’autorisation de faire des travaux tourne vite au casse-tête : « Je n’ai pas l’énergie en ce moment », explique cette mère célibataire. L’été dernier, elle a testé le ventilateur, avec des pains de glace : « mais cela ne changeait pas grand-chose ». Ce week-end, elle voulait profiter d’un moment de libre pour tenter d’accrocher des couvertures de survie sur ses fenêtres, en espérant que cela améliorera un peu sa situation.
« Mon fils avait à peine six mois, j’avais peur pour sa santé »
Inquiète à cause des dérèglements climatiques, elle « ne supporte pas » de voir la clim allumée : « ça pollue et c’est un gâchis d’énergie énorme, à part dans les hôpitaux et les Ehpad ». Pourtant, l’été dernier, pour la première fois de sa vie, elle a envisagé d’en installer une. Pas pour elle. Pour son fils : « lors des fortes chaleurs, il avait à peine six mois, j’avais peur pour sa santé », raconte-t-elle, avec une voix où transparaît l’angoisse de vivre un nouvel été compliqué.
Bertille est loin d’être la seule à appréhender le retour de la canicule dans un logement inadapté. D’après le baromètre du Médiateur de l’énergie, 59 % des Français déclarent en avoir souffert chez eux à l’été 2022, huit points de plus par rapport à 2021. Et durant ce même été, les vagues de chaleur ont provoqué un excès de mortalité estimé à 11.000 morts, selon l’Insee.
Dans quelle mesure souffre-t-on davantage de la chaleur lorsque son logement est mal isolé, voire, est une véritable « bouilloire énergétique » ? « Difficile à quantifier, concède Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé-Pierre, qui en publie une ce lundi sur la précarité énergétique d’été. Toutes les enquêtes d’opinions montrent que le ressenti augmente. Ce qui est compliqué, c’est que les données dont nous disposons ne permettent pas d’évaluer la gravité de la situation, entre les gens qui ont "un peu" chaud et les cas qui peuvent mettre en danger la santé. La sensation de froid, l’hiver, est mieux documentée… »
54 % des 18-24 ans souffrent dans leur logement
Quelques chiffres ressortent néanmoins. Toujours selon le baromètre du Médiateur de l’énergie, les locataires sont légèrement plus nombreux à souffrir d’un excès de chaleur (63 % contre 59 % au global). Et, selon un sondage OpinionWay de 2021, 37 % des personnes interrogées déclaraient souffrir de la chaleur dans leur logement systématiquement (5 %) ou souvent (32 %). 54 % des 18-24 ans seraient concernés, une proportion qui retombe à 23 % pour les plus de 65 ans, qui sont en revanche les plus vulnérables face aux canicules.
Âgé de 22 ans, Nathan paye 560 euros par mois pour habiter dans un studio du 18e à Paris, sous les toits, infesté par les cafards et les punaises de lits. Après avoir passé l’hiver à dormir emmitouflé sous sa couette, en jean et en bonnet, il saute des repas tant la chaleur lui coupe l’appétit. « Je n’arrive pas à dormir alors qu’il ne fait même pas encore très chaud. Ce qui m’inquiète, c’est comment ça va être lors des grandes vagues de chaleur… » Son propriétaire ne lui a pas communiqué le diagnostic de performance énergétique. Et avec son combat pour éradiquer les nuisibles, il ne se voyait pas, en plus, lui demander de réaliser des travaux. Alors, pour écrire le mémoire de son master, il se réfugie souvent chez des amis, en quête de fraîcheur. Et l’année prochaine, s’il trouve une alternance, il essayera de déménager. Mais l’état du studio l’inquiète pour les futurs habitants : « avec le changement climatique, il va faire de plus en plus chaud, et le problème ne va pas disparaître… »
« Je sais que je ne suis pas la plus à plaindre, mais… »
Louise est un peu gênée de témoigner. Elle n’arrête pas de répéter : « Je sais que je ne suis pas la plus à plaindre, mais… » Agée de 25 ans, cette assistante de recherche habite en colocation à Montpellier, dans un quartier « très minéralisé ». L’été dernier, le thermomètre a atteint 35 °C plusieurs jours d’affilée, chez elle, sans redescendre. « C’était invivable, on ne pouvait pas dormir. Heureusement, des voisins nous ont accueillis de temps en temps. » Son logement est « seulement » classé en catégorie E, mais mentionne un confort d’été « insatisfaisant », avec des recommandations de travaux… Que son propriétaire « refuse de réaliser ».
En attendant, Louise bricole. Elle a acheté des rideaux de seconde main sur Leboncoin, elle se renseigne sur les aménagements qui ne coûteraient pas trop cher, elle cherche des plantes… La chaleur rentre par une véranda mal isolée, et il faudrait plusieurs couvertures de survie pour la recouvrir entièrement, ce qui coûterait un peu plus d’une centaine d’euros, selon ses calculs. Là encore, le propriétaire « refuse d’investir ».
Malgré cela, elle ne lui en veut pas : « j’ai conscience que ce n’est peut-être pas simple pour lui non plus. Et je pense qu’il faudrait apporter une réponse systémique au niveau de l’aménagement des villes qu’il faut végétaliser et de nos politiques publiques, afin de ne pas être seuls à se démener avec nos problèmes… »
« Le plan de sobriété d’été du gouvernement doit mieux intégrer cette question »
Une réponse politique à plusieurs niveaux, c’est justement ce que réclame la Fondation Abbé-Pierre. « Le plan de sobriété d’été du gouvernement doit mieux intégrer cette question. Nous demandons la mise en œuvre d’un grand "plan volet", qui permette à tout le monde de s’équiper, avec une prise en charge des frais pour les ménages les plus modestes, expose Manuel Domergue. Il faut aussi que les bailleurs sociaux installent des stores sur leurs façades et sécurisent l’ouverture des fenêtres. Et il va falloir rendre obligatoire la rédaction d’instructions concernant l’installation de protections solaires et de volets dans chaque règlement de copropriété et simplifier les règles, dans les zones soumises à l’appréciation des Architectes des bâtiments de France (ABF), qui s’opposent parfois à la pose de volets pour des raisons esthétiques. »
A l’échelle urbaine, la Fondation insiste, comme Louise, sur la nécessité de « végétaliser les villes ». Une autre piste est de repeindre les toits de peinture blanche, car cette couleur renvoie mieux les rayons du soleil. Enfin, tous ces dispositifs ne doivent pas faire oublier une réponse à plus long terme : « la rénovation énergétique globale des cinq millions de passoires thermiques en priorité, mais aussi, sans doute, à terme, de tous les logements. Des travaux qui peuvent coûter 30.000 à 40.000 euros », avec divers dispositifs de financements, parfois complexes à comprendre, et un reste à charge qui dissuade parfois les propriétaires de passer à l’acte.
La climatisation, une maladaptation face au changement climatique
Le risque, si l’on n’agit pas maintenant ? Voir proliférer les climatisations, alors qu’elles constituent une maladaptation face au changement climatique, du fait de l’air chaud et des fluides frigorigènes qu’elles rejettent, en plus d’être un marqueur d’inégalités sociales. 37 % des catégories supérieures en possèdent une, deux fois plus que les ménages sans emploi ou inactifs, selon une étude de l’Ademe.
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