Destruction du barrage de Kakhovka : En Ukraine, la nature prête à payer un lourd tribut
éco-drame•Après la destruction partielle du barrage hydraulique, le sud de l’Ukraine semble se diriger vers une nouvelle catastrophe écologiqueOctave Odola
L'essentiel
- Mardi, le barrage hydroélectrique de Kakhovka, situé dans la région de Kherson, a été partiellement détruit.
- En plus de la catastrophe humanitaire, la nature paie un lourd tribut de ce nouveau drame en Ukraine.
- Risque nucléaire, pollution, déstabilisation de la faune et de la flore… Quelles sont les conséquences de la destruction de cette infrastructure ? Des experts de Greenpeace, IFAW et Robin des Bois répondent à nos interrogations.
Du propre aveu de l’ex-ministre de l’Ecologie ukrainien Ostap Semerak, il pourrait s’agir de la « plus grande catastrophe écologique en Ukraine depuis l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl ». Mardi, le barrage hydroélectrique de Kakhovka, situé dans la région de Kherson, a été partiellement détruit.
« Plus de 17.000 civils » vont devoir être évacués, avait indiqué mardi le procureur général ukrainien. En ciblant le barrage, qui retenait 18 kilomètres d’eau, un péril écologique vient s’ajouter au drame humain. « Une zone d’environ 5.000 kilomètres carrés est affectée par les inondations. Dans ce périmètre, environ 22 espèces végétales ont été complètement inondées. Au niveau des espèces animales, on n’a pas encore l’inventaire global. Certaines races de petits poissons vont disparaître. Pour certaines autres espèces de poissons et d’oiseaux, il faudra 3 à 7 ans pour restaurer la population », déplore Natalia Gosak, responsable de terrain du sauvetage de la faune sauvage pour le Fonds international pour la protection des animaux en Ukraine (IFAW).
Des refuges pour animaux submergés de demandes
Sauf les cygnes, tous les animaux d’un zoo situés à Nova Kakhovka ont péri dans la catastrophe. « Nous avons déjà reçu des informations selon lesquelles les refuges voisins sont submergés de demandes de secours », a précisé la spécialiste. Avec le déversement en quantité de l’eau du Dniepr, quatrième plus long fleuve d’Europe, des risques de dessalinisation temporaire de certaines zones de la mer Noire sont à prévoir. Avec, comme le rappelle l’ONG ukrainienne Ecoaction, des perturbations majeures pour l’écosystème.
« Il faut aussi s’inquiéter des conséquences de cette destruction en aval du barrage, vers le port de Kherson. Il y a des entrepôts, des silos à grain, on peut craindre une pollution aux engrais et aux hydrocarbures qui vont partir dans le delta du Dniepr, commente Jacky Bonnemains, président de l’ONG Robin des Bois, spécialiste dans la défense de l’environnement. Dans l’idéal, il faudrait attendre que les eaux se retirent et faire un tri de tous les déchets, notamment électroniques et électroménagers. C’est facile à dire, mais difficile à mettre en œuvre dans un pays en paix. Alors, en temps de guerre… »
Et, comme si ça ne suffisait pas, des centaines de litres d’huile de moteur sont venus se déverser dans l’eau, accentuant la pollution de la zone. Alimentation en eau potable de la population, irrigation d’une partie de l’Ukraine… Pas un jour ne passe sans qu’un nouveau problème ne soit soulevé.
La centrale de Zaporojie dépendante du barrage
« A moyen terme, il plane une menace directe sur la centrale nucléaire de Zaporojie (située à 150 kilomètres en amont du barrage). Son alimentation en eau dépend en partie du réservoir de Kakhovka, précise Pauline Boyer, chargée de campagne sur la transition énergétique pour Greenpeace. Les réacteurs étant éteints, les besoins sont certes moins importants, mais l’infrastructure doit tout de même être alimentée en eau. « Les piscines de stockage de combustible irradié nécessitent un refroidissement actif », précise la spécialiste.
Depuis mardi, Moscou et Kiev se renvoient la responsabilité des dégâts de l’une des plus grandes infrastructures du pays en guerre. La Russie a provoqué « l’une des pires catastrophes environnementales de ces dernières décennies », a affirmé mercredi Denys Chmygal. Vladimir Poutine, qui dénonce « un acte barbare » de l’Ukraine, est accusé d’être l’auteur d’un « écocide » par ses adversaires.
Un crime de destruction de milieux naturels reconnu dans le droit ukrainien, mais pas par les lois internationales. « On ne peut pas séparer le désastre humain et environnemental. A Greenpeace, on appelle à ce que les infrastructures sensibles ne soient plus touchées, on voit que le droit international est bafoué, et qu’on se sert d’une centrale comme d’un bouclier, énumère Pauline Boyer. L’écocide ? On atteint des situations qui pourraient s’en approcher ».