DéforestationPremière audience « décisive » sur le commerce de bois illégal

Bois illégal importé : 40 000 euros d’amende requis contre une entreprise française

DéforestationGreenpeace, Canopée et France Nature Environnement ont déposé plainte contre la scierie Pierre Robert, accusée d’avoir enfreint la réglementation en important du bois des forêts de l’Etat de Para, au Brésil. Une première en France, disent ces ONG
Gabrielle Trottmann

Gabrielle Trottmann

L'essentiel

  • Les ONG France Nature Environnement, Canopée et Greenpeace ont porté plainte contre deux entreprises, accusées d’avoir vendu, en France, du bois coupé de manière illégale dans les forêts du Brésil.
  • Deux audiences auront lieu au cours du mois : le mercredi 7 juin au tribunal correctionnel de Châteauroux (Indre) et le 19 juin devant tribunal correctionnel de Rennes.
  • Les associations souhaitent que les contrôles soient réalisés de manière indépendante et dénoncent un manque de transparence de la part des administrations.

Edit : 40 000 euros d’amende, dont 20 000 euros avec sursis, ont été requis par la procureure. Le jugement a été mis en délibéré au 6 septembre.


Des troncs d’arbres coupés illégalement dans l’Etat du Para, au Brésil, pour être revendus par des entreprises françaises. C’est ce que reprochent les associations Greenpeace, France Nature Environnement et Canopée à la scierie Pierre Robert. Un premier procès se tenait ce mercredi au tribunal correctionnel de Châteauroux, dans l’Indre. Son objectif : obliger les entreprises « à respecter la réglementation en vigueur », alors même que « de nombreux manquements » ont été constatés par les ONG, explique Laura Monnier, responsable juridique de Greenpeace. Et d’insister : « C’est une première audience décisive en France ».

Absence d’autorisation d’exploitation, chantiers qui ne correspondent pas aux normes, manque de protections des travailleurs, embauche de mineurs… Le trafic de bois illégal recouvre de multiples réalités, favorisées par le recours à la sous-traitance dans la filière. Avec des conséquences dramatiques pour la planète : aujourd’hui, la forêt amazonienne est tellement dégradée qu’elle rejette plus de CO2 dans l’atmosphère qu’elle n’en absorbe. Par ailleurs, l’exploitation du bois illégal peut être liée financièrement au crime organisé ou à des fraudes fiscales.



Un manquement au principe de « diligence raisonnée » ?

La situation est particulièrement catastrophique dans l’Etat du Para, l’un des principaux exportateurs de bois exotique en Europe. C’est notamment là que pousse l’Ipé, une essence prisée pour la réalisation de terrasses ou de meubles de jardin. D’après un rapport publié par Greenpeace en 2018, pas moins de 77 % des plans d’exploitation délivrés par les entreprises forestières dans cette région comportent des traces flagrantes de fraudes. Parfois, le volume déclaré serait jusqu’à dix fois supérieur au volume réel présent dans une concession, selon cette même enquête.

Dans cette affaire, l’entreprise Pierre Robert est soupçonnée d’avoir manqué au « système de diligence raisonnée », qui découle du règlement sur le bois européen de 2013. En clair : la scierie est accusée de ne pas avoir pris toutes les précautions possibles pour éviter d’importer et de commercialiser en France du bois issu d’une récolte illégale, grâce à l’utilisation d’un système de traçabilité efficient. « Il appartient désormais à la justice de faire preuve de courage et de prononcer des sanctions exemplaires pour permettre, enfin, le respect du droit », estime Me Marie Dosé. L’entreprise avait déjà été épinglée dans une enquête réalisée par Greenpeace en 2014, avant de réapparaître à nouveau dans le rapport publié en 2018.

Devoir de vigilance renforcée

« Quand on s’approvisionne en provenance de pays où la corruption est importante ou qui subissent de plein fouet la déforestation, il est nécessaire de faire preuve d’une vigilance renforcée, en faisant appel à des tierces parties, pour vérifier que les informations transmises depuis le pays exportateur sont correctes », estime Grégoire Jacob, consultant au sein de l’association Earthworm, qui accompagne les entreprises dans la responsabilisation de leur chaîne d’approvisionnement. Il est appelé à comparaître mercredi en qualité de témoin, à la demande des associations.

L’entreprise Pierre Robert dénonce de son côté une procédure judiciaire « cruelle et incompréhensible » : « toutes les inspections réalisées par la Direction régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt (DRAAF) considèrent que notre veille documentaire est de qualité. »

Manque d’indépendance et de transparence

Pour Greenpeace, les entreprises ne sont pas les seules responsables des manquements à la réglementation : c’est tout le système de contrôle qui est à revoir. « Le ministère de l’Agriculture ne peut pas faire à la fois la promotion de la filière française et sanctionner les éventuels manquements à la réglementation, il vaudrait mieux que les contrôles dépendent du ministère de l’Environnement », estime Laura Monnier. Par ailleurs, selon elle, « les équipes ne sont pas assez nombreuses, pas assez formées, et la prise de décision au niveau régional renforce les risques de conflit d’intérêts à l’échelle locale. »

L’ONG dénonce également le manque de transparence de l’administration, qui ne fournirait, selon elle, que des informations « lacunaires » concernant les contrôles réalisés par les DRAAF. Les noms des entreprises forestières n’apparaissent pas dans les bilans fournis, afin de préserver leur réputation, à l’inverse de ce qui est fait pour les installations classées protection de l’environnement, par exemple. « Nous avons saisi le tribunal administratif de Bordeaux, qui a confirmé que l’administration est en devoir de nous transmettre des données plus approfondies, mais malgré cela, nous sommes toujours en attente d’informations plus détaillées. Nous avons déposé un recours judiciaire avec l’association France Nature Environnement devant le tribunal administratif de Paris afin de venir à bout de cette rétention administrative assumée par le ministère public », conclut Laura Monnier.

Au moment où l’UE se dote d’une législation sur la déforestation importée

Dans le même temps, de nouvelles législations prévoient une vigilance accrue des entreprises : le 1er juin, les députés européens ont adopté avec une large majorité, le projet de directive qui doit imposer aux grandes entreprises d’assurer le respect des droits humains et sociaux et des engagements climatiques, sur toute leur chaîne de valeur. Au mois d’avril, cette même instance a adopté un règlement visant à s’assurer que le bois l’huile de palme, le soja, le café, le cacao, le caoutchouc et le bétail importés ou exportés par les Etats membres de l’Union européenne, n’ont pas été produits sur des terres qui ont été déboisées après le 31 décembre 2020. Si ces nouvelles règles ne concernent pas directement les procédures judiciaires en cours, Laura Monnier espère qu’elles inspireront « un verdict à la hauteur des enjeux ».

L’entreprise Pierre Robert n’est pas la seule dans le viseur des associations. Le groupe forestier ISB France comparaîtra devant tribunal correctionnel de Rennes le 19 juin dans une affaire similaire.