Agriculture : « Fouiller » l’estomac des araignées permet de savoir si elles mangent les insectes ravageurs
ADN•Découvrez, chaque jour, une analyse de notre partenaire The Conversation. Ce vendredi, des universitaires expliquent comment rendre les pratiques agricoles plus durables20 Minutes avec The Conversation
L'essentiel
- Les araignées pourraient, en tant que prédatrices, être utilisées comme « agent de biocontrôle » pour limiter les populations d’insectes ravageurs de cultures, selon notre partenaire The Conversation.
- À cette fin, il faudrait déterminer leur régime alimentaire et ses saisonnalités. Une solution consiste à analyser leur contenu stomacal à l’aide du barcoding (ou « codage à barres ») de l’ADN.
- Cette analyse a été menée par Aleksandra Jessica Dolezal, doctorante en biologie intégrative ; Andrew MacDougall, professeur de biologie intégrative ; Dirk Steinke, professeur adjoint de biologie intégrative ; Jeremy deWaard, professeur adjoint en génomique de la biodiversité (tous quatre à l’Université de Guelph, au Canada).
- Rédigé en anglais, cet article a été traduit par The Conversation.
Dans les exploitations agricoles, les araignées sont d’importants prédateurs : elles contribuent à contrôler les populations d’insectes, y compris ceux qui ravagent les cultures. Elles pourraient ainsi être utilisées comme « agent de biocontrôle » pour limiter intentionnellement les populations de ces ravageurs des cultures. Mais nous devons pour cela mieux comprendre leurs rôles dans les écosystèmes agricoles.
Les zones semi-naturelles autour des champs d’une exploitation agricole sont des refuges pour les araignées et d’autres arthropodes. Ces habitats leur fournissent des abris et des sources de nourriture alternatives à leurs proies habituelles, notamment lors des labours ou lorsque l’utilisation de pesticides est importante.
Le régime alimentaire des araignées
Pour déterminer si les araignées pourraient être des agents de biocontrôle efficaces, il faut déterminer leur régime alimentaire et ses saisonnalités : est-ce qu’elles mangent des insectes ravageurs de cultures, quand, etc.
Mais il s’avère difficile de savoir ce qu’ont mangé des araignées, car elles liquéfient les restes de leurs proies. En effet, certaines sont trop grosses pour être mâchées, voire trop dures à cause de leur exosquelette. Afin de décomposer les tissus corporels, les araignées expulsent donc des enzymes digestives sur leurs proies.
Pour les scientifiques, une solution consiste à analyser le contenu stomacal des araignées à l’aide du barcoding de l’ADN (ou « codage à barres »), une technique qui consiste à identifier une espèce en séquençant un fragment d’ADN, court et standardisé, d’un gène particulier. Cette méthode fonctionne même si les restes de proies sont liquéfiés.
La technique du codage à barres de l’ADN a 20 ans : Paul Hebert l’a appliqué aux arthropodes en 2003 (avec certains d’entre nous), et a montré qu’il était possible de distinguer les espèces animales en séquençant l’ADN d’un spécimen. Depuis, la technologie a évolué grâce aux progrès dans les domaines du séquençage d’ADN et de la bio-informatique : il est maintenant possible d’identifier rapidement et avec précision les espèces présentes dans de nombreux échantillons.
Analyse ADN de l’estomac d’une araignée
Il est ainsi devenu de plus en plus fréquent – et populaire –, d’analyser le contenu stomacal des araignées grâce au barcoding de l’ADN : l’ADN trouvé dans l’intestin d’une araignée permet de savoir ce qu’elle a mangé, et quel rôle elle tient dans l’écosystème.
Le processus d’analyse commence par la capture d’araignées sur le terrain. On les broie ensuite en une « soupe d’ADN », afin d’extraire l’ADN contenu dans leur estomac. En effet, l’estomac des araignées est très étendu, et traverse différentes parties du corps. Broyer des araignées entières peut aider à détecter l’ADN de leurs proies.
On peut ainsi déterminer si une araignée est généraliste – c’est-à-dire si elle se nourrit de nombreuses proies différentes, ou spécialiste – si elle se nourrit d’une espèce ou d’un groupe d’espèces particulier, qui peut inclure ou non des insectes ravageurs des cultures. Ces informations pourraient permettre de déployer des araignées comme agents de biocontrôle, une solution de lutte contre les ravageurs qui est plus durable, moins coûteuse et plus respectueuse de l’environnement que les insecticides.
Les prédateurs généralistes, dont certaines araignées, mangent en fait ce qu’ils trouvent : des espèces ravageuses comme les pucerons ainsi que des espèces qui ne s’attaquent pas aux cultures comme les collemboles.
C’est grâce à cette technique que les chercheurs ont constaté que les échantillons prélevés en début de saison de culture révélaient des « estomacs vides », et une augmentation du contenu de l’estomac plus tard dans la saison agricole. Mais ces recherches précédentes avaient analysé le contenu de l’estomac de trois espèces d’araignées seulement, et uniquement au début et à la fin de la saison de culture.
Nous cherchons actuellement à combler ces lacunes.
Des communautés d’araignées qui évoluent au fil de la saison des cultures
Nous menons nos recherches dans des exploitations agricoles qui comportent toutes un habitat restauré adjacent aux cultures, comme des prairies d’herbes hautes et des zones humides.
La présence de ces différents types d’habitats dans les exploitations agricoles modifie la structure du réseau trophique, avec des groupes de proies et de prédateurs qui se relayent au fil de la saison. Les habitats aquatiques (zones humides) et terrestres (prairies) sont connus pour favoriser les populations d’araignées, et donc la fonction de biocontrôle que nous cherchons à étudier.
Nous avons échantillonné les communautés d’araignées de manière intensive pendant quatre mois, entre mai et août, et à différentes distances des champs, afin d’étudier les mouvements des araignées tout au long de la saison de croissance des cultures. La connaissance des populations d’araignées et de leurs mouvements intervient dans la gestion des systèmes agricoles, par exemple pour déterminer le meilleur moment pour répandre des pesticides dans les champs.
Plusieurs groupes fonctionnels d’araignées
Sur les exploitations agricoles avec des habitats restaurés à côté des champs de culture, nos données préliminaires révèlent la présence de plusieurs groupes fonctionnels d’araignées : des araignées tisseuses de toiles, des araignées de sol, des araignées embusquées, des chasseuses.
Au total, nous avons identifié vingt familles d’araignées au long de la période d’échantillonnage. Certaines étaient plus présentes dans certains habitats que dans d’autres. Ce nombre de familles présentes au sein d’exploitations agricoles est assez conséquent : il y a en effet environ vingt-cinq familles d’araignées au total dans cette région (autour de Toronto, au Canada).
Nous avons constaté une plus grande abondance d’araignées et de leurs proies dans les zones semi-naturelles entourant les champs de culture et à proximité de ces zones restaurées (zones humides ou prairies).
Les données préliminaires montrent également que les mois de juin et d’août sont la haute saison pour l’activité des araignées dans ces exploitations agricoles, où elles se déplacent beaucoup plus qu’en mai et en juillet.
Mieux protéger les araignées, leurs écosystèmes… et la production agricole
En étudiant le contenu de l’estomac des araignées, nous espérons mieux comprendre le rôle qu’elles jouent dans leurs écosystèmes, ce qui pourrait permettre de promouvoir des modèles de protection des cultures respectueux de l’environnement et inspirés de la lutte naturelle contre les ravageurs.
Selon une méta-analyse de 58 études publiées, les araignées ont supprimé les insectes nuisibles agricoles dans 79 % des études, ce qui a permis d’améliorer les performances agricoles. Le recours excessif aux produits chimiques pour lutter contre les ravageurs des cultures n’est pas une option durable et il est urgent d’utiliser des approches écologiques.
NOTRE DOSSIER « ARAIGNÉES »
Ainsi, le barcoding d’ADN ouvre de nouvelles voies pour étudier l’écologie des araignées et leur potentiel en tant qu’agents de biocontrôle dans les paysages agricoles. Et grâce aux progrès des technologies de séquençage de l’ADN et de la bio-informatique, cela pourrait contribuer à rendre les pratiques agricoles plus durables.
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