CHaNGEMENT CLIMATIQUEDans les Alpes-Maritimes, des plages privées vont être... privées de plage

Dans les Alpes-Maritimes, des plages privées vont être... privées de plage

CHaNGEMENT CLIMATIQUEAlors que le trait de côte remonte selon des études, la mairie de Villeneuve-Loubet a annoncé qu’elle ne renouvellerait pas les concessions de quatre de ses plages privées. Exit les transats, seuls les restaurants pourront rester
Fabien Binacchi

Fabien Binacchi

L'essentiel

  • A Villeneuve-Loubet, depuis plusieurs années, le trait de côte remonte. A tel point que la mairie de cette commune des Alpes-Maritimes a annoncé qu’elle ne renouvellerait pas, en 2024, les concessions de quatre de ses plages privées.
  • « Le dérèglement climatique aggrave le processus et ça va s’accélérer alors ce serait complètement irresponsable de resigner pour douze ans de plus », justifie le maire (LR) Lionnel Luca, interrogé par 20 Minutes.
  • « Si les concessions n’étaient effectivement pas renouvelées, nos établissements ne fermeraient pas comme certains ont pu le dire puisque nos restaurants sont situés sur une parcelle privée qui n’a rien à voir avec le domaine public maritime, seul concerné par la délégation de service public », explique un plagiste.

Un « coup de mer » avait tout ravagé en novembre 2011. Depuis, régulièrement, et de plus en plus fréquemment, les galets se retrouvent projetés jusque sur la route. Des vagues viennent même parfois lécher les chemins de fer qui tracent à quelques dizaines de mètres du littoral. A Villeneuve-Loubet, depuis plusieurs années, le trait de côte remonte. A tel point que la mairie de cette commune des Alpes-Maritimes, entre Cannes et Nice, a annoncé qu’elle ne renouvellerait pas, en 2024, les concessions de quatre de ses plages privées. En fait, toutes celles situées à l’ouest des immenses vagues blanches de l’ensemble immobilier Marina-baie des Anges. Là, exit les transats.

Une décision entérinée fin mars en conseil municipal « au vu de la forte érosion du littoral », celle-ci générant « une incertitude avérée en termes de sécurité […] pour le maintien d’activités balnéaires ou nautiques pérennes ». « Le dérèglement climatique aggrave le processus et ça va s’accélérer. Ce serait complètement irresponsable de resigner pour douze ans de plus », justifie le maire (LR) Lionnel Luca, interrogé par 20 Minutes.

Jusqu’à 40 cm de moins par an ?

Selon lui, le phénomène ne serait pas nouveau. Il remonterait à la création, à quelques kilomètres de là, de l’extension de l’aéroport Nice Côte d’Azur, dont des pistes ont été construites sur la mer. A la fin des années 1980. « Rapidement, après le lancement des travaux, on s’est aperçu que les courants marins avaient changé, qu’ils nous emportaient une partie du rivage vers Antibes, à l’ouest. Les autorités ont nié tout rapport, mais ceux qui sont du coin l’ont tous constaté », assure-t-il.


Les plages se sont barricadées face aux coups de mer.
Les plages se sont barricadées face aux coups de mer. - F. Binacchi / ANP / 20 Minutes

« Et les changements climatiques accélèrent encore les choses », répète le maire, citant une étude du Cérema, le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement. Selon cet établissement public placé sous la tutelle du ministère de la Transition écologique, la plage de Villeneuve-Loubet reculerait de 30 à 40 cm par an à certains endroits. « La mer est déjà au pied des restaurants quand elle est un peu haute. Elle est à un mètre, trois mètres dans le meilleur des cas. » Guy Cassou, un pêcheur septuagénaire habitué des lieux et interrogé par l’AFP confirme que « la mer a bien avancé de trois à quatre mètres en quinze ans ».

L’espace balnéaire concerné, pas les restaurants

Une version contestée sur place par l’un des plagistes. « J’ai remis la main sur des documents du géomètre, datés de 2002. Le trait de mer se situait alors à 13 m et c’est toujours ce que je mesure aujourd’hui. Je suis prêt à le faire constater par huissier », appuie Eric Pécaud, qui se présente comme un « associé gérant » du Beach Klubber.

Lui n’a de toute façon plus de concession depuis le dernier renouvellement. « Et on est toujours ouvert pour autant. Si elles n’étaient effectivement pas renouvelées, nos établissements ne fermeraient pas comme certains ont pu le dire, s’agace le responsable, interrogé par 20 Minutes. Nos restaurants sont situés sur une parcelle privée qui n’a rien à voir avec le domaine public maritime, seul concerné par la délégation de service public. »


En saison, les transats sont offerts aux clients qui déjeunent au restaurant, mais pour combien de temps encore ?
En saison, les transats sont offerts aux clients qui déjeunent au restaurant, mais pour combien de temps encore ? - F. Binacchi / ANP / 20 Minutes

A la gauche du Beach Klubber, le 716 s’est barricadé contre les coups de mer, comme son voisin. Un mur de planches, construit comme une digue, fait face à la mer. A sa droite, le Mombasa a sa terrasse surélevée, sur des pilotis. Le quatrième établissement, le Beach Paradise, est quant à lui fermé depuis une énième tempête. Tous peuvent encore espérer que la concession de leur lot soit renouvelée directement par l’Etat, qui délègue d’habitude cette tâche aux communes. Mais, « pour l’instant, la question de l’occupation du domaine public maritime par les établissements existants n’a pas encore fait l’objet de décisions », a fait savoir la préfecture des Alpes-Maritimes.

Relancer des projets pour lutter contre l’érosion

En attendant, le maire de Villeneuve-Loubet milite pour tenter de limiter l’érosion de son littoral, « sur une zone qui n’appartient pourtant pas à la commune », mais à l’Etat, au département, pour la route, et à la SNCF, au niveau des rails. Un projet de digue qu’il avait entrepris lors de son premier mandat, entre 1995 et 2001, avait été abandonné par son successeur. Mais il espère bien relancer l’expérimentation d’une protection sous-marine en bambou visant à lutter contre la disparition de la plage. Lancée en 2018, après sa réélection, cette dernière était finalement tombée à l’eau en 2021 à son grand désarroi et « à cause des choix arbitraires de certains fonctionnaires », peste Lionnel Luca.

Il entend désormais mobiliser tous les acteurs concernés pour faire bouger les choses. « Le fait de ne pas renouveler les concessions nous sert d’avertisseur, d’alerte, pour dire qu’on doit et qu’on peut trouver des solutions », admet-il aussi. L’élu envisage notamment de faire appel au conseil régional Paca, qui a lancé un appel à projets pour la préservation du « trait de côte ». Une initiative lancée en 2021 par la collectivité en faveur de « l’adaptation des littoraux au changement climatique ».


notre dossier sur l'érosion du littoral

Et il y a urgence à agir selon les spécialistes du Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat de l'ONU. « Les risques pour les écosystèmes côtiers, les personnes et les infrastructures continueront à augmenter au-delà de 2100 en raison de la montée inévitable du niveau des océans », préviennent-ils dans leur dernière synthèse publiée le 20 mars.