Bretagne : « Une année sombre »… Aux Sept-Îles, la grippe aviaire a décimé 20.000 fous de Bassan
HÉCATOMBE•Si l’épizootie a fait des ravages dans les élevages de volailles, les oiseaux marins ont également payé un lourd tribut
Jérôme Gicquel
L'essentiel
- Comme dans les élevages de volailles, l’épizootie de grippe aviaire a fait des ravages chez les oiseaux marins.
- Sur l’île Rouzic, qui abrite l’unique colonie française des fous de Bassan, plus de la moitié des individus ont été décimés.
- Avec près d’un mois de retard, les oiseaux sont de retour sur l’île bretonne depuis quelques jours.
Une immense tache blanche. Voilà à quoi ressemble d’ordinaire l’île Rouzic dans l’archipel des Sept-Îles (Côtes-d’Armor). Depuis 1939, ce gros caillou situé au large de la côte de Granit rose abrite en effet l’unique colonie française de fous de Bassan avec plus de 20.000 couples qui y nichent chaque année. L’an dernier, le rocher a pourtant perdu sa couleur blanche si caractéristique. Il s’est même transformé en plein cœur de l’été en cimetière géant. La faute à l’épizootie de grippe aviaire qui a fait des ravages dans les élevages de volailles mais également sur les oiseaux marins.
Le premier cadavre d’un fou de Bassan a ainsi été découvert le 1er juillet au sommet de l’île. A partir de là, cela a été l’hécatombe jusqu’au départ de la colonie début octobre avec près de 20.000 fous de Bassan adultes qui ont péri, soit plus de la moitié de la population de l’île. « On peut parler d’une année sombre comme on en a déjà connu lors des marées noires suite aux naufrages du Torrey Canyon en 1967 ou de l’Amoco Cadiz en 1978, indique Pascal Provost, conservateur de la réserve naturelle nationale des Sept-Iles. Mais là, la situation est inédite. »
La pire année pour la natalité
Avec ses collègues de la Ligue de protection des oiseaux (LPO), l’ornithologue a assisté impuissant à ce carnage. « On se sentait complètement démunis car on ne pouvait rien faire pour freiner cette mortalité », raconte-t-il. En décimant les adultes, l’épidémie d’influenza aviaire a également fait dégringoler la natalité sur l’île. « C’est la pire année pour la production des jeunes depuis trente ans », souligne Pascal Provost. Avant le début de l’épidémie, 42 % des couples de fous de Bassan présents sur l’île avaient ainsi donné naissance à un poussin. Un chiffre qui est tombé à seulement 10 % en fin d’épizootie « et même à 3 % sur un secteur précis où ce taux était de 77 % à la fin des années 1990 », se désole le conservateur.
Depuis quelques jours, Pascal Provost se sent toutefois un peu soulagé. Après leur migration, les fous de Bassan sont en effet de retour sur l’île Rouzic. « Les premiers se sont posés le 22 février, indique-t-il. On était assez inquiet car ils arrivent en général autour du 27 janvier. Cette année, ils sont restés trois semaines en mer avant de se poser. » Photographe amateur, Michel Prat a survolé la zone le 24 février et observé la présence de milliers de fous de Bassan sur l’île. « Cela fait chaud au cœur de revoir cette colonie après cette année 2022 maudite pour les oiseaux marins », écrit-il sur sa page Facebook.
La colonie mettra du temps à se repeupler
Sur l’île, les ravages causés par l’épidémie de grippe aviaire sont toutefois toujours visibles. « La colonie est très clairsemée et beaucoup d’oiseaux se retrouvent célibataires », indique Pascal Provost. Sur les 102 nids filmés en direct par des caméras qui étaient occupés par des couples en avril 2022, seulement 15 le sont ainsi à ce jour. Pour le reste, 48 sont vides et 39 occupés par un seul individu. Un dépeuplement qui mettra du temps à se résorber, selon le scientifique. « Il faudra des décennies pour retrouver cette densité d’oiseaux que l’on a connue sur l’île, estime-t-il. Mais peut-être aussi qu’on ne retrouvera jamais le niveau d’avant. »
Car avant même cet épisode dramatique de grippe aviaire, la colonie de fous de Bassan avait déjà commencé à décliner depuis quelques années sous l’effet du changement climatique et de la baisse des ressources en mer. « Toutes ces pressions fragilisent l’espèce et la menacent, souligne Pascal Provost. Il faut juste espérer maintenant que cette épizootie de grippe aviaire réveille les consciences et nous rappelle l’importance mais aussi la fragilité de ce patrimoine naturel. »