Mobilité : Comment l'autopartage veut passer la seconde ?
TRANSPORT•Les embouteillages s’allongent, les zones à faibles émissions arrivent et la voiture coûte toujours plus chère à posséder… Les planètes semblent enfin s’aligner pour l’autopartage, qui a bien eu du mal à décoller jusque-làFabrice Pouliquen
L'essentiel
- La mise en partage de véhicules, loués à l’heure, disponibles 24h/24 et 7j/7, à travers un service entièrement digitalisé. Voilà ce qu’est l’autopartage, trop souvent confondu avec le covoiturage ou la location traditionnelle d’un véhicule.
- L’autopartage a-t-il un avenir en France ? Citiz, l’un des principaux opérateurs en France, y croit. Cette coopérative mène d’ailleurs, en ce moment, une levée de fonds pour doubler le nombre de villes où elle est présente d’ici 2025.
- Cette solution de mobilité a des arguments à faire valoir : celui notamment d’être une alternative à la voiture personnelle et de questionner, quand on s’y met, le rapport qu’on a à la voiture tout court. Précieux dans le contexte actuel.
La fin d’Autolib à Paris, à l’été 2018, laissait craindre le pire pour l’avenir de l’autopartage en France. Le service avait beau compter 100.000 usagers réguliers, les véhicules étaient loués quatre fois par jour, il n’a jamais trouvé son équilibre économique. Au point que la mairie de Paris et le groupe Bolloré décident d’arrêter les frais et de chercher une porte de sortie au plus de 3.000 autolibs qui sillonnent la capitale.
« Ce n’était pas génial en termes d’image », glisse aujourd’hui Jean-Baptiste Schmider, P-PDG de la coopérative Citiz qui regroupe quatorze acteurs locaux dans l’autopartage. Ce réseau, lancé il y a 20 ans, compte 1.750 véhicules accessibles en libre-service et dispatchés dans 170 villes. « On est à Lyon, Grenoble ou Strasbourg, mais aussi à Saint-Claude (Jura) ou Pelussin (Loire) », liste Jean-Baptiste Schmider, pour montrer que ce mode de déplacement n’est pas réservé qu’aux grandes villes.
A ne pas confondre avec le covoiturage
Surtout, Citiz est bien décidé à ne pas s’arrêter là. Sur objectif-autopartage.coop, la coopérative mène jusqu’au mois de mars une campagne de levée de fonds avec l’objectif de récolter 300.000 euros pour l’aider à se déployer dans 170 nouvelles villes d’ici 2025. Léa Wester, cheffe de projet à 6t, cabinet d’études spécialiste des mobilités, est, elle aussi, persuadée que l’autopartage à son rôle à jouer dans la transition énergétique. « Son premier problème est qu’on n’en parle jamais, beaucoup d’ailleurs le confondent avec le covoiturage », observe-t-elle. La différence ? Le covoiturage consiste à faire monter à bord de son véhicule d’autres usagers. L’autopartage propose, lui, la mise en partage de véhicules, loués à l’heure, disponibles 24h/24 et 7j/7, à travers un service entièrement digitalisé. C’est ce qui le distingue de la location traditionnelle ou entre particuliers.
C’est toute la promesse de l’autopartage : être une alternative à la voiture personnelle. Ce service sert rarement pour les trajets domicile-travail. « L’utilisation moyenne en autopartage est pour une durée de 5 à 6h et pour un trajet de 50 km, reprend le PDG de Citiz. C’est pour faire des grosses courses, pour transporter des charges lourdes, emmener ses enfants à une activité de loisirs, voir partir en week-end à la campagne. » Autrement dit, des besoins ponctuels mais réguliers de mobilité.
Une alternative à la voiture personnelle
« Et ça marche », assure Léa Wester, qui a pu le mesurer dans l’enquête « Autopartage 2022 », réalisée par 6t pour l’Ademe. « Sur les 2.000 usagers interrogés, 70 % ont un jour eu une voiture et n’en avaient plus au moment du sondage, détaille-t-elle. Parmi eux, 40 % citent la découverte de l’autopartage comme une des principales raisons qui les ont décidés à séparer de leur voiture. » Voire de la seconde lorsqu’ils en possèdent deux.
Ainsi, en moyenne, un véhicule en autopartage remplace, chaque année, entre cinq et huit voitures privées. « Et ses usagers réduisent le nombre de kilomètres parcourus jusqu’à 1.200 km par an en moyenne », ajoute l’Association des acteurs de l’autopartage (AAA) dans son baromètre 2022. Léa Wester confirme cet autre bienfait de l'autopartage : « Le rapport à la voiture change. On n’est plus dans l’usage réflexe de quelque chose qui nous appartient. Au contraire. Pour chaque déplacement, la voiture est systématiquement contrebalancée par les autres solutions de mobilité. »
Voilà qui donne à l’autopartage de jolis arguments à faire valoir dans le contexte actuel, où il faut à la fois désencombrer les réseaux routiers des grandes villes, lutter contre la pollution de l’air et décarboner les transports, premier secteur émetteur de gaz à effet de serre en France. « Si nous remplaçons les 40 millions de véhicules thermiques du parc actuel par 40 millions d’électriques, nous n’aurons pas résolu le problème », rappelle Jean-Baptiste Schmider.
Des planètes qui s’alignent enfin ?
Mais si l’autopartage a des vertus, il est loin d’être suffisamment développé pour pouvoir être un réel levier à l’échelle nationale. A titre de comparaison, l’Allemagne compte trois fois plus d’inscrits à ce type de services, note ainsi l’AAA. Il y a tout de même du mieux ces dernières années. « Comme le covoiturage, l’autopartage s’est plutôt bien relevé du Covid-19 », note le PDG de Citiz. Au 1er janvier 2022, on comptait ainsi 12.677 véhicules partagés dispatchés dans 736 communes, contre 11.546 et 701 communes un an plus tôt. Quant au nombre d’usagers uniques [ayant au moins utilisé un service d’autopartage dans l’année], il est passé de 294.000 à 323.000 en un an, retrouvant presque son niveau d’avant Covid-19.
Léa Wester a dû mal à imaginer que l’autopartage ne poursuive pas sur cette lancée. Tout y pousse, selon elle, à commencer par le coût de la voiture qui ne cesse d’augmenter. Dans un rapport d’octobre dernier, le Réseau action climat le chiffrait à 4.210 euros en 2022, contre 3.680 euros cinq ans plus tôt. S’ajoute l’instauration progressive des zones à faibles émissions qui, en excluant une part croissante des véhicules des grandes métropoles, oblige de nombreux Français à renouveler les leurs. « Ou à choisir l’autopartage justement », glisse Jean-Baptiste Schmider. Plus étonnant, Léa Wester cite aussi le boom du vélo comme très favorable l’autopartage. « Parmi les autopartageurs, on trouve beaucoup de vélotafeurs, déjà entrés dans cette démarche de réduire leur dépendance à la voiture et qui, de fait, s’intéressent autres solutions existantes de mobilités », note-t-elle.
Un coup de pouce attendu de l’Etat ?
Mais si les planètes semblent s’aligner, l’Association des acteurs de l’autopartage ne serait pas contre, pour autant, à plus de soutien public. Il est « nécessaire pour accompagner le développement [de l’autopartage] dans les communes de deuxième couronne et au-delà », où la rentabilité économique est la plus difficile à trouver, écrit-elle dans son baromètre 2022. « Mais pourquoi pas aussi un bonus autopartage pour inciter les Français à l’essayer », questionne Jean-Baptiste Schmider. Le gouvernement vient d’ailleurs de le faire sur le covoiturage.