Méditerranée : Des chercheurs sur les traces des tortues ou des requins pour les protéger
RECHERCHES•Les tortues mais aussi les requins peau bleue sont suivis de très près par des chercheurs afin de les préserver en Méditerranée mais aussi partout dans le mondeElise Martin
L'essentiel
- Depuis plusieurs années maintenant, des espèces marines se voient poser des capteurs sur elles afin que des chercheurs récoltent des données.
- En Méditerranée, c’est le cas des tortues mais aussi des requins peau bleue.
- Comme ces espèces bougent beaucoup, des coopérations internationales sont nécessaires pour les protéger et éviter leur disparition.
Muse était à Nice le 11 juillet 2021, puis s’est dirigée vers Barcelone avant de se retrouver près des îles Baléares et de rester aux larges des côtes égyptiennes. Cette tortue caouanne se situe désormais, d’après les dernières données qui datent du 9 décembre 2022, entre la Sardaigne et la Sicile. Elle fait partie de la dizaine de tortues suivies grâce à des balises télémétriques Argos par le Muséum d’histoire naturelle de Paris depuis un an.
« On équipe les animaux en fin de soins, dans les deux centres avec lesquels on travaille en Méditerranée, au Grau du Roi et à Antibes, précise Françoise Claro, chargée de communication au muséum. Les équipements sont très petits, conçus et adaptés pour ne causer aucune gêne et ils sont performants car les batteries peuvent tenir plusieurs semaines voire des mois. »
Des requins suivis aussi en Méditerranée
Le but de ce programme qui doit durer quatre ans, est de connaître les trajets qu’effectuent les tortues, les zones où elles préfèrent rester et déduire les endroits à hauts risques pour mieux préserver l’espèce. Françoise Claro détaille les premiers éléments récoltés : « Au total, on étudie six espèces dont trois en Méditerranée. Elles sont menacées par les activités humaines, les collisions, la dégradation de leur habitat et de leur alimentation. C’est trop tôt pour faire des bilans mais on a déjà observé que la [tortue] caouanne entre et sort par le détroit de Gibraltar, vers les Etats-Unis ou le Cap-Vert par exemple. »
Les tortues ne sont pas les seuls animaux suivis en Méditerranée. Depuis une dizaine d’années, l’association Stellaris a placé près de 40 capteurs sur des requins peau bleue. « Il y a une forte population au niveau du Golfe du Lion, au nord ouest de Méditerranée, qui est aussi une zone de reproduction, précise le président François Poisson. On a commencé à faire ces recherches car c’est une espèce en danger et qu’il fallait agir en préconisant des mesures de protections. Il n’y a aucune règle actuellement. »
L’association a créé, à destination des pêcheurs, un guide de bonnes pratiques pour manipuler et remettre à l’eau les espèces en danger et ainsi maximiser leur survie. « Le requin peau bleue est l’un des plus capturés car il est présent partout », ajoute le fondateur de l’association. Il existe déjà une coopération internationale avec les pays limitrophes de la Méditerranée. « On était les derniers à adopter cette recherche mais on travaille tous ensemble pour réduire les prises accessoires et avoir une législation sur l’espèce. »
Des stratégies pour agir
La coopération internationale est donc indispensable pour la protection des espèces maritimes. Damien Chevallier le sait. Il y travaille depuis douze ans avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) pour les tortues, dans l’Atlantique cette fois. « Sans les balises, on n’aurait jamais pu affirmer et imaginer que les tortues qui sont en Floride sont les mêmes qui se trouvaient au Venezuela avant et qui sont nées en Guyane », lance-t-il.
Pour lui, l’intérêt de ces programmes est déjà concret. « Le suivi, lancé il y a 40 ans, montre que la ponte en Guyane est en déclin. On est passé de 50.000 pontes par saison de tortues luth, à moins de 70 pontes aujourd’hui, s’exclame le chercheur. Les balises Argos ont permis d’identifier les facteurs de ce phénomène. En combinant avec d’autres outils technologiques comme les biologgeurs, on développe maintenant des stratégies ciblées pour agir. » Le chercheur cite la création d’écloseries « à une échelle internationale » en réponse à l’augmentation de l’érosion, accentuée par la pollution des eaux, qui détruit 20 % des nids de tortues. Avec ses équipes, il a aussi permis à ce que des endroits précis en Martinique ne soient plus fréquentables par les touristes pendant certains horaires pour éviter que leur activité ne soit néfaste, sans que toute une région ne soit pénalisée.
Il conclut : « Les tortues sont en danger et développent des réponses au stress environnemental. Tout ce qui est suivi vient d’une volonté de conservation et on ne peut pas protéger si on ne connaît pas la biologie. Maintenant, il faut agir. Et on a besoin d’une vraie politique de la mer des pouvoirs publics avec des moyens humains et un suivi plus important pour lutter contre la dégradation de la biodiversité. »