Avion : Un quota de vols pour toute la vie… Une idée pas si folle, dites-vous ?
TRANSITION•Aurons-nous un jour un quota de vols en avion à utiliser pour toute la vie ? Jean-Marc Jancovici, membre du Haut Conseil pour le climat, a récemment évoqué à plusieurs reprises ce scénario. Et « 20 Minutes » a voulu avoir l’avis de ses lecteursFabrice Pouliquen
L'essentiel
- Jean-Marc Jancovici, président du think-tank The Shift Project, a récemment lancé le débat, se disant favorable à un système où l’on n’aurait tous, riche ou pauvre, le droit qu’à un nombre limité de vols dans son existence.
- 20 Minutes a voulu sonder ses lecteurs et lectrices sur un tel scénario. Nous avons reçu près de 200 réponses, preuve que le sujet ne laisse pas indifférent.
- Dans le lot, il y a ceux qui balaient la proposition en la qualifiant de « stupide ». Mais une large majorité se disent favorables à l’instauration d’un système de quotas. Beaucoup le disent même « inéluctable ».
Quatre vols en avion, en tout pour tout, dans sa vie, dont deux dans sa jeunesse. « J’ai dit quatre, ça peut être deux, ça peut être cinq, je n’ai pas fait les calculs », précise, au micro de France Inter, Jean-Marc Jancovici. C’était le 24 novembre. La journaliste Léa Salamé questionnait alors le membre du Haut Conseil pour le climat et cofondateur du think-tank The Shift Project et du cabinet de conseil Carbone 4, spécialisés sur les enjeux de transition énergétique, sur un passage d’une interview qu’il avait donné au Parisien un mois plus tôt.
Jean-Marc Jancovici se disait alors « assez favorable à un système communiste : riche ou pauvre, vous auriez droit à trois ou quatre vols dans votre vie, dont deux dans votre jeunesse ». Léa Salamé n’est pas la seule à écarquiller les yeux. 20 Minutes a donc sondé ses lecteurs et lectrices sur ce qu’ils pensent d’un tel quota.
« Retour au Néandertal » ou perspective inéluctable
Signe que le sujet ne laisse pas indifférent, nous avons reçu près de 200 réponses. Dans le lot, un certain nombre rejette sèchement cette perspective, perçue comme une atteinte à la liberté fondamentale de se déplacer. Vincent craint ainsi un retour « au début du XIXe siècle ». « Au Néandertal », surenchérit Erick. « Marre de ces écolos qui veulent punir les Français, pourtant parmi les plus sobres en CO2 parmi les pays développés », tranche alors Hervé, pas le seul à réagir ainsi, souvent d’ailleurs en des termes moins fleuris.
Pour autant, les antiquotas restent largement minoritaires. « Je ne comprends même pas que la question se pose, évidemment qu’il est urgent de prendre cette mesure », répond Romain. Même Nathalie, qui a son frère à Madrid, ou Ludovic, résident au Japon, se disent favorables au quota. Ou du moins s’y résignent. « Hélas, on n’a plus le choix », glisse le second. « Inéluctable » revient dans de très nombreuses contributions (45 !). Certains assurent même ne pas avoir attendu pour limiter drastiquement leur recours à l’avion.
Le déclin du pétrole
Inéluctable, vraiment ? Jean-Marc Jancovici lie ce besoin au déclin à venir de la production mondiale de pétrole, annoncé notamment par le Shift Project. Or, « l’avion, c’est aujourd’hui 8 % du pétrole au niveau mondial », rappelle-t-il. En clair : moins de pétrole signifierait moins d’avions, et donc la nécessité d’en partager l’accès. Pierre Leflaive, responsable transport du Réseau action climat (RAC), ajoute un deuxième impératif dans l’équation : la lutte contre le changement climatique, auquel le secteur aérien doit aussi contribuer en réduisant ses émissions de gaz à effet de serre.
« Il y a un consensus pour dire qu’il n’y arrivera pas sans une réduction de son trafic, glisse-t-il. Même Augustin de Romanet, le PDG du groupe Aéroports de Paris, évoque désormais une période de vingt à trente ans pendant laquelle les voyageurs devront faire preuve de sobriété, le temps que les technologies promises pour arriver à “l’avion vert” soient matures. On peut douter de ce pari. Dans tous les cas, on a tout à gagner en réduisant le recours à l’avion. »
Une régulation par les quotas, plus juste que par les prix ?
« Pour ce faire, il n’y a guère que deux options, résume Grégoire Carpentier, cofondateur du collectif Supaéro décarbo, qui travaille à la décarbonation du secteur. Soit on joue sur le signal prix, en augmentant le tarif des billets, soit sur les volumes, ce qui peut passer par l’instauration de quotas. » La première option « conduira à des révoltes sociales », anticipe Vianney. C’est une crainte qui revient souvent dans les contributions reçues : que la régulation par les prix réserve un peu plus l’usage de l’avion aux plus riches. « En 2018, 1 % de la population mondiale causait la moitié des émissions de CO2 », rappelle Florence, qui tire cette statistique de l’étude publiée dans la revue Global Environmental Change en 2020.
Dès lors, l’instauration de quotas est la solution la plus juste, pointent Julien, Vianney, Jean-David et d’autres parmi nos internautes. Plusieurs commencent même à imaginer les contours d’un tel système. Alain-Pierre et Agnès invitent déjà à traiter différemment les vols selon leurs motifs : touristiques, professionnels, familiaux, en demandant plus de souplesse pour les deux derniers. D’autres insistent sur la nécessité d’interdire tout échange « de droits à voler », entre ceux qui ne les utilisent pas et ceux qui veulent dépasser leurs quotas, vu comme contre-productif. « Plutôt qu’un nombre de vols, il faudrait fixer un budget kilomètres », estime Nicolas.
Ne pas se limiter à l’avion ?
Et pourquoi se restreindre à l’avion ? « Je serai favorable à un quota "économie d’énergie" par personne, en prenant en compte l’avion, mais aussi la voiture, le train…, lance Marie. Car j’utilise peut-être plus l’avion que mon voisin, mais je n’ai pas de voiture et me déplace le plus souvent en train. » Fabien lance une idée similaire avec « une carte bilan carbone », avec un quota d’émissions à ne pas dépasser et que chacun pourrait gérer à sa façon. Une prise de hauteur à laquelle appelle Grégoire Carpentier. « Que ce soit pour le climat ou des tensions attendues sur les marchés de l’énergie, on va devoir se poser de plus en plus la question de comment on partage ce gâteau énergétique, insiste-t-il. Quelle part on accorde au transport aérien, quelle autre aux transports de marchandises, quelle autre aux déplacements du quotidien… ? »
C’est tout l’intérêt alors de la proposition de Jean-Marc Jancovici, voit Pierre Leflaive. « Elle illustre bien la contrainte vers laquelle nous nous dirigeons si nous nous obstinons à défendre une augmentation du trafic aérien au rythme actuel », glisse-t-il. Grégoire Carpentier observe tout de même de premiers frémissements, au-delà du changement de discours d’Augustin de Romanet. « C’est, en France, la fin des premières lignes intérieures là où il existe une alternative en train de moins de 2h30, ou, aux Pays-Bas, la décision de plafonner le trafic aérien à l’aéroport Amsterdam-Schiphol », évoque-t-il.
« Plus on attend… »
« C’est encore bien trop timide », juge pour sa part Pierre Leflaive, qui note par exemple que de nombreux projets d’extensions d’aéroports sont encore dans les cartons. « A Lille, Nice, Marseille », liste-t-il. Le responsable « transport » du RAC rappelle également que la proposition initiale de la convention citoyenne pour le climat était de supprimer les lignes intérieures que le train assure en moins de 4 heures. « Avant d’en arriver à des quotas, on pourrait déjà instaurer une taxe progressive qui ferait que plus on prend l’avion, plus on le paierait cher », propose-t-il. « Mieux vaut des efforts consentis que des efforts subis », conclue Laurent, un de nos lecteurs.