Pourquoi le mot « écoterrorisme » fait débat

Pourquoi le mot « écoterrorisme » fait débat

Fake offAprès la déclaration de Gérald Darmanin, parlant modes opératoires « relevant de l'écoterrorisme », à Sainte-Soline fin octobre, « 20 Minutes » fait le point sur l’usage de ce terme
Emilie Jehanno

Emilie Jehanno

L'essentiel

  • La déclaration n’est pas passée inaperçue. « Une quarantaine de personnes fichées S à l’ultra-gauche ont été repérées dans cette manifestation [à Sainte-Soline] avec des modes opératoires qui relèvent, je n’ai pas peur de le dire, de "l’écoterrorisme" », a affirmé Gérald Darmanin, après les heurts qui ont opposé forces de l’ordre et manifestants le 29 octobre dans les Deux-Sèvres.
  • « Non, la manifestation de Sainte-Soline, ce n’est pas de l’écoterrorisme, soutient Dominique Bourg, philosophe de l’écologie, faisant la différence entre militants écologistes et les black blocks présents sur place. Une manifestation écologique est non-violente par définition. »
  • Le terme est « une interprétation exagérée de ce qui s’est passé dans les années 1990 aux Etats-Unis », explique-t-il.

Après la manifestation écologiste à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) contre la construction de « mégabassines » d’eau, les personnalités politiques se sont emparées de l’affaire. Dans une déclaration controversée, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, a dénoncé les heurts qui ont opposé des forces de l’ordre à des manifestants.

« Une quarantaine de personnes fichées S à l’ultra-gauche ont été repérées dans cette manifestation avec des modes opératoires qui relèvent, je n’ai pas peur de le dire, de "l’écoterrorisme" », a déclaré Gérald Darmanin au cours d’une conférence de presse le 31 octobre. Un choix de terme jugé « outrancier », notamment par l’association Attac qui participait à l’action et qui y voit une « une dérive dangereuse de criminalisation des mouvements sociaux et écologiques ».

Les propos ont aussi été jugés « scandaleux » sur Twitter par François Gemenne, politologue à l’Université de Liège, professeur à Sciences po Paris et auteur principal du dernier rapport du Giec. « L’emploi du terme d'"écoterrorisme" me paraît complètement inconséquent et irresponsable, a-t-il déclaré sur France Inter le 1er novembre. Depuis 2012, 1.700 défenseurs de l’environnement ont été assassinés dans le monde, un tous les deux jours : ça, c’est du terrorisme. »

FAKE OFF

Que s’est-il passé le samedi 29 octobre ? Comme l’a rapporté l’AFP présente sur place, des heurts violents ont éclaté avec les 1.500 gendarmes mobilisés quand des manifestants ont voulu pénétrer sur le chantier, interdit d’accès. Une partie d’entre eux y sont parvenus avant d’être repoussés. Des élus présents à la manifestation ont dit avoir été « frappés », un photographe de l’Agence a vu la députée écologiste Lisa Belluco « molestée ». Une canalisation a été sectionnée dimanche.



Au final, une soixantaine de gendarmes ont été blessés, dont 22 sérieusement selon le ministère de l’Intérieur, et une soixantaine de manifestants ont été blessés, dont cinq ont été hospitalisés, selon les organisateurs de la manifestation. La préfète du département avait dénoncé, samedi, la présence de « 400 profils black blocs et activistes très violents », ainsi que des « jets de cocktail molotov, des tirs de mortier, des explosifs puissants, des projectiles ». Le Parquet national antiterroriste, compétent en matière de terrorisme, ne s’est, par ailleurs, pas saisi de l’affaire.

Un trouble grave à l’ordre public

En France, les actes de terrorisme sont définis dans le Code pénal par l’article 421-1. Ce sont des infractions commises intentionnellement, en relation avec une entreprise individuelle ou collective, ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur. Ils peuvent, entre autres, prendre la forme d’atteinte volontaire à la vie, à l’intégrité des personnes ou de destructions, de dégradations et de détériorations.

Sur France Info, le préfet de police de Paris, Laurent Nunez a expliqué le 31 octobre qu’il y a « quelques dizaines d’individus qui sont suivis au titre de la radicalisation violente y compris dans des mouvements défendant des causes qu’ils disent écologistes » en France. « Pour certains d’entre eux, on peut qualifier ça d’écoterrorisme », indique-t-il, précisant que c’était un terme employé par les services de renseignement.

« Désobéissance civile »

Un avis que ne partage pas Dominique Bourg, philosophe de l’écologie et coauteur de Désobéir pour la Terre, défense de l’état de nécessité. « La réponse est immédiate et évidente : non, la manifestation de Sainte-Soline, ce n’est pas de l’écoterrorisme, soutient-il, en faisant la différence entre les militants écologistes et les black blocks présents sur place. Une manifestation écologique est non-violente par définition. Les black blocks viennent aux manifestations pour s’opposer à la police. Le mot terrorisme a un sens très précis : en quoi là des écologistes ont terrorisé les gens ? » La canalisation percée est « effectivement une dégradation d’un bien d’autrui, mais ce n’est pas du terrorisme ».

Contacté, le Parquet national antiterroriste a précisé que « l’article 322-1 du Code pénal définit les infractions de dégradation, destructions et l’article 421-1 prévoit que ces infractions peuvent être aggravées par la circonstance de terrorisme. Les faits sont donc les mêmes, c’est l’intention qui change ». Interrogé sur la nature des modes opératoires qualifiés « d’écoterroristes » et sur le profil des auteurs de ces actes, le ministère de l’Intérieur n’a pas répondu pour l’heure.

« Quand Gérald Darmanin commence à parler de terrorisme pour des actions qui sont à mille lieues du terrorisme, il incite tous les gens qui prennent ces choses au sérieux à la violence, estime encore Dominique Bourg. C’est très grave d’avoir dit cela. Il veut faire passer de la désobéissance civile pour du terrorisme. »

Le FBI s’est emparé du terme

En 2002, le FBI avait donné une définition de l’écoterrorisme, par la voix du chef de la section du terrorisme intérieur. Il définissait un acte écoterroriste comme « l’usage ou la menace d’utiliser la violence de manière criminelle, contre des victimes innocentes ou des biens, par un groupe d’orientation écologique, pour des raisons politiques liées à l’environnement ou visant un public au-delà de la cible ».

Dans ce document, il faisait référence aux actions directes, comme le sabotage d’équipements ou des incendies, menés par le Front de libération animale (ALF) et le Front de libération de la Terre (ELF). Par exemple, en 1998, ELF avait revendiqué l’incendie de plusieurs bâtiments d’une station de ski dans le Colorado au nom de la protection de l’habitat naturel du lynx.

Une définition à nuancer

Mais cette qualification d’écoterroriste fait débat aux Etats-Unis. Sur 1.069 incidents criminels associés aux défenseurs de l’environnement et des droits des animaux, relevés entre 1970 et 2007 dans le pays, 17 % peuvent être qualifiés d’actes « terroristes », pointent les auteurs d’un rapport de 2012 publié par le consortium d’étude sur le terrorisme Start, qui dépend du Département de la Sécurité intérieure des Etats-Unis. Pour l’affirmer, ils s’appuient sur la base de données sur le terrorisme global (GTD) de l’université du Maryland, la différence entre les incidents criminels non terroristes et les attaques terroristes étant que « l’usage de la violence contre des biens entraîne des dommages permanents », écrivent-ils.


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Mais nuancent les auteurs, « jusqu’à présent, les attaques menées par des groupes radicaux de défense de l’environnement et des droits des animaux visaient très largement à causer des dommages matériels plutôt qu’à blesser ou à tuer des humains ». Le résultat d’entretiens avec des militants suggèrent aussi que ces derniers « semblent peser soigneusement les coûts et les avantages des manifestations illégales ».

En 2014, deux chercheurs soulignaient encore dans une tribune dans le Washington Post (Ecoterrorisme : menace ou stratagème politique ?) que « malgré la radicalisation en cours au sein du mouvement, la grande majorité des (…) militants et "groupes" ne sont pas impliqués dans des actes terroristes ». Une enquête du média d’investigation Intercept, en 2019, a aussi remis en question le fait qu’un « mouvement qui n’a jamais tué personne soit devenu la menace de terrorisme intérieure n°1 pour le FBI ».

Désobéissance, occupation, sabotage

Cette définition du FBI « n’a pas d’objet » argue Dominique Bourg. Pour lui, l’écoterrorisme n’existe pas. Le mot vient « d’une interprétation exagérée de ce qui s’est passé dans les années 1990 aux Etats-Unis avec le mouvement Earth First », dont des militants ont fondé ELF par la suite. Ces militants ont lutté contre l’abattage des arbres, notamment en les occupant. Mais aussi en plantant des pointes à hauteur de coupes. En 1987, un bûcheron, George Alexander, a été très gravement blessé, alors que sa tronçonneuse a frappé une pointe. Il s’agit là pour Dominique Bourg du « seul moment violent de l’écologie ». Cependant, défend-il, « le but n’était pas de terroriser, mais de dissuader de couper, ce n’est pas la même chose. »


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Dominique Bourg distingue trois niveaux dans les actions écologistes qui peuvent être illégales : la désobéissance civile, qui est « intrinsèquement non violente », « sans dégradation matérielle ». « C’est enfreindre partiellement un ou plusieurs droits pour faire améliorer de manière générale l’état des droits », explique-t-il. Entre dans ce cadre, par exemple, le décrochage des portraits d’Emmanuel Macron dont l’objectif était de souligner l’inaction climatique du gouvernement français.

« On monte d’un cran ensuite avec l’occupation de lieux pour empêcher un aménagement de se faire, comme avec les zones à défendre », poursuit-il. La troisième forme d’action qui existe en France, c’est l’écosabotage, c’est-à-dire « une destruction d’installations dont vous pensez qu’elles détruisent le climat ».