Changement climatique : Comment améliorer la résilience des plantes face à la sécheresse
VEGETAL•Découvrez, chaque jour, une analyse de notre partenaire The Conversation. Ce lundi, des universitaires explorent cette problématique à travers l’exemple des agrumes20 Minutes avec The Conversation
L'essentiel
- Les épisodes de sécheresse sont des contraintes majeures pour les productions agricoles telles que celles des agrumes, selon notre partenaire The Conversation.
- Une équipe spécialisée en biochimie et biologie moléculaire du végétal s’est donc focalisée sur l’étude et l’exploitation d’un panel de paramètres impliqués dans la réponse des plantes à leur environnement.
- Cette analyse a été menée par Radia Lourkisti, enseignante-chercheuse en biochimie et physiologie végétale, et Jérémie Santini, maître de Conférences en biochimie et biologie moléculaire.
Le changement climatique est caractérisé par des événements extrêmes qui ne font qu’augmenter en fréquence et en intensité partout dans le monde. Le bassin méditerranéen, par exemple, est classé parmi les hotspots du changement climatique, où les épisodes de sécheresse sont les contraintes majeures pour les productions agricoles, telles que les agrumes.
Première région agrumicole française, la Corse est réputée pour sa production de qualité. Les perturbations climatiques, toujours plus fréquentes et intenses, exigent de développer des stratégies pour sélectionner des variétés adaptées à un climat plus contraint et qui répondraient également aux attentes du marché.
Les plantes n’ont pas d’autres moyens que de subir les assauts des perturbations du climat : elles doivent s’adapter sous peine de disparaître. Quels moyens mettent-elles en œuvre pour développer leur tolérance à ces contraintes environnementales ? Pourquoi certaines plantes sont-elles plus sensibles que d’autres ? Comprendre les mécanismes impliqués dans la tolérance aux stress permettrait d’optimiser la sélection des variétés de fruits, afin de pérenniser les productions agricoles.
Stressées, les plantes ?
Une plante peut être confrontée à différents types de stress au cours de sa vie. Les stress biotiques, induits par des organismes vivants (parasites, ravageurs…), se distinguent des stress abiotiques qui, eux, sont le fruit de perturbations climatiques (sécheresse, températures extrêmes, carence en nutriments…). Que se passe-t-il concrètement dans la plante lorsqu’elle perçoit ce signal de stress ?
En conditions climatiques optimales, la plante s’alimente en nutriments et en eau, qui sont transportés des racines aux feuilles. Ces dernières sont le lieu de la photosynthèse, processus indispensable à la croissance végétale, qui permet d’utiliser l’énergie du soleil, le CO2 et l’eau captés pour produire des sucres et dégager de l’O2.
Ces flux de gaz sont contrôlés par des cellules spécialisées situées à la surface des feuilles, appelées « stomates ». Elles agissent comme de véritables portes d’entrée et de sorties des gaz et permettent également à la plante de transpirer pour réguler sa température. Le déroulement correct de la photosynthèse permet, de plus, de maintenir un équilibre entre l’énergie lumineuse captée et celle utilisée pour la production de sucres.
En conditions de stress environnemental, la première réponse de la plante va être de fermer ses stomates pour limiter les pertes en eau, mais cela ralentit également l’entrée du CO2. La photosynthèse est alors perturbée, tout comme les flux entre les racines et les feuilles, diminuant ainsi la croissance végétale.
La perturbation de la photosynthèse entraîne un stress oxydant, qui traduit un déséquilibre entre la quantité de radicaux libres et des antioxydants. L’accumulation des premiers est particulièrement néfaste pour les cellules et peut mener à la mort de la plante, ses dommages sont de plus souvent irréversibles. Les seconds représentent la ligne de défense majeure face à ces espèces nocives et pour limiter les dommages. L’efficacité de ces mécanismes peut varier selon l’espèce de la plante, le type de stress subi ou encore son intensité.
C’est dans ce contexte que notre équipe, spécialisée en biochimie et biologie moléculaire du végétal (dans le cadre du Projet Ressources naturelles, de l’Université de Corse) s’est focalisée sur l’étude et l’exploitation d’un panel de paramètres impliqués dans la réponse des plantes à leur environnement.
Sélectionner des variétés adaptées au changement climatique
Les programmes d’amélioration des agrumes en Corse se sont intéressés notamment à la création de variétés dites « polyploïdes » qui pourraient répondre aux enjeux climatiques et économiques. Un organisme polyploïde possède plus de deux jeux de chromosomes, à l’inverse des agrumes les plus courants qui, comme l’Homme, sont diploïdes – c’est-à-dire que leurs chromosomes sont assemblés par paire (notre espèce a ainsi 23 paires de chromosomes).
Pourquoi s’intéresser spécifiquement aux polyploïdes ? Il a été mis en évidence que beaucoup d’espèces végétales sont naturellement présentes dans des zones climatiques extrêmes comme les déserts ou à très haute altitude. Cette particularité serait liée à des caractéristiques morphologiques et physiologiques originales : des stomates moins denses (ce qui limite les pertes en eau), un gigantisme des organes (pouvant renforcer la vigueur des arbres), etc. Cela leur permet d’être mieux adaptés à un environnement défavorable.
Les agrumes étant multipliés par greffage, les premières études se sont d’abord focalisées sur l’utilisation de la « tétraploïdie » (quatre paires de chromosomes) au niveau des porte-greffes. Cette stratégie s’est avérée efficace pour renforcer leur tolérance à des conditions défavorables telles que les basses températures hivernales ou encore la carence nutritionnelle.
Récemment, les travaux que nous avons menés en collaboration avec l’INRAE de San Giuliano se sont portés sur la tolérance à la sécheresse de nouvelles variétés de mandarines « triploïdes ». Possédant trois jeux de chromosomes, ses variétés ont l’avantage d’être stériles et donc de produire des fruits dépourvus de pépins – principale caractéristique prisée des consommateurs. Notre objectif a donc été de savoir si ces nouvelles variétés pourraient également faire montre d’une meilleure faculté d’adaptation aux contraintes environnementales.
Simuler les conditions climatiques du futur pour optimiser la sélection
Afin d’évaluer la tolérance à la sécheresse des variétés triploïdes sélectionnées, nous avons mené une expérimentation de déficit hydrique en serre afin de contrôler au mieux les conditions de culture (seuls les effets du manque d’eau sont évalués). La population analysée était composée d’une dizaine de variétés triploïdes auxquelles se sont ajoutées des variétés diploïdes issues du même croisement pour pouvoir mettre en évidence un éventuel comportement différentiel.
L’expérimentation a été menée sur une période courte (5-6 jours) sur des plants en pots afin de les soumettre à deux types d’apports en eau : un groupe a été irrigué de manière optimale (groupe témoin), tandis que le second a été soumis à une irrigation diminuée de près de 70 % (groupe testé). À la fin de l’expérimentation, l’irrigation optimale a été rétablie pour le bloc testé afin d’évaluer sa capacité de récupération.
L’analyse de la réponse à ce déficit hydrique s’appuie sur une diversité de paramètres pertinents pour évaluer la tolérance au stress chez les végétaux :
- L’analyse physiologique est effectuée in vivo et regroupe, entre autres, les mesures de la photosynthèse nette, du degré d’ouverture des stomates ou encore du niveau de transpiration des feuilles.
- L’étude morphologique in vitro permet d’obtenir un aperçu en trois dimensions de l’état général des cellules composant les feuilles, en particulier les stomates, par microscopie électronique à balayage. L’impact du stress sur les composants des cellules (visualiser les dommages éventuels au niveau des chloroplastes, sièges de la photosynthèse) peut également être analysé en profondeur par le biais de la microscopie électronique à transmission.
- Les mesures biochimiques sont aussi réalisées in vitro et sont liées aux teneurs en espèces réactives de l’oxygène (comme le peroxyde d’hydrogène), à celles de biomarqueurs des dommages cellulaires (molécules synthétisées à la suite de la destruction des membranes cellulaires par exemple) mais également aux taux des molécules et enzymes antioxydantes.
Le succès des variétés triploïdes
Les premiers résultats ont mis en évidence que plusieurs variétés triploïdes étaient plus tolérantes au déficit hydrique, notamment du fait d’une meilleure gestion de l’eau leur permettant d’éviter le flétrissement de leurs feuilles.
Néanmoins, le résultat le plus notable a été leur capacité de récupération après un manque d’eau. En effet, certaines, qui présentaient une réponse au déficit hydrique similaire à celle des variétés diploïdes, ont rétabli plus efficacement leur capacité photosynthétique et leur système de défense antioxydant.
Cet avantage a pu être expliqué par des modifications de structure dues à la polyploïdie et observées au microscope électronique. Par exemple, ces variétés possédaient plus d’organites cellulaires comme les chloroplastes (qui permettent de capter la lumière), ou encore des réserves de sucres (directement corrélées à une photosynthèse nette plus importante) supérieures.
Enfin, les observations microscopiques ont révélé qu’elles présentaient beaucoup moins de dommages cellulaires grâce à un système de défense antioxydant plus performant.
La sélection variétale représente ainsi un véritable levier pour maintenir une agriculture performante dans un contexte climatique de plus en plus changeant.
Les études menées sur l’utilisation de la polyploïdie permettent de comprendre comment certaines variétés peuvent s’adapter ou être plus résilientes aux contraintes climatiques par les modifications génétiques, morphologiques et biochimiques qu’elles entraînent.
NOTRE DOSSIER « SÉCHERESSE »
La pérennisation de la production d’agrumes avec des variétés alliant résistance aux stress environnementaux et caractéristiques organoleptiques, pomologiques et un rendement fruitier satisfaisant est un enjeu fondamental pour répondre aux attentes du marché de fruits frais.
Cette analyse a été rédigée par Radia Lourkisti, enseignante chercheuse contractuelle en biochimie et physiologie végétale, et Jérémie Santini, maître de Conférences en biochimie et biologie moléculaire (tous deux à l'Université de Corse Pascal-Paoli).
L’article original a été publié sur le site de The Conversation.