Incendies en Gironde : « Profiter de tels dégâts pour augmenter la biodiversité est une bonne chose », selon un chercheur
Sous les cendres 2/3•Après le passage des flammes, l’heure est à la réflexion sur la replantation en Gironde. La diversification des essences ne permettra pas de se protéger du feu mais sera un avantage dans la lutte contre les ravageursMickaël Bosredon et Elsa Provenzano
L'essentiel
- Après les feux importants de l’été, la question de la gestion de nouvelles plantations sur les secteurs sinistrés se pose.
- Dans le Sud Gironde, des travaux pour retirer le bois qui est commercialisable sont en cours. Ce sera le pin maritime qui sera réinstallé en priorité, avec des feuillus en lisière.
- Pour la forêt plus sauvage de la Teste, Sylvain Delzon, directeur de recherche à l’INRAE, préconise d’intervenir le moins possible, jugeant seulement souhaitable une aide à la régénération dans les zones les plus désolées.
Les incendies hors normes de l’été ont laissé à Landiras et La Teste-de-Buch des paysages de désolation, amputés au total de plus de 30.000 hectares de forêt. Dans le Sud Gironde, les machines forestières sont à l’œuvre en ce moment pour retirer tout le bois qui pourra être commercialisé. « C’est une course contre la montre par rapport aux scolytes [insectes coléoptères] qui se mettent sur les arbres fragilisés, explique Bruno Lafon, sylviculteur et président de la DFCI (défense des forêts contre les incendies) Gironde. Ces ravageurs se reproduisent vite et vont préférer à un moment attaquer les arbres verts et cela peut être très dangereux. » La filière sylvicole se donne jusqu’à mars 2023 pour abattre et évacuer le maximum d’arbres destinés à la filière papetière, à la confection de palettes et, pour une partie, au secteur de la construction.
Diversifier la forêt du Sud Gironde
Quelles essences replanter ? La question se posera dans quelques mois pour les parcelles qu’occupaient les plus jeunes arbres et d’ici deux ans pour celles qui abritaient des pins adultes (âgés de 40 ans). Sur les 1.500.000 hectares du massif des Landes de Gascogne, on trouve environ 500.000 hectares de feuillus pour un million d’hectares de pins maritimes.
« Profiter de tels dégâts pour augmenter la biodiversité est une bonne chose, estime Sylvain Delzon, directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) et à l’Université de Bordeaux. Par contre, dire qu’il faut augmenter la biodiversité pour lutter contre les feux est une hérésie ».
Selon ce spécialiste de l’écosystème forestier, le pin maritime est bien l’espèce la plus adaptée au sol sableux et pauvre en nutriments du plateau landais. S’il faut maintenir les feuillus déjà présents à l’intérieur du massif et en prévoir en lisière, c’est surtout pour « permettre [à la forêt] d’avoir une plus grande résilience contre les ravageurs mais cela ne va pas permettre de lutter contre la sécheresse ni les incendies », insiste Sylvain Delzon.
Plaidoyer pour le pin maritime
Les feuillus, s’ils sont par exemple plus résistants que le pin maritime à des aléas comme le vent, sont par contre davantage sensibles que le pin maritime aux incendies. Les pins maritimes adultes n’ont pas de branches jusqu’à 20 mètres de haut et certains ont été sauvés du feu tandis que des feuillus, aux cimes moins hautes, ont été consumés. Il est donc absurde de penser que leur présence dans le massif pourra renforcer la résistance aux feux. « Il faut une réflexion sur l’aménagement spatial de la forêt, et de notre côté nous travaillons sur la résistance, sur comment on peut créer des variétés plus intéressantes pour l’industrie », met en avant Alain Bailly, directeur du pôle biotechnologie Sylviculture avancée à l’institut technologique FCBA (Forêt-Cellulose-Bois-Ameublement).
Taillé pour résister au stress hydrique, le pin maritime a aussi fait ses preuves en matière de résistance à la sécheresse. En lien avec l’Office national des forêts (ONF), l’INRAE a planté à Sanguinet « 16 hectares de jeunes pins de différentes espèces, réputées plus résistantes à la sécheresse (venues d’Espagne et du Portugal par exemple), explique Sylvain Delzon. On mesure leur mortalité et on pourra en savoir plus d’ici cinq ans. » La diversité génétique est à privilégier pour éviter de tout miser sur une espèce du sud qui pourrait être plus sensible au gel, par exemple.
Une dérive productiviste ?
« Quand la forêt a été replantée, l’objectif de Napoléon III et de Brémontier était d’assainir cet espace, réputé pour être le "désert landais", rappelle Jean-Luc Gleyze, le président du département de la Gironde. Mais à l’époque, le pin était aussi planté avec des chênes, disposés sur des talus, ce que l’on a progressivement abandonné dans une logique plus productiviste. » Il pointe aussi une rentabilité de plus en plus recherchée : « on s’est mis à exploiter des pins de plus en plus jeunes, coupés aujourd’hui à 30-35 ans, alors qu’on allait auparavant jusqu’à 60 ans. »
Un changement qui a eu des effets sur toute la filière, au fil du temps. « Vous n’avez plus de petites scieries qui existaient autrefois dans la lande, et qui avaient le mérite de diffuser un tissu économique fin dans pratiquement tous les villages, pointe-t-il. Elles ont fermé peu à peu au profit de grosses unités. L’excès de monoculture ne va pas dans le sens d’une résilience de la forêt de plus en plus soumise au dérèglement climatique. »
Accompagner la régénération à la Teste
La situation de la forêt dite usagère de la Teste est bien différente. Le massif, quasiment entièrement ravagé par les incendies (7.000 hectares), joue un rôle de protection pour empêcher les dunes d’avancer. Beaucoup plus ancienne et diversifiée, elle n’est pas exploitée à des fins forestières. Les propriétaires privés des bois peuvent en récupérer pour se chauffer mais pas en faire commerce. « Ce serait un contresens de couper et de replanter là où tous les arbres ne sont pas morts, il faut laisser la zone se régénérer, estime Sylvain Delzon. Et, on pourrait apporter des graines là où il n’y a pas eu de régénération, comme le fait l’ONF sur le cordon dunaire, depuis des décennies ».
Pas question d’envoyer à la Teste les mêmes machines gigantesques qu’à Landiras, qui seraient disproportionnées. Si la question de l’évacuation de certains grands arbres se pose, « il faut maintenir l’intervention au strict minimum », assure le chercheur. Pour lui, il y a un entre-deux à trouver entre un retour à la nature complet sur ce secteur, alors que les pare-feu et les accès pompiers apparaissent indispensables, et un modèle de forêt productive, comme dans le secteur de Landiras. « Ce serait une solution que l’ONF soit mandaté par l’Etat pour assurer la gestion de cette forêt », avance Sylvain Delzon, prenant le modèle de la réserve naturelle d’Hourtin.
Dans la perspective du dérèglement climatique où « l’été qu’on a vécu sera peut-être l’été moyen de 2050 », lance le chercheur, il est important de tirer des enseignements de ces feux. « Nous demandons que la préfète pilote des états généraux de la forêt des Landes de Gascogne, déclare le président du Département. Nous y aborderons les questions d’aménagement de la forêt, d’urbanisation, de lutte contre les incendies… Mais nous y parlerons aussi de la replantation de la forêt, avec quelles essences, pour quels usages ? »
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