Climat : La fin de la coopération sino-américaine « est une catastrophe », estime François Gemenne, membre du Giec
INTERVIEW•François Gemenne, membre du Giec, revient sur la fin de la coopération en matière de lutte contre le réchauffement climatique entre la Chine et les Etats-Unis, annoncée par Pékin en représailles à la visite de Nancy Pelosi à TaïwanPropos recueillis par Cécile De Sèze
L'essentiel
- La Chine a très peu apprécié la visite de Nancy Pelosi à Taïwan mercredi dernier et a multiplié les menaces de représailles. Parmi elles, la suspension des négociations en matière climatique avec les Etats-Unis, une décision jugée « irresponsable » par Washington.
- Sans cette coopération des deux pays les plus émetteurs de gaz à effet de serre, les efforts des autres Etats en matière climatique risquent d’être revu à la baisse.
- François Gemenne, membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat et enseignant à Science Po, contacté par 20 Minutes, explique pourquoi c'est une « une catastrophe pour le climat ».
Pékin ne menace plus seulement les Etats-Unis et Taïwan, mais toute la planète. Les relations entre la Chine et les Etats-Unis se sont refroidies la semaine dernière, après la visite très observée de Nancy Pelosi, la présidente américaine de la Chambre des représentants, à Taïwan mercredi.
Après avoir menacé de représailles, Pékin a annoncé vendredi la fin de sa coopération avec Washington, notamment en matière de climat. Pékin va « suspendre les négociations sino-américaines sur le changement climatique », a annoncé le ministère chinois des Affaires étrangères. « Une catastrophe pour le climat », juge François Gemenne, membre du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et enseignant à Science Po, contacté par 20 Minutes.
Pourquoi est-ce une « catastrophe » pour le climat ?
C’est une catastrophe parce que l’on sait que la coopération entre les pays, et en l’occurrence entre les deux plus gros émetteurs de gaz à effet de serre, est cruciale pour atteindre les objectifs fixés par l'Accord de Paris.
Cette coopération entre la Chine et les Etats-Unis existe depuis presque dix ans, depuis que John Kerry [secrétaire d’État des États-Unis sous Barack Obama] est parvenu à obtenir une déclaration commune avec Pékin ce qui a permis l’Accord de Paris d’exister un an plus tard.
Jusqu’ici, la coopération a réussi à survivre à l’administration de Donald Trump et plusieurs différends commerciaux. Cette question ne devait pas être impactée par d’autres sujets de confrontation entre les deux géants, elle était sanctuarisée. Alors qu’aujourd’hui, cela va dépendre des autres pays. Ce qui est important de comprendre ici, c’est que cette coopération entraîne ce qui est décidé dans les autres pays, elle permet un engagement de tout le monde. Et là, c’est le signal envoyé aux autres qui compte.
Si ces deux puissances ne collaborent plus, ça risque d’entraîner d’autres pays à se désengager. Parmi ces Etats, on peut imaginer que les alliés de la Chine, comme la Russie, mais aussi les pays asiatiques et africains qui dépendent de Pékin en matière alimentaire et d’investissements, pourront faire partie des pays qui se désengagent.
Quelles sont les possibles conséquences ?
Comme l’Accord de Paris repose sur du volontarisme, et n’engage pas les Etats légalement, il repose sur des bases fragiles, et là, la base est encore plus fragilisée sans le moteur sino-américain. La pierre angulaire, c’est son côté universel. Sans cette coopération, on tombe dans le scénario du pire prédit par le Giec, celui d’une augmentation de 4 °C de la température moyenne de la Terre d’ici la fin du siècle.
Par ailleurs, dans le pire des cas, on peut également craindre un affrontement entre deux blocs : démocraties libérales d’un côté et régimes autoritaires et producteurs d’hydrocarbures de l’autre. Cela peut ainsi faire voler en éclat le mécanisme de l’Accord de Paris et on risque d’avoir deux diplomaties du climat. Malheureusement, il n’y aura sans doute pas d’émulation positive à aller vers les décisions les plus ambitieuses sur la question.
Que peut-on attendre de la COP27 ?
Tout va dépendre de la diplomatie égyptienne, [pendant ce rendez-vous pour le climat qui réunira les 197 pays signataires de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques à Charm el-Cheikh, en novembre prochain]. Le grand défi va être de voir si le pays hôte peut garder tout le monde autour d’une même déclaration commune. Si c’est le cas, quel que soit son contenu, même si c’est une coquille vide, on aura évité le pire. Mais pour le moment on ne sait pas s’il s’agit d’un mécontentement temporaire ou durable, et ce que l’Egypte va pouvoir rattraper lors de la conférence.