MOBILITELe jet privé, symbole de l’impact climatique démesuré des super riches ?

Le jet privé, symbole absolu de l’impact climatique démesuré des super riches ?

MOBILITESur les réseaux, les comptes @Iflybernard ou @laviondebernard permettent de suivre les périples des jets privés de milliardaires ou de leurs groupes. Une façon de se rendre compte du train de vie de ces super-riches et du lourd bilan carbone qui va avec
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • De Paris vers Nice, Nantes, Bruxelles, Londres, Rome… Les jets privés des grandes fortunes françaises multiplient les vols courts, avec des séquences à un rythme d’un trajet par jour voire plus.
  • Plusieurs comptes, comme @Iflybernard, lancés sur les réseaux sociaux permettent de suivre les mouvements de ces avions privés et donne une idée du train de vie de ces super-riches et de leur fort impact climatique.
  • Avec l’espoir que ce « name and shaming » contribue ces milliardaires à revoir leurs habitudes et à ne plus prendre l’avion comme d’autres prennent la voiture.

EDIT du 8 août 2022 : Les sites et comptes Twitter qui suivent en temps réel le trafic aérien provoquent depuis quelques mois des réactions épidermiques, de la simple plainte aux saisies de matériel. Elon Musk viendrait même, selon l’AFP, de proposer à Jack Sweeney, créateur du compte Twitter Celebrity Jets, 5.000 dollars pour enterrer le compte ElonJet, suivi par plus de 480.000 abonnés. Quant au vol de la présidente de la Chambre des représentants des Etats-Unis Nancy Pelosi, il a été suivi par plus de 700.000 personnes sur le site Flightradar24 au moment de son atterrissage à Taïwan. Alors que ça plane pour le pistage, 20 Minutes vous propose à la relecture cet article traitant des jets privés, du train de vie des super-riches et du lourd bilan carbone qui va avec.

Paris-Ryad le 17 juillet. Ryad-Marrakech, le lendemain. Marrakech-Paris, le 19 juillet. La boucle est bouclée. En trois jours, l’avion privé du groupe Bouygues aura effectué 14h47 de vol pour un bilan carbone estimé à 70 tonnes de CO2. « C’est l’équivalent des émissions d’un Français moyen en sept ans », précise @IflyBernard.

Derrière ce compte Twitter, lancé en avril dernier, on trouve Thomas*, 35 ans, ingénieur dans l’aéronautique à la fibre écologique. Depuis avril, il suit à la trace les jets privés propriétés de milliardaires ou de leurs entreprises. Dont celui de Martin Bouygues donc. « Mais aussi ceux de Bernard Arnault, de François-Henri Pinault, les deux du groupe Bolloré, et celui encore du groupe JCDecaux », liste-t-il.

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Le plus compliqué ? « Trouver les immatriculations »

La méthode est simple à l’écouter. « Le plus compliqué, au final, est de trouver l’immatriculation de ces jets privés rarement au nom de ces milliardaires, commence Thomas. Mais une fois qu’on a cette information, il suffit de la rentrer dans des sites en accès libre, comme globe.adsbexchange.com, qui publie les données de vols que chaque avion doit transmettre toutes les secondes pour le contrôle du trafic aérien. Ensuite, il suffit de croiser les heures de temps de vol, la consommation en fuel de l’appareil et le rapport fuel/émission de CO2 pour avoir un très bon ordre de grandeur du bilan carbone des trajets effectués. » Seul bémol : on ne sait jamais qui, exactement, est à bord des avions. « Mais je m’assure que ces appareils soient bien la propriété de ces fortunes, ce qui les rend responsables de leurs émissions », estime Thomas.

Il n’est pas le seul à traquer et publier sur les réseaux les escales des jets privés de milliardaires. @laviondebernard – un clin d’œil encore au patron de LVMH, troisième fortune mondiale – en fait de même depuis mai, côté français, en suivant les jets privés de Bernard Arnault et de deux autres du groupe Total Energies.

Dans les deux cas, l’inspiration est venue @Elonjet, le compte Twitter de l’Américain Jack Sweeney, auprès de 500.000 abonnés et qui suit les mouvements de l’avion privé du patron de Tesla et Space X depuis 2020. « Il fallait décliner le concept en France, encore plus à l’heure où les politiques multiplient les appels à la population à plus de sobriété énergétique », explique Thomas.

C’était le cas encore mercredi d’Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, demandant aux Français de couper le WiFi ou baisser un peu la clim maintenant que les températures ont tendance à diminuer, à éteindre la lumière dans les pièces inutilisées. « On ne peut pas demander des efforts à l’ensemble de la population, sans exiger en priorité des biens plus grands encore de la part des Français les plus aisés », insiste Thomas, en renvoyant vers le rapport de Greenpeace et Oxfam de février 2022. Via leur patrimoine financier, les 63 milliardaires français émettent autant que celui de 49,4 % des ménages français, calculaient les deux ONG.

Même discours pour les deux Français derrière@laviondebernard, un garçon et une fille de moins de 30 ans, se présentent-ils. « On espère que rendre ces vols publics va contribuer à créer un élan social, pour exiger des actions politiques concrètes, lancent-ils. Tout le monde doit atteindre deux tonnes de CO2 par an, y compris les milliardaires. Certains ont un plus grand chemin à faire, sauf que le système économique actuel va complètement dans leur sens, et valorise même leur comportement destructeur. »

Des vols en jet privé qui émettent dix fois plus de carbone

Le recours au jet privé est alors à voir comme l’un des symboles de cet impact négatif démesuré sur le climat que peuvent avoir les plus riches. « Un vol en jet privé émet dix fois plus de carbone qu’une liaison aérienne commerciale, principalement parce qu’il embarque très peu de passagers à bord », pointe Pierre Leflaive, responsable transport au Réseau action climat, fédération d’ONG environnementales françaises. Or, malgré l’urgence climatique, le recours à ces avions privés ne faiblit pas en Europe. « Les émissions de CO2 des jets privés en Europe ont augmenté de près d’un tiers (31 %) entre 2005 et 2019, soit plus rapidement que les émissions de l’aviation commerciale », illustre Transport & Environment (T&E) dans un rapport de mai 2021.

Un vol sur dix au départ de la France en 2019 était à bord d’un jet privé, y soulignait aussi T & E. Et la moitié de ces vols en avion privé parcourent moins de 500 km, « soit la distance opérationnelle où les avions sont les moins performants et donc les plus polluants ». C’est principalement le type de trajets que l’on retrouve sur les comptes@IflyBernard et L’avion de Bernard, où les avions de ces milliardaires multiplient les vols sur des distances très courtes, parfois plusieurs heures par jour. « Le plus surprenant est que les temps d’escales sont souvent très courts, fustige Thomas, qui s’étonnait du vol Paris-Nantes effectué lundi par l’avion privé du groupe JCDecaux, juste pour rester une heure sur place avant de rebrousser chemin.

Mais pour Thomas, la palme revient sans doute à Bernard Arnault. « J’ai analysé les trajets de son jet sur les deux dernières années, raconte-t-il. La route la plus empruntée est Paris-Bruxelles avec quinze allers-retours sur la période. C’est le summum de l’absurde : ces 30 vols d’une durée moyenne de 35 minutes ont généré 81 tonnes de CO2. »

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Le « name and shame », meilleur outil pour ramener à la raison ?

Faut-il alors tout simplement interdire ces vols en jet privé ? « Ce serait compliqué, ne serait-ce que juridiquement », répond Pierre Leflaive. De son côté, T & E propose au moins d’interdire les vols en jet privé intérieur court, de la même façon que la France a commencé (timidement) à le faire sur les vols commerciaux. « Des taxes sur le kérosène et les vols devraient être imposées aux jets privés fonctionnant à l’énergie fossile, en fonction de la distance parcourue et du poids de l’appareil », poursuivait l’ONG, toujours dans son rapport de mai 2021. Là encore, Pierre Leflaive pointe des limites de l’impact de ces attaques au porte-monnaie sur les ultra-riches.

Il reste alors le « name and shame », littéralement « nommer et couvrir de honte ». C’est bien là tout le pari que font@IflyBernard et@laviondebernard en affichant le mode de vie polluant des plus riches. Et ça marche ? En mai dernier, le jet privé de Bernard Arnault avait totalisé 18 vols pour un bilan carbone de 176 tonnes, selon les calculs de L’avion de Bernard. Soit l’équivalent de celui émis par un Français moyen… en 17 ans. « Mais depuis début juillet, en revanche, cet avion est resté cloué au sol, observe Thomas qui caresse l’espoir que le milliardaire a pris de bonnes résolutions pour soigner son image.

« Ce que nous souhaitons c’est ouvrir le débat sur cette question, explique-t-on chez@laviondebernard. D’ailleurs, on voit que notre message a été repris par certains politiques, c’est déjà une bonne chose. »

*A sa demande, son prénom a été changé.